Depuis le 22 août Lauriane Belin est en résidence d’écriture à la Maison Losseau, siège du Secteur Littérature de la Province de Hainaut. Elle sera ce dimanche 10 septembre au Mill de 14h à 18h pour la clôture de l’exposition D’abord (après) qu’elle y a proposée durant tout l’été, avec le soutien de notre Secteur des Arts plastiques, dans le cadre de la biennale Artour. À vrai dire le mot « exposition » ne restitue pas précisément les intentions de la plasticienne en escale à La Louvière. Pour frôler au plus près sa proposition, nous soufflerons plutôt qu’elle y présente l’état d’avancement des explorations menées par le Centre des Recherches Infinies (C.R.I.) depuis 2021. Nous vous invitons vivement à aller échanger avec cette artiste si sensible aux liens interhumains.
Une griotte pour les anonymes
Lors de notre entretien, cette raconteuse passionnée évoque généreusement sa pratique, sans jamais verser dans l’autofiction narcissique ni l’hagiographie autoproclamée. Elle nous fait glisser lentement à ses côtés dans le Centre des Recherches infinies qu’elle conduit avec sincérité et délicatesse.
Je respecte tout ce qui est de l’ordre de la tradition orale, je ne veux pas officialiser les choses. Et lorsqu’on m’appelle pour confier des histoires personnelles, sur lesquelles on me permet de travailler, je les conserve en mémoire, je les évoque par bribes parfois, dans l’intimité d’une visite mais je ne les restitue pas telles quelles lors des expositions. Mon moment de bonheur est quand je suis un prétexte à la rencontre, quand je parviens à créer un cadre pour parler de choses parfois délicates.
Révélée à elle-même
Le verbe volubile de Lauriane Belin dissimule sa pudeur, et lors de notre entretien nous ne déchirons pas le voile de son intimité essentielle. Modestement, elle souhaite que son œuvre s’incarne précisément dans le collectif et son cheminement académique a été sans doute déterminant dans la manière dont elle travaille aujourd’hui. Diplômée d’une Licence en Industries culturelles, art et société (Université de Lille3), Lauriane Belin est d’abord une prodigieuse médiatrice : ce qui la fait vibrer c’est l’échange avec le public. Elle a poursuivi son cursus au sein de l’atelier de Laurence Dervaux à l’Académie des Beaux-Arts de Tournai dont elle est sortie diplômée en juin 2022.
Je suis issue d’une section pluridisciplinaire où j’ai appris l’autonomie. Sans avoir de technique de prédilection, on m’y a proposé de toucher à tout et surtout de développer des projets. Il fallait du temps pour concrétiser une proposition comme celle qui m’habite et jamais elle n’aurait pu voir le jour si j’avais uniquement étudié les techniques de peinture par exemple. Evidemment j’ai parfois des frustrations, mais il me semble que si j’avais complètement maîtrisé une discipline, je n’aurais probablement jamais créé le Centre des Recherches Infinies.
Quand la retraite forcée est féconde
Comme ce fût le cas de nombreux plasticiens privés de l’autorisation d’exposer, la pratique de Lauriane Belin a été chahutée par la crise sanitaire. Etudiante aux Beaux-Arts, elle prépare son jury, cloîtrée chez elle dans un monde confiné, où tout est annulé. Elle entreprend alors l’enregistrement d’une émission de radio fictive qui consiste en un long entretien avec elle-même au cours duquel elle décrit toutes les expositions qu’elle rêve d’avoir faites. Allez trop vite est un podcast qui condense ce travail d’introspection né durant cette période assez sombre qui s’étend sur près d’un semestre. Cette pépite sonore, drôle et stimulante est ré-écoutable sur Soundcloud.
Après cet épisode de claustration, le ciel s’éclaircit et le ronronnement vital des académies reprend. Les étudiants sont finalement autorisés à envisager une monstration. Lauriane Belin reprend la préparation de son jury, et présente l’exposition Partir au Milieu, tentatives de rendre réelle l’exposition rêvée durant un mois et demi à la Galerie du Lapin perdu à Tournai. Elle donne alors une conférence intitulée, Pour finir, une intervention qui souligne comment devrait se présenter une exposition rêvée qui en fait est une mise en scène de toute une série d’objets à des degrés divers d’avancement. Selon elle, l’exposition n’est pas un aboutissement, mais plutôt destinée à montrer l’évolution d’une sorte d’œuvre collective et infinie en devenir.
Une reconnaissance précoce et inattendue
En octobre 2021, Lauriane Belin doit faire un exercice dans le cadre de son cursus, qui consiste en l’envoi d’une demande de prix. A ce stade, l’ensemble du dispositif du CRI est encore en gestation en elle, mais elle commence à compléter le dossier de candidature pour le Prix du Hainaut, s’agissant d’un simple exercice pour elle.
Les choses se sont ensuite enchaînées, et j’ai pensé, puisque je l’avais complété, qu’il était simple pour moi de l’envoyer. L’appel se clôturait en mai 2022. C’était un peu présomptueux puisque mon book était assez radical, mais j’ai déposé mon dossier le 28 avril et le jury du Prix a retenu ma candidature parmi la liste des finalistes. C’est plus tard, quelques jours avant mon exposition de jury de fin d’année à Tournai, que j’ai trouvé comment exposer, en composant ces cartels qui définissent mes recherches.
Traditionnellement, le nom du lauréat du Prix du Hainaut des Arts plastiques est dévoilé le soir du vernissage de l’exposition des finalistes. Pour l’édition 2022, les artistes sélectionnés exposent aux anciens Abattoirs de Mons, et le Centre des Recherches infinies a fait escale aux côtés des pièces de Coralie Domiter, Diego D’Onofrio, Camille Dufour, Keinoudji Gongolo, Thomas Istasse, Juliette Karlsson, Gladys Siddi, Maxime Van Roy et WIP collective.
Le 30 septembre, soir du vernissage, j’étais persuadée de ne pas l’avoir ce prix, en raison de la nature particulière de mon projet qui est profondément basé sur le lien alors que le Prix du Hainaut est un concours entre des artistes. Je me rappelle être allée me promener seule dans Mons, munie d’un cartel car j’avais repéré une faute d’orthographe dans une de mes recherches. J’étais seule et anxieuse. Au moment de la proclamation, j’ai été terriblement surprise, c’était totalement inattendu parce qu’il s’agissait pour moi d’un projet naissant, même si j’avais eu des retours très positifs de mes profs aux Beaux-Arts. J’avais même rangé tout mon atelier, imaginant que j’allais passer à autre chose. Et puis finalement, j’ai réinstallé mon espace de travail, pour poursuivre le projet, car j’ai reçu énormément de messages liés aux recherches présentées lors de l’exposition du Prix du Hainaut des Arts plastiques. D’autres expositions du CRI ont suivi, comme celle qui se tient à La Louvière dans le cadre de la Biennale Artour.
Une impulsion continue
Pour approcher l’intention de la plasticienne, il faut se familiariser avec le Centre des Recherches infinies. Derrière cette dénomination repose une utopie, celle de construire collectivement et sans limite, une constellation artistique nourrie par la sensibilité de tous… Ce mirage étant lui-même gigogne, il n’est qu’un prétexte à la concrétisation de rencontres entre Lauriane Belin et les quidams qu’elle intrigue. Le fruit de toutes ces interactions constitue la substance du projet artistique et son résultat transitoire, jamais fini. Les personnes qui contactent la plasticienne dans le cadre des recherches ouvertes sont invitées lorsque les pièces auxquelles elles ont contribué sont exposées, nourrissant alors de nouvelles interactions, voire d’autres idées de recherches, dans un flux perpétuel.
Un centre pour chercher quelqu’un et non quelque-chose
Le Centre des recherches n’est pas un organisme où convergent les travaux d’un ensemble de protagonistes. Ici, c’est l’idée poétique d’une exploration humainement infinie qui innerve le propos. Certes, il y a bien un rigoureux petit carnet d’inventaire qui condense l’ensemble des propositions formulées par Lauriane Belin et inlassablement nourries par les rencontres qui jaillissent dans le laboratoire du CRI. Mais ce livret, loin d’être un outil froidement protocolaire est truffé d’une prose tendre et légère qui transforme l’exercice monotone de l’inventoriage en un succulent bouillon littéraire. La série de souhaits ainsi répertoriée attise la sensibilité du visiteur-lecteur, qui se retrouve embarqué lui aussi dans une sorte de doux mouvement d’ensemble. Et quand on l’interroge sur la nature méthodique de son projet et la pratique traditionnellement scientifique de l’inventaire, Lauriane Belin est tout-à-fait claire :
J’ai horreur des jobs administratifs où il est pénible selon moi de devoir établir des statistiques superficielles. Jamais je ne travaillerai de cette manière pour le CRI. Ici j’utilise des prénoms dans mes cartels par exemple, parce que c’est l’humain qui est au centre de mon propos. Selon moi, l’art c’est toujours le dedans de quelqu’un qui se fait voir à quelqu’un d’autre, et donc il y a toujours une forme d’échange. Et ma spécialité à moi c’est d’écrire et de rencontrer des gens. C’est la seule chose qui m’importe. Je reçois chaque semaine des messages de personnes qui ont envie de m’accompagner dans ce projet, car mes coordonnées personnelles figurent sur tous les cartels d’exposition.
La plume pour nous incliner
Lorsque la voix de Lauriane Belin s’efface, sa présence continue à se manifester en se pétrifiant dans les mots. Ce sont les lettres aboutées sur les cartels, qui sécrètent doucement les recherches pour lesquelles la plasticienne espère qu’on la contacte. Des quêtes parfois étonnantes, toujours exposées brièvement, avec une simplicité désarmante. Ces propositions découlent de l’imagination de l’artiste mais sont souvent induites lors des rencontres organisées par le truchement du CRI. Comme par exemple la recherche intitulée 30 proposée au MILL via une installation mettant en scène une série de moulages de balles en plâtre et qui précise : « Je recherche des dizaines de balles ayant marqué quelques moments solitaires ou collectifs de l’enfance pour augmenter considérablement le début de ce qui se devrait être une installation gigantesque composée d’une centaine de moulages en plâtre de ces dernières et dont le titre est déjà À quoi jou(i)ons-nous ? »
Une installation dont l’idée fait suite à une rencontre durant laquelle il lui a été confié tout le bonheur qu’on pouvait éprouver à jouer avec une balle de tennis dans une véranda. Un magma mémoriel animé de sensations diverses est cristallisé dans cette pluie de balles de plâtre. Lauriane Belin nous invite à le compléter pour nous contaminer et nous faire entrer à notre tour dans ce projet choral qui transcende nos individualités.
Le manque pour nous relier
L’absence et la perte sont des thèmes qui irriguent le travail de Lauriane Belin. Elle a d’ailleurs reçu le prix Roger De Conynck pour son projet de portraits photographiques autour de la perte (un être cher, un objet, un sentiment) qui visait à souligner la valeur du présent mais aussi du souvenir et à encourager l’échange.
Tout ce qui est de l’ordre de l’existence et du fait de vivre ensemble m’intéresse parce que ça crée du dialogue. Généralement on se parle de nos manques, et c’est aussi pour cela que ce projet est plein de manquements, parce que les manquements amènent des recherches qui amènent des rencontres. Durant mon cursus je me suis rendue compte que je n’éprouvais pas de satisfaction particulière à achever certains projets, mais j’ai aussi réalisé que je pouvais éprouver de la joie en y incluant du rêve. Ce rêve, ces lacunes, me permettaient d’amener l’autre, à s’inclure dans le travail.
L’objet pour produire des repères
Constamment en état de réflexion, comme si elle était détachée du monde, l’artiste reste extrêmement enracinée dans la simplicité et la fragilité du quotidien. Elle ancre sa pratique dans le concret et est soucieuse de créer des objets tangibles, même si elle affirme n’être experte dans aucune technique. La plasticienne est sincèrement prête à tout expérimenter, s’il s’agit d’amorcer de possibles liaisons avec l’autre.
Ma spécialité c’est d’écrire et de rencontrer des gens, parce que j’aime ça, même si c’est difficile parfois, c’est la seule chose qui m’importe. Ces rencontres doivent pouvoir donner lieu à des productions plastiques, pour d’une part rassurer les personnes qui voudraient participer au projet, les mettre en confiance. Et aussi parce que même si l’objet ne constitue qu’un millième de la rencontre, il sert de témoin, de trace de ce moment d’échange avec les personnes.
Ainsi, à l’image de cette miniature du plus grand sac de courses en cordage jamais conçu, contenant les moulages en plâtre de choses superflues et déposé au pied des bas reliefs taillés par Ianchelevici, tous nos souvenirs les plus espiègles peuvent être réunis grâce au Centre des Recherches infinies, le temps d’une exposition, pour que s’éveille une nouvelle communauté onirique.
Pour rejoindre le Centre des Recherches infinies
Afin d’attiser votre imagination, nous épinglons ici, deux recherches issues de l’inventaire dressé par Lauriane Belin. N’hésitez pas à la contacter si vous pensez pouvoir répondre à l’une d’elles.
- Je recherche des gens de tout type en possession de vêtements bleus, blancs et jaunes, pour incarner la Vierge dans le cadre d’une série de 7 photographies grandeur nature déjà appelée Virgin polyphony, reprenant certains des codes qu’on lui a attribués, en les mêlant à des codes vestimentaires contemporains
- Je recherche des dizaines de balles ayant marqué quelques moments solitaires ou collectifs de l’enfance pour augmenter considérablement le début de ce qui se devrait être une installation gigantesque composée d’une centaine de moulages en plâtre de ces dernières et dont le titre est déjà À quoi jou(i)ons-nous ?
Rejoignez la plasticienne le 10 septembre au Mill, pour qu’elle vous conte l’épopée de ses multiples recherches et pour peut-être participer à l’une d’elle. L’inventaire du Centre des Recherches infinies fait l’objet d’une réédition régulière, en voici la dernière version illustrée cette fois et datée du 21 juin, qui vous permettra d’envisager un espace de rêve à l’unisson avec Lauriane Belin.
Infos
Lauriane Belin
50, rue Roc Saint-Nicaise (7500, Tournai)
Téléphone : 0475 62 53 18
Mill
Dimanche 10.09 entre 14 et 18h
Place communale 21
7100 La Louvière
064 28 25 30
info@lemill.be
Daisy Vansteene, Chargée de Communication auprès de Hainaut Culture