L’ASBL Succès : tout a commencé par un livre
L’ASBL Succès créée par Betty Batoul œuvre à la prévention des violences et à l’accompagnement de toutes les victimes. Betty Batoul a aussi fondé une maison d’édition, Un coquelicot en hiver. Mais tout a commencé par un livre, celui qu’elle a écrit pour témoigner de son propre parcours.
Betty Batoul a voulu témoigner de sa reconstruction qui a pris douze ans. Elle a voulu témoigner de la difficulté à sortir d’une relation toxique, mais aussi du fait qu’on peut y arriver et, peut-être, en sortir plus fort. Cette maman de quatre enfants est heureuse en couple depuis trente ans. Elle se rend dans des écoles pour expliquer ce qu’est un couple et ce qu’il n’est pas. Sa maison d’éditions porte le nom de son premier ouvrage : Un coquelicot en hiver. Au catalogue : des récits de vie où s’exprime la résilience. La maison s’apprête à publier le témoignage d’un accidenté de la route. A la suite de la publication de son histoire, Betty Batoul a reçu des demandes émanant de victimes, des demandes de groupes de paroles. C’est ainsi qu’est née l’asbl Succès. Quelques réunions permettent déjà d’aller mieux. C’est toute l’efficacité de la pair-aidance. Depuis 2020, l’association collabore avec les communes de Courcelles et de Sambreville. En plus des groupes de paroles, l’asbl propose des visites culturelles, des ateliers d’art-thérapie, de chant, de prise de parole, de sophrologie…
Ayant eu l’occasion de rencontrer Marc Kayak par le passé, Betty a été particulièrement sensible aux difficultés qu’il rencontrait en raison de son état de santé récemment et a souhaité l’aider via son asbl.
L’appel de Betty Battoul et les mots de Véronique Janzyk
Pour mettre à l’honneur les actions portées par Marc Kayak, notre collègue Véronique Janzyk a souhaité offrir à tous une nouvelle qu’elle a écrite suite à sa rencontre avec cette personnalité militante et généreuse.
Mark Kayak
« On m’a demandé pourquoi je n’équipais pas mon kayak d’un moteur, mais ça n’aurait pas de sens. Je dois avancer à la vitesse des déchets. On m’a demandé si on pouvait m’aider. J’ai répondu qu’il y avait de la place pour d’autres kayaks sur la Meuse. Personne ne monte jamais à bord de mon kayak à peine assez grand pour les déchets. »
Mark se raconte devant un café. Il range les papiers de nos biscuits au fond de sa poche. Trop peur que ça s’envole vers l’eau. Cela fait douze ans qu’il sillonne non pas le fleuve mais une petite portion, enfin deux, car il a deux kayaks aujourd’hui, qu’il arrime non loin de deux écluses. Tout a commencé avec un cygne agonisant sous ses yeux. Le cygne avait ingurgité de la frigolite. Mark n’a pas pu l’aider. Il était trop tard, enfin pas vraiment. Subsistera toujours ce petit doute. Pourquoi n’a-t-il pas tendu la main pour essayer de l’aider ? Sans doute avait-il peur que le cygne lui sectionne un doigt, ou deux. Était-ce plausible ?
Aujourd’hui, il attrape les déchets avec une longue pince offerte par la Ville, qui lui donne aussi des sacs poubelles par centaines pour y déposer les déchets. Des sacs de cent cinquante litres qu’il va jeter à la décharge. Comme il fait étonnement venteux pour un début septembre d’un été chaud et plat, il a ramassé en m’attendant des déchets que le courant a poussés contre des péniches. C’est là que nous nous sommes retrouvés. Nous avions rendez-vous entre le Pont des Ardennes et le Pont de Luxembourg. Je n’ai pas trouvé le chemin de halage tout de suite si bien que j’ai fait plusieurs fois le trajet entre les ponts depuis la route, que j’ai aussi traversé un des ponts espérant trouver Mark de l’autre côté. J’ai arpenté en piétonne la zone que Mark a délimitée pour une partie de son travail.
Travail ? Engagement ? Sacerdoce ? Devoir. Il n’a aucun de ces mots. Il fait, il agit et il dialogue avec les passants. S’il n’engageait pas la conversation, son ramassage n’aurait que peu de poids, et s’il ne ramassait pas, ses mots n’auraient aucun impact. Une personne s’arrête pour voir ce qui se passe, puis une autre s’arrête parce que la première s’est arrêtée, c’est ainsi avec les gens, un flux continu. La solitude, Mark ne la connaît pas. A part la pince et les sacs, et des invitations à évoquer la problématique des déchets, ici et là, en classes (c’est ce qu’il apprécie le plus), il n’accepte rien des autorités.
« Si on me payait, les gens se diraient que je suis payé pour ce que je fais. Il y aurait davantage de déchets sur l’eau. » Aucune aide de personne. Zéro revenu. Il accepte le café ou le soda que des établissements lui offrent. L’alcool non merci. « Ah justement ! » Il s’interrompt pour saluer un petit bateau de tourisme qui passe. A son bord, le boulanger qui s’est trouvé un deuxième boulot. Les temps sont durs. Il lui offre une gaufre chaude en hiver, et une glace en été, car son sa boulangerie fait aussi salon de thé et glacier. Autre chose que l’accueil de l’établissement où nous sommes. C’est justement pour cela que nous sommes venus ici. Pour évaluer le rejet. Un serveur a interdit à Mark de ramasser des déchets en contrebas. Une serveuse s’est moquée. Nous nous sommes installés en terrasse. Je le précédais. Il a déposé le sac rouge dont il ne se sépare jamais dans le parterre. Il contient une caméra dont l’usage lui permet d’alimenter sa chaîne Youtube toute neuve. Il filme des heures durant le mouvement de la pince déposant des déchets dans un grand panier déposé à ses pieds. A côté du sac déposé, la rame, sa compagne, « l’autre » comme il l’appelle. Il demande à voir le patron.
Dans la conversation, je ne sais plus à quel propos, il évoque son père médecin, la bonne famille dont il vient. Le patron repart, doute qu’on l’ait traité de la sorte comme Mark vient de le lui confier, demande une description des serveurs. Mark coupe court. « Ce n’est pas parce qu’il a les mains sales et que ses vêtements sont humides qu’il faut le maltraiter », c’est ce qu’il murmure. Il poursuit sur sa lancée (avec moi), il décrit la famille nombreuse et les interminables repas du dimanche. Tout ça bien derrière lui désormais, à des milliers de kilomètres en kayak. Nous retournons vers l’eau. Mark dénoue l’attache de son kayak. Quand il se penche, je vois qu’une fine corde lui sert de ceinture. Il embarque. Il est ballotté sur place. Il tend la pince vers une canette réfugiée près de la coque de la péniche, vers un emballage. « Tu vois le rat ? » Non, je ne vois pas le rat mort, même en me penchant le plus possible. « Un pêcheur est mort d’avoir touché un rat à la dérive. C’est rare. Un risque sur un million, mais ça lui est tombé dessus. »
Mark se méfie terriblement des rats. Il ne comprend pas qu’on veuille éradiquer des oies qui ont le même régime alimentaire végétal que les rats. Là où il y a des oies, il y a moins de rats. Seulement les oies se voient là où les rats pullulent plus discrètement, alors on croit en être quittes. Ils ne sont pas rares les animaux à accompagner Mark lorsqu’il glisse sur l’eau : des oies, un rat musqué, un castor, des poissons aussi. La couleur jaune du kayak les attire, c’est curieux. Un des deux kayaks a été peint par un artiste en vue. Il a exposé loin, outre Atlantique. Le kayak est multicolore, assorti aux déchets. L’inconvénient, c’est qu’il faut le protéger des dégradations et du vol (et qu’il attire moins les animaux). Il est abrité dans les locaux de la capitainerie. Mark a toujours les mains sales, un vêtement humide, été comme hiver. L’eau pénètre les vêtements les plus imperméables. L’hiver, par la force des choses, il réduit le nombre d’heures passées sur l’eau.
Depuis deux, trois ans chaque jour, un drapeau différent est planté sur ses embarcations. Le drapeau d’un pays, d’un département, d’une province, d’un canton, d’un atoll. Le matin, il révise l’histoire du pays, ce qui fait son actualité. Il répond aux questions qu’on lui pose sur le drapeau. Parfois, il croise des ressortissants des pays, des départements, des cantons. Ils sont ravis de voir leur drapeau. Les jours où il fait trop mauvais, Mark noue le drapeau autour de son cou. Il s’en va à pied ramasser les saletés. Le jour où nous nous sommes rencontrés, le drapeau de Gibraltar flottait sur l’eau. Il choisit les drapeaux en fonction de leur actualité (une fête nationale, la création d’un état, d’un département).
A-t-il déjà eu envie d’arrêter ? Non. Mais il repousse une pensée qui lui vient parfois à l’esprit : « Ce serait réduire à néant tout ce qui a été entrepris jusqu’ici. » Cette pensée, c’est considérer sa vie comme un engrenage, et il la chasse. S’il pouvait l’enfermer dans un sac et s’en débarrasser. A-t-il vu une évolution au cours des années ? Sur les tronçons qu’il nettoie, oui, moins de déchets qui volent et vont s’accrocher aux branches des arbres sur la rive, mais sur l’eau il y a encore beaucoup trop de déchets, jetés par des mains humaines, envolés de décharges à ciel ouvert, de péniches pas assez couvertes. Il se souvient avoir vu un divan échoué. Il l’a sorti seul de l’eau. Des gens l’ont regardé. Une fois le boulot fait, il a été applaudi. Tant de mains n’avaient pas songé à l’aider. Un autre jour, il a vu une vache morte dériver. Il n’en est toujours pas revenu, ni du divan ni de la vache. Avec l’été qui s’installe, il va commencer à réviser les devinettes qu’il pose aux clients des cafés et des restaurants. Une manière de se faire un peu d’argent, et de faire participer le public. Un petit spectacle à part entière. « Les gens sont si différents dans leurs réactions, ceux d’ici, ceux qui viennent d’autres régions de Belgique et ceux qui mobilisent ce qu’ils connaissent de notre langue pour répondre. » Il y a ceux qui prennent les propos de Mark au premier degré, qui ne comprennent pas la blague, l’humour. Des gens comme ça, il y en a partout. « Et votre corps, je demande, il a changé en plus de dix ans de kayak ? »
« L’été, les nuits qui suivent les longues journées sur la Meuse, il arrive que je m’endorme couché, mais qu’ensuite je me redresse dos au mur, car le lit est contre le mur. Ma copine me l’a déjà dit. Que mes bras gigotent aussi. » Nous allons nous quitter doucement. Un homme sous le pont s’endort sous une couverture jaune kayak. Un autre arrive en poussant un charriot remplis de sacs. Mark va rentrer, escorté de quelques oies. Elles le raccompagnaient jusque chez lui et s’en allaient dormir dans un bosquet. Il avait peur pour leur vie. Elles dormaient si près de la route. Désormais, il les conduit dans le parc. D’un geste, il leur intime de rester là. Il repart à reculons. Elles obéissent, yeux dans les yeux le plus longtemps possible. « Je suis bien avec mes oies, mes canards et le souvenir de mon cygne. »
Infos
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