Miroirs#5 fait scintiller tous les ordinaires

Si vous cherchez désespérément à fuir la brutalité de que l’on nomme pudiquement la rentrée, on vous suggère de mettre le cap vers le Parc d’Enghien. Certes, les turbulences de la reprise nous secouent déjà, mais face à elles, braquée telle un rempart, la délicatesse de Miroirs#5 résiste. Soyez diligent car elle s’évanouira après le 15 septembre. Immiscez-vous au cœur de ce doux repaire et prenez un instant pour vous interroger sur ce qu’il y a de précieux au monde aujourd’hui. Cheminant, attendez-vous à voir jaillir au détour de chaque sentier ou petit bosquet, toute la poésie stimulante qu’apportent les recherches des plasticiens, qui se muent souvent en guérisseurs de nos âmes.

Lors de la précédente Biennale d’Enghien, il ont réenchantés nos quotidiens sortis de l’affreuse crise sanitaire. Cette fois, le duo de commissaires Myriam Louyest et Christophe Veys a imaginé un parcours plus sensible qui chemine sur son terrain de jeu favori, déborde un peu plus loin dans une surprenante chambre forte et s’achève sous le carillon de l’église Saint Nicolas…

Christophe Veys / Myriam Louyest, commissaires de la biennale

Ils ont convié un peu plus d’une dizaine d’artistes dans ce petit poumon de verdure du nord du Hainaut, avec l’intention généreuse d’amener l’art actuel au plus près du regard d’un large public. Puisque l’art contemporain a cette réputation d’être hermétique ou élitiste, Christophe Veys, collectionneur-médiateur jusqu’au bout des ongles et Myriam Louyest, plasticienne-amoureuse sincère de la création contemporaine, repartent en croisade. Il faut dire que leur binôme maîtrise à merveille l’art de conjuguer patrimoine chargé d’histoire et œuvres empreintes de questionnements pertinents.

Grâce à leurs efforts, ce rendez-vous artistique au titre faussement innocent met progressivement en lumière toutes les subtiles accessions que condense le mot précieux. Nous pressant espièglement à nous extraire du monde matérialiste qui se perd et s’autodétruit à force de ne viser trop souvent que la croissance, l’exposition semble révéler la valeur inestimable des liens que nous tissons en toute humanité. Ces attaches invisibles avec les êtres et les objets tantôt naturels ou artificiels, apparaissent éloquents dans les scènes orchestrées par les artistes de la Biennale d’Enghien.

C’est une fontaine précieuse à laquelle la biennale Miroirs#5 vous invite à vous abreuver. Une source qui n’est rien de moins que celle de la vie, sous ses multiples formes : poétique, endormie, ressuscitée, résiliente, fragile, partagée pour être protégée bref sans cesse re-questionnée.

 

La beauté du quotidien

Le Parc d’Enghien, théâtre d’une infinité d’interactions humaines est un terrain idéal pour débusquer la poésie. À la manière d’une anthropologue, Lauriane Belin, a pris soin de la traquer gentiment, tapie ici et là, en résidence sur place. Pour figer ensuite cette collecte minutieuse, elle a établi une cartographie rigoureuse à laquelle elle associe un inventaire de moments précieux. Gravées dans un ensemble de tables d’orientation qui géolocalisent les petits fragments de bonheurs simples du quotidien, ses observations s’offrent à ceux qui décident de se perdre dans les allées des salons de verdure qui gravitent autour du pavillon des sept étoiles.

Détail de l’installation de Lauriane Belin

Sous les anciennes écuries le vidéaste Jean-Baptiste Perret souligne lui aussi à quel point ce quotidien d’une beauté inestimable est universel. Nous montrant une série de protagonistes qui agissent seuls dans une forme de symbiose avec leur propre milieu, il révèle de manière magistrale combien il est nécessaire d’être attentif à la portée de nos actes sur notre environnement.

Jean-Baptiste Perret

Perchée dans une petite salle au sommet de la tour castrale, l’installation d’Ismaïl Bahri restitue toute la délicatesse du palpitement biotique. Elle nous montre un poignet et son dense réseau veineux sur lequel vibre imperceptiblement une frêle goutte d’eau. En filigrane, derrière les frémissements de cette petite perle aquatique, il y a l’incroyable complexité de notre machine corporelle humaine, vaisseau vital et pourtant ordinaire.

Maquiller la vie

Au pied de la tour, la riche chapelle castrale est protégée par un sas de verre qui permet de l’observer tout en la sécurisant. C’est sur ce dispositif que Benoit Plateus a choisi d’intervenir, en dessinant une sorte de maillage formé à coup de pinceaux, de manière fluide et régulière.  Ce voile pétrifié qui se place entre le regardeur et la chapelle, donne une autre lecture du lieu, en appuyant ici et là ses traits légèrement cramoisis qui entrent en résonnance avec les tonalités brunes des panneaux de bois sculpté.

Les assoupissements de l’âme

La vie s’endort doucement dans les petits tableaux de Marie Zolamian. Ses figures sont empreintes d’une telle quiétude, qu’on ne sait si elles exhalent leur dernier souffle ou si elles sont en pleine régénération. Presqu’en lévitation, leurs corps légers immaculés se reposent sur de tendres couches rehaussées de couvertures sans frivolité mais réconfortantes. Ces attributs textiles, souvent anodins sont parfois les seules armures que possèdent hommes et femmes pour se protéger. Pensons aux personnes prisonnières de la rue, ou à celles qui doivent s’exiler et ne peuvent rien emporter. L’artiste aime à représenter ces étoffes ordinaires.

Marie Zolamian

En dialogue avec l’intimité des demoiselles endormies, fait face une immense représentation d’une sorte d’Eden peuplé d’oiseaux fantastiques qui évoluent dans une végétation luxuriante. Cet imposant jardin baigné de soleil et doucement léché par les vagues semble incarner les songes des belles allongées ou leur élévation vers un paradis tant espéré.

Marie Zolamian

Ressusciter les nuées

Dans les entrailles de la terre, sous les anciennes écuries, la vie nous murmure encore à quel point elle est fragile. Roman Moriceau y fait piailler les cris d’un rassemblement d’oiseaux. C’est une expérience profondément émouvante que d’entendre hurler ainsi ces volatiles là où le soleil ne brille jamais. Tout ce joyeux tintamarre grouillant de vie contraste avec l’obscurité du lieu où l’on chemine difficilement tant il est exigu. Son intervention sous-terraine vient ressusciter les voix éternellement éteintes d’une pluie d’oiseaux aujourd’hui disparus. Leurs petites paupières se sont fermées pour de bon et plus jamais ils n’égayeront nos jours de leurs chants mélodieux. Cette installation sonore nous plonge dans un profond désarroi, celui du bonheur procuré par l’écoute attentive de tous ces gazouillis qui se fracasse contre l’irrémédiable réalité de l’extinction des espèces qui se poursuit.

Cultiver la résilience

Lois Weinberger

Tels des enchanteurs, les commissaires nous offrent la joie de ressusciter la pensée profondément humaniste d’un artiste aujourd’hui éteint. En choisissant d’activer le protocole portable garden de Lois Weinberger, la biennale illustre l’inépuisable pouvoir de résilience de notre environnement. Chavirée, meurtrie, déplacée, la vie possède cette capacité à toujours se frayer un chemin. En témoigne ce monticule de verdure qui s’épanouit paisiblement face au miroir d’eau.

Sous le regard attentif des canards et des ouettes d’Egypte, les quelques sacs en plastique chargés de terre qu’ont emmenés les organisateurs se sont lentement métamorphosés en un pimpant parterre où se dressent des plantes sauvages et des fleurs des champs. Ces herbes folles sont un merveilleux hommage aux personnes arrachées à leur maison, déracinées et en exil, qui cherchent un lieu paisible où exister.

Isabel Fredeus

L’artiste Isabel Fredeus crée elle aussi un terrain fertile à la vie, dans la noirceur humide des interstices qui jouxtent le sous-terrain du parc. Comme deux totems de verre, ses pièces se dressent sous terre, à la fois fragiles et inébranlables. Sous leur cloche, apparaissent des sculptures de bois où s’apprête à pulluler toute une colonie de champignons pressés d’exulter de leurs spores.

Montrer la vie pour mieux la protéger

Camille Dufour

La graveuse Camille Dufour s’empare des travées des anciennes écuries en y ordonnant ses monumentales impressions. Ensemble, ses parcelles forment une prodigieuse fresque flottante qui confère gravité et vitalité à cet espace. On voit s’y animer des mammifères et des oiseaux qui semblent prêts à bondir de l’encre noire. En progressant au cœur de cette jungle encrée, peu à peu les figures de plumes et de poils deviennent méconnaissables, leurs silhouettes s’affinent et disparaissent, elles s’éteignent peu à peu. Camille Dufour n’enduit qu’une fois sa matrice, et son œuvre devient une allégorie de la vie qui quitte peu à ses estampes, au rythme de l’encre qui s’estompe. Les êtres qui peuplent son arche de papier délicatement suspendue sont eux aussi en train de s’éteindre, ils sont menacés.

Camille Dufour

Engagée face à ce constat, l’artiste propose au public de réagir. Elle a pour ce faire imprimé près de 400 gravures semblables à celles qui ondulent dans les salles chaulées, et les a distribuées de manière aléatoire dans les boîtes aux lettres d’autant de familles qui vivent à Enghien. Dans l’enveloppe qui protège ce cadeau multiple, il y a une lettre adressée aux citoyens, les invitant à réagir face au constat de ces extinctions de masse en créant un lien avec son œuvre.

Observer l’univers minéral qui s’anime

Nous inviter à simplement regarder autrement le monde permet souvent d’en divulguer l’incroyable préciosité. Le duo d’artistes Brognon Rollin a notamment choisi d’investir la crypte de la tour castrale avec une installation vidéo montrant en plan très serré la bouche d’une statue de pierre qui semble expirer.

Brognon Rollin

L’orifice colonisé par une araignée est voilé d’une toile qui s’agite au rythme de l’air qui circule. Les lèvres pétrifiées vont elles se défiger, stimulées par les gestes immémoriaux de l’insecte qui tisse sa délicate arantèle ?

Théo Massoulier

Dans les deux petits pavillons qui surplombent les abords du château d’Enghien, Théo Massoulier expérimente l’hybridation pour créer d’adorables assemblages.  Les petits êtres immobiles enfantés par ses mains sont un merveilleux syncrétisme des mondes naturel, végétal, minéral et industriel. Echappées d’un roman de science-fiction, leur prodigieuse mixité nous initie à une expérience surnaturelle. Durant le court instant de cette biennale, les deux tours prennent ainsi des allures de cabinets de curiosités qui abritent quelques créatures merveilleuses issues d’un monde onirique lui aussi précieux.

Simon Deppierraz

Le pavillon des sept étoiles, ancien observatoire au plan heptagonal construit en 1661, est ceinturé par un charmant bassin. Il culmine sur son promontoire, offrant une visibilité à 360° vers le ciel. Il s’agit d’un des lieux les plus remarquables du parc que Simon Deppierraz a choisi d’investir. Recueillant une série de pierres disséminées dans les alentours, l’artiste a imaginé une installation qui met en scène ces éléments minéraux dans un équilibre aérien. Une véritable prouesse qui parvient à donner une illusion de légèreté à l’ensemble. Miraculeusement les sept satellites rocheux semblent happés par les colonnes du belvédère et stoppés dans leur course folle. Ce petit observatoire qui se dresse fièrement devient l’espace d’un instant toute une galaxie à la délicatesse éphémère.

Une métaphysique du précieux

Après avoir arpenté le parc ne quittez pas la jolie ville d’Enghien sans avoir franchi les lourdes portes de l’église Saint-Nicolas. Laurence Dervaux a arrimé aux poutres de l’édifice ses cocons de verre emplis de liquide pourpre. Les figures oblongues et transparentes renferment toutes une quantité de fluide semblable à celle du sang que contient un corps humain.

Laurence Dervaux

Ainsi suspendues au cœur d’un lieu toujours sacralisé, elles nous offrent le témoignage de notre vulnérabilité et de la fugacité de notre passage sur terre. Ces dispositifs fragiles et aériens, soutenus par des cordons qui rappellent la chair, forment un essaim magistral d’ex-voto célébrant la vie. L’apparente précarité de leur accrochage nous rappelle à quel point le fil de notre vie est ténu dans le but de nous inviter à savourer pleinement chaque moment ici-bas.

Maitre de la Virgo inter Virgines

Si votre horaire vous le permet (voir plus bas) pénétrez absolument, à un jet de pierre de là, au cœur de la Maison Jonathas dont la chambre forte abrite une œuvre tout à fait exceptionnelle. Il s’agit d’un tableau de grande valeur, un panneau peint à l’huile à la fin du XVe siècle, représentant une Déploration attribué au Maitre de la Virgo inter Virgines, peintre dont on ne connaît pas le nom mais dont les œuvres qui lui sont attribuées sont, entre autres, conservées à la Galerie des Offices et au Louvre ! Auprès de cette merveille qui laisse apparaître une vierge dévastée face au Christ qu’on a descendu de sa croix, apparaît une petite couverture rouge et chiffonnée qui attire un peu notre regard. Marie Zoliaman en choisissant de reproduire ce petit objet banal, attire l’œil sur sa profonde valeur intime et ce faisant nous parle à nouveau de la précarité et de la fragilité de la vie, ce bien si précieux.

Marie Zoliaman

La biennale ne palpitera que le temps d’un battement de cils pour être plus intense cette fois encore, elle s’évaporera au soir du 15 septembre, donc ne tardez plus à l’explorer !

Infos

Biennale Miroirs#5 – Biennale d’Enghien 

31.08 > 15.09

Avenue Elisabeth
7850 Enghien

Entrée gratuite /médiation sur place

— Parking
— Gare +/- 10 minutes à pied

Le parc est accessible aux personnes à mobilité réduite, mais tous les espaces annexes ne le permettent pas.

Parc ouvert tous les jours de 14h00 à 18h00

L’église Saint-Nicolas se trouve sur la Grand Place et accessible tous les jours de 14h00 à 18h00

La «Déploration»  est à la Maison Jonathas, rue Montgomery 7. Elle est accessible tous les jours de 16h00 à 17h30

Suivez l’actualité des artistes qui participent à la biennale

 

La Province de Hainaut soutient la biennale d’Enghien via son Secteur des arts plastiques

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