Corneille, un oiseau résolu au bonheur

16/10/2024

Si comme nous, à l’heure où l’ombre automnale grappille quotidiennement quelques minutes de la clarté essentielle, vous êtes en quête d’une lumière réconfortante, nous vous invitons à rejoindre le Centre de la Gravure et de l’image imprimée. Dans ses salles de la rue des Amours, les couleurs saturées de Corneille font vibrer la joie. Elles ont métamorphosé le musée depuis le début de l’été en un jardin chatoyant où cohabitent pacifiquement chats, serpents, poissons et nuées d’oiseaux chamarrés.

Ouvrez-vous à l’univers de Corneille en papillonnant d’œuvre en œuvre et laissez l’enthousiasme vous gagner doucement. Car embrasser le langage de cet artiste, c’est un peu comme faire un voyage vers le pays reculé de l’enfance, instant de tous les possibles, qui scintille, loin des codes, des formes et des rythmes traditionnellement admis. Ne tardez plus par contre, car  la palette radieuse de Corneille qui y palpite va bientôt s’envoler vers les réserves du musée et celles de la Fondation éponyme.

Un chemin sensoriel

Cette exposition Corneille au fil de la joie parvient admirablement à incarner les intentions, le parcours et l’éventail de recherches de l’artiste aux outils jacasseurs. Si à ses prémisses, elle dévoile pudiquement toute les fêlures qui ont lézardé l’âme de Guillaume Cornelis Van Beverloo, elle s’ouvre ensuite tel un immense livre pop-up sur un univers enjoué, tribal et poétique à la beauté redoutablement gaie.

Accueilli par un facétieux chat blanc, on y entreprend un périple qui salle après salle nous proclame la créativité luxuriante de Corneille. L’accrochage qui s’éloigne habilement des parcours chronologiques et prévisibles offre à chacun une expérience sensible et spontanée grâce à des choix scénographiques qui entrent en parfaite résonnance avec le souci que l’artiste portait à l’accessibilité et à l’instinctivité de son travail.

Eclore au pays des Belles Fleurs

Venu au monde en 1922, Corneille ouvre les yeux sur une Liège industrieuse où son père d’origine néerlandaise est ingénieur des mines. Les années folles charrient un enthousiasme contagieux, et un espoir collectif de monde pacifié. Loin de l’imaginaire poussiéreux et sombre des charbonnages, l’oisillon Corneille semble écouler des jours heureux, tapi dans l’herbe à rêver, comme le remémore ce petit miracle de poésie qu’est la série Herbes, sur laquelle nous reviendrons plus loin.

Mais cette bulle de douceur éclate une vingtaine d’années plus tard, lorsque Corneille, qui a alors regagné Amsterdam en compagnie de ses parents, voit s’abattre « la drôle de guerre » sur son existence. Etudiant aux Beaux-Arts, il est profondément marqué par la brutalité quotidienne du conflit. En témoignent les petits formats aux tonalités tristes et délavées qui préfacent l’exposition et contrastent étonnamment avec la palette chromatique des années qui suivront. Ces aquarelles pas toujours titrées charrient toute la noirceur hostile de l’univers où est englué le jeune peintre.

On y devine sa sidération face à la violence meurtrière, sa détresse et ses privations en observant les visages horrifiés des protagonistes qui hantent les compositions. Ce sentiment est exacerbé à la lecture des quelques indications fournies par le jeune témoin qui figure un peloton d’exécution, ou commente combien « le peuple à faim ». Après ces heures sombres, quand enfin surgit le soleil chaud de la paix, l’artiste se remplume et se mue en créature avide de découvertes et de partages.

Sortir de la nuit qui engourdit les oiseaux

Le rescapé semble alors se promettre de ne plus exprimer dans ses œuvres que ses instants heureux de vie, comme pour les transcender. Dans cette quête artistique hédoniste, il capture sur le papier chaque moment joyeux, pour en conserver et en transmettre longtemps tout le suc. Il y parvient de manière si exemplaire que ses compositions nous livrent aujourd’hui encore une fraicheur et une énergie déconcertantes.

Dans le laboratoire de ses expérimentations, son leitmotiv est l’impulsion sincère, la transcription d’une énergie universelle qu’on lit merveilleusement, entre autres, dans les sérigraphies qui rendent hommage au poète Federico Garcia Lorca.

Cet infatigable nomade se voit pousser des ailes et il arpente longtemps le monde, et notamment l’Afrique dans les pas de Paul Klee ou des grands explorateurs. À la manière d’un oiseau qui plane dans le ciel, il restitue des vues zénithales de paysages désertiques, des damiers de cultures céréalières, ou des protagonistes peuplant des tribus lointaines, etc.

La figure féminine, source inépuisable de ses rêveries, habite remarquablement le travail de Corneille. Elle rayonne dans toute sa production. On l’y voit d’aube ou de lune, expressive et sensuelle, alanguie, fardée ou en dialogue avec les oiseaux.

 

S’enfoncer dans une jungle polychrome

Au cœur de l’exposition, la femme éclaire de sa superbe une série d’estampes dans lesquelles il faut absolument prendre le temps de se perdre. Le portefeuille Herbes (1972) est une tempête colorée, une émouvante « madeleine de Corneille ». Dans cette séquence végétale d’une intense poésie, l’artiste nous prend par la main pour remonter le cours du temps. Il nous invite à enfouir la tête dans le jardin de son enfance pour rêver un monde qu’il n’a pas encore parcouru.

Un texte fascinant accompagne de manière indissociable les 10 lithographies du portefeuille Herbes et s’incarne en une lettre adressée par Corneille à son imprimeur et ami Michel Cassé. Asseyez-vous quelques instants et aspirez-en chaque mot pour vous laisser porter sur ces brins d’herbe enchantés, peuplés d’insectes, des souliers rouges de la mère du peintre et de son chien Vichnouk. L’expérience est magique.

En voici un petit extrait :

Enfant, j’aimais rester allongé des heures durant dans l’herbe d’un tout petit jardin (que j’ai hélas au l’occasion d’évaluer bêtement plus tard). Non derrière notre maison s’étendait un immense domaine ; un vrai délire végétal qui ne cessait de m’émerveiller. Jardin de mon enfance, engendreur de rêves, j’allais ajouter et de vocation, pourquoi pas ?

… 

Herbes dans les yeux, herbes dans la bouche, dents mordant l’herbe acide. Herbes où apparaissaient successivement (en désordre) les pattes de mon chien VICHNOUk, le soleil découpé en bandes multiples, les talons hauts des souliers rouges de ma mère, le pied de chaise tarabiscoté de jardin que l’on déplace et puis l’ombre courante du seul pommier.

Un long cigare avec un jour obscurci le ciel d’été pendant un moment interminable : le Zeppelin avait survolé lentement les hautes herbes de mon jardin.

… (extrait le la lettre à Michel Cassé de Corneill, été 1972 à Paris)

Plus loin, une autre séquence du parcours explore la production consacrée par l’artiste au triangle familial qu’il forme avec son épouse et son fils. Devenu père à un âge un peu avancé, Corneille est alors soucieux, après s’être longuement régénéré en observant des dessins d’enfants, de parcourir les œuvres de littérature jeunesse qui hantent sa propre mémoire de petit garçon. Une série de 25 sérigraphies rehaussées d’aquarelles (1973) restitue admirablement le souvenir qu’il conserve de ses lectures des aventures de Pinocchio. Ce polyptique de gravures est habité d’animaux aux regards anthropomorphes qui interagissent gaiement. Ils ne prétendent pas nous conter de manière rigoureuse les aventures du pantin de bois mais s’envisagent comme une forme fantasmagorique des réminiscences de ce récit tel qu’il survit dans l’esprit de Corneille. Ce portefeuille exceptionnel n’a pas été montré depuis 40 ans au public et il est admirablement mis en valeur en étant présenté dans sa totalité au Centre de la Gravure et de l’image imprimée.

Au fil d’une œuvre foisonnante

De nombreuses autres questions sont abordées par cet événement et approfondies dans son riche catalogue. On y apprend les amitiés de Corneille, son rôle au sein du mouvement CoBra, ses périples, ses filiations avec d’autres artistes et bien d’autres choses encore. Nous vous invitons à prendre le temps de les sonder en rejoignant (sans plus tarder) le Centre de la Gravure et de l’image imprimée.

Certaines activités en lien avec l’événement se dérouleront dans les prochains jours.

  • Du 28 au 31 octobre, un stage original s’adressant aux plus jeunes et mêlant art et athlétisme est proposé

Le Centre de la Gravure s’associe à l’ACLO (Royal Athlétic Club Louviérois) et suggère à vos enfants une semaine mouvementée au musée ! Pour défouler leurs jambes en plus de leurs 10 doigts, ils prendront leurs baskets et alterneront entre stade et atelier, pour rire, courir, sauter et s’amuser avec leurs copains. L’équipe éducative du CGII leur fera découvrir comment représenter le mouvement sur le papier. Au programme : athlétisme, monotype, gravure et empreinte.

  • Le 3 novembre promet d’être un dimanche plus que parfait en compagnie de Corneille

Puisque pour clore en apothéose cette aventure colorée, l’ensemble de l’équipe vous invite à découvrir gratuitement les expositions en cours. Il sera nécessaire de réserver pour garantir une bonne organisation des visites guidées «Corneille au fil de la joie » qui auront lieu à 11h00 et 14h30. L’après-midi fera place à un Dimanche en famille de 14 h à 16 h (gratuit aussi), en collaboration avec Marmaille&Co, qui prendra la forme d’une visite contée suivie d’un atelier. En focus, l’œuvre « Le chevalier de la nuit » et la proposition aux plus petits de partir à l’aventure avec leur animal fétiche.

Pour conserver toujours un peu de la joie de Corneille, emmenez le très beau et très complet catalogue de l’exposition abondamment illustré au fil de ses 175 pages. Vendu au prix de 19,90 €, il est édité par le musée et ses contributions sont traduites en anglais et néerlandais. Vous pouvez aussi faire l’acquisition d’autres goodies comme l’adorable petit pin’s du chat ou le somptueux foulard de soie imprimé par la Maison Brochier à Lyon.

Infos

Exposition Corneille, au fil de la joie, jusqu’au 3 novembre 2024

Exposition Voyage en collection #3 jusqu’au 2 février 2025. Un regard sur les collections vertigineuses du Centre de la Gravure.

Pour toutes les expositions présentées au Centre de la Gravure, nous vous invitons à visiter le site Internet du musée, mais aussi à vous abonner aux chaînes Facebook et Instagram.

Centre de la Gravure et de l’Image imprimée

Rue des Amours, 10

B-7100 La Louvière

 

 

 

 

 

 

D’autres articles

Suivez-nous sur Instagram & Facebook !

Aller au contenu principal