Depuis quelques jours, les gentils martiens, chats complotistes et autres caniches fumeurs de la plasticienne Laurence Gonry, aka Space Paf Paf, occupent les cimaises d’une petite salle d’exposition affublée du plus joli nom qui soit : la Galerie du Lapin perdu (galerie du centre-ville de la maison de la culture de Tournai).
Aucun lieu ne pouvait espérer mieux accueillir le paysage intime décalé et espiègle de l’artiste virtonaise, totalement touche-à-tout. Situé à l’orée du ventre bouillonnant de la création qu’est l’Académie des Beaux-Arts de Tournai, l’écrin d’exposition s’est métamorphosé en un monde peuplé de créatures à la fois curieuses et familières. Ses habitants anthropomorphes, nous renvoient à l’époque douce et insouciante d’une enfance vécue durant les seventies, avec des couleurs saturées, des motifs assumés et un léger parfum de transgression.
Nous sommes allés à la rencontre de Laurence Gonry et de sa joyeuse troupe dans le cadre d’une animation menée par notre Secteur des Arts plastiques pour les élèves du Lycée provincial de Hornu-Colfontaine. Nous en avons profité pour discuter avec elle de sa pratique.
Un chemin multidisciplinaire
Cette infatigable narratrice déploie son univers merveilleux en jonglant avec des outils variés. La gouge, l’aiguille, le crochet, le papier se succèdent dans ses mains averties pour donner naissance à des scènes d’une hallucinante diversité. Tous les sujets qu’elle met en situation possèdent un prodigieux pouvoir narratif qui a le don de transporter quiconque les observe.
Il faut souligner que le parcours d’apprentissage de la plasticienne est plutôt long. Après être sortie diplômée de Saint-Luc à Liège, suite à un cycle de graphisme qu’elle complète par une formation en infographie, une expérience peu excitante de graphiste professionnelle au Luxembourg, la mène vers la gravure. Elle reprend alors le chemin de l’atelier pour un Master à La Cambre. Profondément attirée par le multiple, elle apprivoise ensuite les techniques de la sérigraphie à l’Académie de Watermael Boisfort.
Elle a fondé ensuite avec d’autres artistes le collectif Balaclava, y développant une pratique à la fois profondément ancrée dans le collectif et pourtant terriblement singulière. Aujourd’hui, Laurence Gonry aime animer des ateliers avec des publics variés et est très impliquée dans la transmission puisqu’elle est la référente PECA au sein de l’école où elle enseigne. Depuis plusieurs années, elle est également l’une des nombreux.ses « Artistes à la classe » qui est ce programme de sensibilisation du jeune public aux différentes formes d’art imaginé par nos collègues du Secteur des Arts plastiques. Un protocole qui propose aux enseignants de faire entrer tour à tour dans leurs classes, des œuvres d’art appartenant à la collection provinciale et les plasticiens qui les ont produites, pour établir des ponts entre la culture et les écoles.
Il était mille fois des histoires
Laurence Gonry possède un langage personnel bien cohérent et facilement identifiable. Inspirée par mille et un thèmes issus tant de la littérature jeunesse que des peintures du moyen âge, des films d’anticipation des années 50 à 60 ou encore du design nordique, Space Paf Paf aime expérimenter les mariages improbables, varier les niveaux de lecture, titiller les rêves d’enfance des uns et attiser la curiosité des autres. Grande adepte de la personnification , « parce que la beauté animale est plus intéressante à représenter que les figures simplement humaines », la graveuse, brodeuse, crocheteuse prend visiblement beaucoup de plaisir à explorer ad libitum toutes les suggestions que distille son esprit vagabond.
Dans la Galerie du Lapin perdu, carapace bienveillante aux allures de petit salon vintage, le public se déconnecte de sa réalité quotidienne et baigne pour un instant dans un entre deux magique et décalé. Là, parmi les caniches surdoués, lecteurs assidus, adeptes du paddle, gourmands et facétieux, chacune et chacun se prend à rêver à d’autres possibles en bichromie rose fluo et vert sapin. Aux cimaises, de joyeuses troupes ordonnées par séries nous invitent à divaguer au rythme des techniques qu’elles incarnent sous nos yeux.
Un ensemble d’estampes japonaises forme une nuée de visages dont les regards nous observent avec malice. Creusées avec une grande maitrise dans des planches de tilleul, toutes ces bouilles aux traits méthodiquement simplifiés nous sont vaguement intimes. Les lapins en tricot des contes de fée, oiseaux communs de nos forêts, jeunes filles hybrides aux oreilles de biche, de renard ou de chat resurgissent d’un Eden enfantin bercé d’insouciance. Leurs aplats colorés, leurs décors ciselés, leurs pommettes saillantes ont une saveur délicieusement désuète que renforce la dentelle délicate des encadrements qui les ornent.
L’art de sublimer le motif
Amatrice de littérature jeunesse, Laurence Gonry orchestre dans ses compositions risographiques claquantes des caméos délicieux où apparaissent tour à tour Pezzi, Snoopy ou le service à thé du chapelier fou d’Alice. Attestant d’un insatiable besoin de créer, elle fait se succéder devant nos pupilles un cortège d’animaux personnifiés aux occupations plus étonnantes les unes que les autres : ici un colporteur de coquilles d’escargot, là un chat chevauchant un chat, plus loin un minou mignon sous le jet de sa propre queue-pommeau de douche…
Partout dans ses créations sérielles règne la symétrie des motifs, le contraste des couleurs, un regard alternatif et une touche formelle qui rappellent les somptueux tableaux cinématographiques de Wes Anderson.
Quand elle s’extraie de la couleur, maitrisant à merveille l’art du sillon, l’artiste parvient dans ses linogravures à livrer aux regards des scènes noires d’une grande harmonie. Enchevêtrement de détails dans ses décors sophistiqués, vortex créatif comme dans cette pièce où le chat observé par des chats est accompagné par un chat qui regarde un chat dans une soucoupe volante… Epuiser indéfiniment un thème, pour se rendre compte qu’on n’a pas encore tout expérimenté à son sujet... voici sans doute comment on pourrait résumer la pratique de Space Paf Paf… Lorsque les mots s’en mêlent, et qu’apparaissent les sous-titres, le regardeur se perd dans un abîme follement amusant ! Comme dans cette composition dont les protagonistes félins sagement assis se révèlent être des complotistes prêts à lancer leurs grenades…
Vers l’objet
Dans les parages de ces bandes qui font familles, on croise d’autres créations moelleuses, finement crochetées ou brodées. Omniprésentes, elles soumettent leurs volumes étonnants à nos scrutations. Ce sont des coucous laineux impatients de nous servir le thé ou des petites amulettes ensommeillées, prêtes à jaillir de leur vitrine-sarcophage.
Renards, pingouin, caniches, escargots attendent leur moment, sans doute un peu troublés par l’aura intrigante du grand triptyque au fusain, qui accueille le public.
Des oeuvres plus sombres qui renvoient au cinéma de science-fiction avec ses soucoupes volantes, ses forêts mystérieuses peuplées d’êtres paranomaux. On se réjouit d’apprendre que Laurence Gonry envisage d’expérimenter un peu plus la 3D en s’essayant bientôt à la céramique, accomplissant de la sorte une envie qui lui est chère… à suivre donc !
Infos
Pour conserver un peu de la substance poétique que sécrètent les mains de Laurence Gonry, une boutique en ligne existe. On y trouve des tirages de toutes sortes, des fanzines et même de petites broches brodées crées à la machine par l’artiste. N’hésitez pas à passer découvrir son travail à Tournai et suivez-la sur Instagram !
Par ailleurs, si vous avez des questions au sujet du Programme l’artiste à la Classe, rendez-vous sur notre site internet ou contactez nos collègues du Secteur des Arts Plastiques.
Enfin, pour découvrir toute la programmation de la Maison de la Culture de Tournai, rendez-vous ici.
7500 Tournai, Belgique
Gratuit, dès 3 ans
Ouverture
Du mercredi au dimanche de 14h à 18h