Gustave Marchoul, éclairer sans relâche la gravure

26/03/2025

1050 : c’est le nombre étourdissant d’œuvres de Gustave Marchoul qui figurent à l’inventaire de la Collection du Centre de la Gravure et de l’image imprimée de la Fédération Wallonie Bruxelles. L’exposition que lui consacre jusqu’au 18 mai prochain le musée, met brillamment en lumière la complète maîtrise du graveur, en en soulignant l’infatigable pratique associée à une prolixité de sujets et techniques d’exécution.

« Celles et Ceux de Marchoul » est une proposition qui revient sur l’un des plus grands graveurs belges du XXème siècle et ne s’inscrit pas dans une approche monographique traditionnelle. Il aurait en effet été trop réducteur d’aborder ce stakhanoviste de l’estampe en ne montrant que les travaux accomplis de ses mains, quand on sait combien il semblait ne vouloir œuvrer que pour transmettre ses connaissances à  ses contemporains.

Eclairer les gestes

Le Centre pose ainsi un regard original sur cette figure charismatique et marquante en rassemblant un faisceau de pratiques très variées autour de la sienne. Aux côtés des travaux personnels de Gustave Marchoul, l’exposition met en lumière des pièces de son épouse, Blanche Gillot, et de leurs enfants pour nous faire pénétrer dans une forme d’intimité créative.  Mais le coup de maître de l’événement réside dans sa capacité à souligner combien, en tant qu’enseignant, Marchoul a influencé les artistes qu’il a formés.

On l’aborde comme un récit dont le personnage principal se place en réalité souvent en retrait, tel une ombre bienveillante attentive, stimulante et exigeante. Progressivement elle vous transporte dans une sorte de grand atelier qui réunit les recherches d’un panel de disciples ayant suivi les cours de Gustave Marchoul dans différentes temporalités.

Pour l’avertir de sa démarche originale, le musée introduit le visiteur au cœur du microcosme « marchoulien » en le confrontant à une constellation d’estampes qui forment famille tout en restant très hétérogènes. Elle nous rappelle ainsi à quel point le professeur a toujours souhaité accompagner chacun sur son propre chemin de création, de manière rigoureuse mais libre. Cette galaxie de pièces, comme la nomme Christophe Veys, Commissaire-Directeur du Musée, toutes attribuées aux élèves de Marchoul, annonce avec force l’extraordinaire diversité de productions qui va s’offrir aux regards durant la visite.

Fondateur d’une colonie

Au rez-de-chaussée, comme s’il s’enfonçait dans une faille spatio-temporelle, le visiteur papillonne ainsi à son gré au cœur d’une sélection d’estampes qui le font voyager de l’atelier des Beaux-arts de Mons à celui de La Cambre. En vagabondant entre les piliers qui soutiennent la grande salle, il croise les mondes tantôt abstraits, tantôt figuratifs, tendres ou sombres, poétiques, drôles, émouvants, d’une colonie d’artistes qui sont toutes et tous de grands techniciens et nous livrent leurs questionnements, leurs rêveries, leurs angoisses aussi parfois.

Anne Valkenborgh

Les estampes de Gabriel Belgeonne, Jean Coulon, Francis De Bolle, Paul Dumont, Anne Dykmans, Emir Dragulj, Dominiqiue Rappez, Maurice Pasternak, Anne Valkenborgh, Lea Van Heck, Anne-Marie Wittek et Anne Wolfers scandent un parcours étonnant, tant leurs gestes, leurs expérimentations, leurs univers sont singuliers. En filigrane, on imagine la constance du maître, exigeant, charismatique, dont toutes et tous aiment à souligner la nature impressionnante et inoubliable lorsqu’ils témoignent de leur relation au graveur. La sélection opérée offre un remarquable panorama sur la gravure en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Anne Wolfers

Nous avions envie d’épingler ici le travail émouvant d’Anne Wolfers diplômée en 1973 par Marchoul et qui enseignera ensuite à l’Académie d’Uccles. Derrière sa galerie de personnages et de créatures au premier coup d’œil mignons, si bien qu’on les croirait évadés d’un livre enfantin illustré, il y a souvent des récits douloureux, des moments de doute et d’angoisse. Les tumultes de la vie qui l’ont secouée sont retranscrits dans les sillons qu’elle a creusés. Un travail d’une exquise délicatesse, rond et espiègle malgré tout, toujours extrêmement minutieux.

Anne Wolfers

On peut y lire toutes les aspérités des arbres, tous les motifs complexes qui ornent les vêtements des protagonistes, les fibres duveteuses des fourrures qui protègent un adorable bestiaire. On se plonge dans toutes ces scènes en espérant être merveilleusement surpris par la magie qui s’y dissimule souvent.

À quelques mètres de là, les manières noires d’Anne Dykmans, diplômée en 1977 puis professeur de gravure, sont totalement hypnotiques. Elle y transfigure la simplicité d’un quotidien, à priori anodin, avec des sièges vides dans l’intimité d’un appartement ou face au tumulte du vent qui secoue les toiles des transats sur une plage.

Anne Dykmans

Ces scènes inhabitées sont pourtant gorgées de vie tant elles vibrent au rythme des éclats solaires et de la respiration vigoureuse d’Éole. Ses gestes maitrisés suspendent le temps pour mieux nous fasciner et l’on se perd dans l’onctuosité des nuances que prennent le noir et en creux, le blanc. Eblouissante, à contre-jour ou dans une pénombre qui s’impose artificiellement derrière un store fermé, l’haleine tiède et fragile de l’humanité palpite encore et toujours dans les images d’Anne Dykmans.

Anne Dykmans

Alain Winance, autre élève éminent de Marchoul, diplômé en 1969 avant d’enseigner à l’Académie de Tournai, a souvent hissé lui aussi le quotidien aux cimaises. Dans une sorte de mise en abîme, une de ses pièces présentées, montre un tableau appuyé au mur. Si on s’y attarde, on aperçoit que l’œuvre représentée dans cette eau forte est une composition de Gabriel Belgeonne. Une scène pleine de sel lorsqu’on sait que c’est Gabriel Belgeonne qui a remplacé Gustave Marchoul dans l’académie montoise, lorsque ce dernier a rejoint la capitale pour y enseigner.

Alain Winance

Il nous est impossible de décrire la spectaculaire mutliformité des travaux accrochés dans ces salles. Linogravure, eau-forte, aquatinte, burin, manière noire, pointe sèche, vernis mou, lithographie, etc., toutes les productions ici mises en dialogue forment une étourdissante symphonie d’impressions.

Graveur de l’extramesure

En gravissant les marches qui mènent au premier étage, on transite vers l’espace qui aborde de manière plus spécifique l’œuvre gravé du maître. Progressant, on observe une production très riche, marquée par une approche holistique des différentes techniques de gravure. Beaucoup d’œuvres syncrétisent des procédés pour inviter le regard inexpérimenté à les décortiquer et déceler derrière quels traits se cachent le burin, l’héliogravure ou la pointe sèche. La grande variété stylistique frappe l’œil, glissant de l’abstraction à la figuration, évoluant d’une certaine forme de réalisme à une approche contemplative du monde.

Gustave Marchoul

Né à Liège en 1924, Gustave Marchoul a suivi des études de dessin à l’Académie royale des Beaux-Arts de Mons avant de se former à la gravure de manière autodidacte. En 1964, il devient membre du groupe montois Hainaut Cinq aux côtés des peintres Zéphir Busine, Gustave Camus, Roger Dudant et Jean Ransy. La même année, il est aussi membre fondateur du groupe Cap d’Encre, qui a pour but de promouvoir et de diffuser l’art de la gravure.

Au fil du temps, la xylogravure étant devenue une de ses techniques de prédilection, le Centre de la Gravure nous propose de (re)découvrir quelques-uns de ses plus beaux paysages en bois gravés. Leurs titres, qui claquent comme des haïkus, nous dévoilent un peu du mystère emprisonné dans les nuances d’encres mariées entre elles : Vent et nuée, Aube d’argent, Puy d’aurore, Orage et sable.

Gustave Marchoul

Il est pris soin évidemment de retracer la formidable aventure de l’atelier de livre initiée au Musée royal de Mariemont avec Gustave Marchoul et qui se poursuit aujourd’hui encore. Ici aussi, le Centre de la Gravure enchâsse harmonieusement les fils des trajectoires de nombreuses personnes, pour composer la fresque qu’incarne « Celles et Ceux de Marchoul ».

Goûter au bonheur créatif

Parallèlement à cette valorisation richement documentée et mise en scène, et après de nombreux mois de recherches, le Centre de la gravure livre un nouvel objet didactique et amusant aux visiteurs de tous les âges. Au cœur des salles, comme un grand pachyderme en sommeil, une énorme table blanche appelle le public à venir la triturer. Sur son dos, des tampons, des encres colorées, des matrices aux multiples motifs gravés attendent d’être manipulés, superposés, emboités, pour faire naître de petites œuvres, inspirées des bois gravés de Marchoul que les artistes visiteurs pourront emmener dans leurs poches.

Proposer d’expérimenter l’art du multiple en étant entouré d’œuvres exceptionnelles n’ambitionne pas la naissance de vocations pour la gravure ou l’impression. Il est davantage question ici de montrer combien cet art parfois boudé parce que considéré comme avant tout technique, est stimulant, ludique et digne de toute notre attention. Au gré des expositions, les supports didactiques à animer seront régulièrement transformés pour mieux entrer en résonnance avec les particularités de tous les artistes qui se succèderont aux cimaises.

Activités

Une foule d’animations et activités entourent l’événement.

Visites guidées, stages pour petits et grands, ateliers ouverts, dimanches de « supergratuité », conférences, etc. : pour ne manquer aucun de ces événements, abonnez-vous aux réseaux sociaux du Centre de la Gravure, via Facebook ou Instagram, vous pouvez aussi noircir les pages de votre agenda en surfant sur son site internet.

Ne manquez pas lors de votre passage le voyage en Collection #4 qui vous propose de découvrir quelques autres trésors de la Collection du musée. Et puis notez déjà que du 6.04 au 18.05 prochain, le Centre de la Gravure accueillera la Biennale Motamo, biennale du livre d’enfant, sous le titre « Fabulinamo » dont le magnifique visuel est l’œuvre de Mathieu VanAssche, lauréat du Prix de la Gravure et de l’image imprimée en 2021.

Infos

Exposition du 25/01/2025 au 18/05/2025

Centre de la Gravure et de l’Image imprimée

Rue des Amours, 10

B-7100 La Louvière

centredelagravure.be

+32 (0) 64 27 87 27

 

 

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