Jusqu’au 22 septembre prochain, le Centre KERAMIS nous suggère de goûter à la quiétude d’un paisible jardin imaginaire en arpentant les scènes de l’exposition Les bucoliques, allégories du vivant.
Cette proposition qui entre parfaitement en résonance avec l’approche internationale actuelle de la céramique figurative, est traversée par les questionnements liés à l’écologie, aux crises climatiques et celles de l’existence d’une ère anthropocène. Éloignée d’une simple approche contemplative, elle témoigne de la manière dont les plasticiens envisagent leur milieu de vie et leurs interactions avec lui. On y observe les œuvres d’un peu plus d’une vingtaine d’artistes, et notamment les réalisations étonnantes d’Elisabeth Lincot, qui était récemment en résidence à KERAMIS.
Toutes les créations mises en scène par le Commissaire Ludovic Recchia ont ceci en commun qu’elles sont nourries par une forme d’engagement tantôt poétique ou politique et soulèvent nos interactions avec cet immense jardin qu’est la terre.
La poésie pastorale, source universelle d’inspiration
Notre point d’ancrage pour cette exposition est le texte de Virgile « Les bucoliques » et cette forme d’héritage de l’antiquité qui traverse complètement notre rapport à la nature en occident. Dans cette œuvre poétique, écrite en quelque sorte à la fin d’une ère et à l’aube d’une autre, la nature est idéalisée et l’espoir d’une paix universelle apparaît en filigrane. Elle reste inspirante pour chacun de nous, dans le contexte chaotique que nous traversons et nous permet de garder l’espoir dans un monde meilleur. Elle nous invite aussi à ré-enchanter le rapport de l’homme à son environnement, souligne Ludovic Recchia, Administrateur délégué de Keramis.
Montrer aussi la fragilité d’un patrimoine artistique
L’exposition s’ouvre sur une très belle fresque murale extraite d’une demeure privée et récemment offerte au Centre KERAMIS. L’œuvre de Théophile Fumière est un tableau allégorique d’un paysage estival, mettant à l’honneur quelques moutons et têtes de béliers, symbole de fertilité et de force.
Plus loin un ensemble de petites pièces provenant des collections du Musée royal de Mariemont, elles aussi allégories des saisons, sont de merveilleux exemples de transposition de la poésie pastorale dans des scènes de porcelaine européenne. Elles cohabitent formidablement avec une œuvre naïve et adorable de Roland Dutel. Prêtée par la Piscine de Roubaix, cette pièce contemporaine illustre, elle aussi, les joutes verbales des poètes bergers.
Toujours dans cette vitrine on peut admirer une représentation en biscuit d’une leçon de flageolet qui garde les stigmates de son sauvetage des flammes. Elle a en effet été arrachée à l’incendie de 1960 qui a causé la destruction d’une partie des trésors que conservait le musée créé au départ des collections de Raoul Warocqué.
Un caléidoscope d’observations du paysage
Après ce prologue délicat, c’est un formidable ensemble de tableaux qui s’offre aux visiteurs dans une immense salle baignée de lumière et ouverte sur le panorama urbain. Toutes les scènes qui semblent s’animer indépendamment grâce à la vision des plasticiens, une fois réunies, forment un ensemble très cohérent. Comme de petites clairières poétiques aboutées, elles nous restituent un monde idyllique pétrifié, prêt à vibrer au moindre signal.
Il y a d’abord ce dialogue entre une œuvre de Roland Topor prêtée par la Province de Hainaut et une installation proposée par la céramiste Charotte Coquen. Une narration qui nous dévoile où le nouveau monde prend sa source : c’est au cœur du ventre des femmes, si bien représenté par ce tandem d’artistes que KERAMIS a unis le temps des Bucoliques.
Plus loin, les pieds délicats d’une petite nymphe se sont posés sur les fleurs qui tapissent une forêt peuplée d’animaux magiques. Cette exquise œuvre de Valérie Delarue est associée à une sélection de dessins. L’ensemble exécuté par l’artiste polymathe au moyen de ses pastels et de la terre qu’elle façonne admirablement, restitue pour nous un éden où l’on aimerait se perdre.
Une autre œuvre magistrale, à l’histoire passionnante, est la fresque au fond noir, composée de dizaines de carreaux de céramique et qui s’étire sur plusieurs mètres. C’est la première fois depuis de nombreuses années que cette pièce est présentée au public. Elle ornait initialement le tablier du bar du Belvédère, brasserie située à Dour. Une pièce monumentale qui représente des poissons et un hibou et qui est l’œuvre de plusieurs mains, puisqu’elle a été créée notamment par Roger Somville et Marie-Henriette Bataille. Il s’agissait alors d’une commande d’Emile Cavenaile qui, très impliqué dans la restauration de l’industrie céramique wallonne après la seconde guerre mondiale, avait fait installé un atelier de céramique sur le site du Belvédère.
Elle illustre parfaitement cette intention à l’époque d’amener dans le quotidien du monde ouvrier de la beauté, en produisant des objets utilitaires et en introduisant des œuvres d’art dans l’espace collectif. La plupart des fresques des ateliers de Dour ont aujourd’hui disparu, mais celle-ci a pu être conservée grâce aux précautions prises par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui a fait démonter l’ensemble qui vient d’être restauré avant de rejoindre les collections du centre KERAMIS.
La déambulation se poursuit au cœur ce grand jardin onirique, avec un ensemble de pièces qui cohabitent sur un épais nid de copeaux. Les travaux de Arnaud Vérin, Manuel Sanchez Algora, Marc Alberghina, Clémence Van Lunen ou encore Coline Rosoux nous parlent du temps qui passe, de quiétude, mais aussi de magie, de couleurs et même du vacarme de la modernité qui s’incarne parfois dans de drôles de machines.
Plus loin est installée une scène du collectif île/mer/froid dont la pratique se manifeste par la conception d’un système de production complet. Leurs travaux s’envisagent comme une sorte d’écologie artistique, où chaque étape tient compte de de son propre impact sur le milieu.
L’univers aux formes incomparables de Johan Creten est lui aussi mis à l’honneur dans cette exposition, par la présentation d’une sorte de bestiaire constitué d’êtres magiques ou réels. Dragon ; hippocampe, aigle, brebis, etc trônent sur des socles colorés produits par l’artiste.
Les murmurations d’Elisabeth Lincot
Lorsqu’il rejoint le rez-de-chaussée, le visiteur est accueilli par une sorte de colonne fabuleuse qui vacille sous le poids d’une force vitale jusqu’à se tordre en deux. Il s’agit d’une œuvre modelée par Elisabeth Lincot, diplômée de l’école des Beaux Arts de Paris. L’artiste qui a gagné le prix résidence jeune céramique des Amis de Keramis l’a exécutée au cours des derniers mois dans l’atelier louviérois.
Cette pièce s’inscrit dans une série que j’appelle les explosions d’oiseaux et qui sont en quelques sortes des nuées, des amalgames de différentes formes qui créent à leur tour d’autres ensembles que je trouve dynamiques. Pour moi ce sont des pièces chimériques dans le sens où, comme les nuées d’étourneaux, elles peuvent prendre de très nombreuses formes. Celle-ci est hybride car j’ai souhaité y ajouter des éléments renvoyant à l’eau, à quelque-chose de gluant ou tentaculaire, ou parfois poilu. Je désirais qu’elle apparaisse comme une observation à mener de plusieurs manières, comme une exploration entreprise au bord de l’eau et qui se transforme au gré des changements de points de vue du public. Elisabeth Lincot.
L’objet qui s’étire nous entraîne lentement vers un état de rêve éveillé. Ses couleurs bubble-gum, bleutées, orangées reproduisent celles du ciel de La Louvière que l’artiste a pris le temps d’observer dans son atelier-laboratoire éphémère. Une première impression paisible, lisse et légère cède progressivement la place à une sensation déroutante. En effet, la base de la pièce enracinée dans une étendue sombre révèle une tension.
Comme engluée dans une grande marre noire et visqueuse, les deux extrémités de ce dispositif, forment un u inversé. Des piles qui se rejoignent pour structurer une arche ciselée mais solide. Toute la candeur lumineuse de ce magma énergique est happée par un sol brillant, plastique, huileux. La colonie volatile frôle une dense flaque goudronneuse qui reflète à son tour l’agglomérat d’ailes en mouvement. Les fragments de corps de centaines d’oiseaux amoncelés sont tendus vers le ciel comme une promesse de liberté. La puissante explosion de vie où s’entrechoquent plumes, muscles, et os légers semble condamnée à ne jamais rejoindre la douceur pastelle des cieux. Pourtant ce flux tumultueux ne se résigne pas à sombrer, il continue sa murmuration, et respire dans un entre-deux poétique et scintillant.
Lorsque j’ai démarré cette résidence, j’avais en tête de travailler autour de l’univers du jardin, dans le sens où il est pour moi le théâtre des interactions directes, quotidiennes, intimes entre l’humain et la nature environnante. Il s’agit du lieu où commence l’observation pleine de promesses et de mystères de la nature. J’avais plus particulièrement envie de travailler autour d’un jardin magique, imaginaire. Je me suis penchée sur le Jardin des Délices de Jérôme Bosch, habité par des oiseaux, et toute une série de petites scénettes, qui sont des prétextes à la rêverie. Elisabeth Lincot.
Cette pièce est entièrement modelée et est autoportante. Au-delà de sa force poétique, il est important de souligner la prodigieuse dextérité de la jeune plasticienne qui l’a créée in situ, au rythme de plusieurs courts séjours au sein des ateliers KERAMIS. Ce travail qui forme un chapitre artistique à lui seul s’inscrit résolument dans les recherches d’Elisabeth Lincot.
L’artiste pluridisciplinaire aime travailler sur les interactions entre la nature et les êtres humains et s’est passionnée très jeune pour l’observation des animaux et des végétaux, étudiant les humains, comme des formes de vie à considérer sur un même plan que toutes les autres espèces vivantes. Une vision distanciée des hommes qui lui permet sans doute de souligner d’autant mieux la force et la résilience du milieu naturel. Son propos engagé contre l’idée d’une féminité synonyme de fragilité oppose une vision puissante de la femme qui possède selon elle une immense capacité à se renouveler et la force de s’ancrer contre vents et marées pour que survive l’humanité dans son ensemble.
Une étrange fantasmagorie
Avant de quitter cette parenthèse bucolique, nous avions envie d’épingler encore deux merveilleuses pépites. Elles ont été façonnées par la sculptrice Carolein Smit. Ces pièces sont fascinantes à plusieurs égards. Leur côté grotesque à la croisée d’un freak-show et d’un conte de fées est déroutant. Mais c’est sans doute leur pouvoir hypnotique renforcé par un souci délirant du détail que l’artiste amène dans son travail qui retient l’attention. Ses créatures hybrides tout aussi attirantes qu’intrigantes sont terriblement émouvantes.
Qui est donc ce petit faune couvert d’une épaisse toison qui semble se reposer sur une souche d’arbre et dont le dos écorché est couvert d’étranges tatouages ? Il est accompagné d’une licorne fantomatique qui a immobilisé sa carcasse sur un éperon richement fleuri. Une énorme digitale, symbole de l’ardeur au travail, semble nous confier que la créature magique s’est un peu trop tuée à la tâche avant d’atteindre le jardin de son éternel repos.
De nombreuses autres œuvres sont à admirer au sein de cette exposition que nous vous encourageons vivement à expérimenter.
Activités et fidélité
Plusieurs activités émailleront encore cet été. Stages, animations, workshop, visites guidées, etc .
Pour n’en manquer aucune, nous vous invitons à visiter le site internet de KERAMIS.
Notez que le musée vous accueille gratuitement le dimanche 4 août et qu’une visite guidée de l’exposition est prévue le 25 août prochain, de 14h à 16h.
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En voici quelques-uns que nous suivons dès à présent !
Infos
Keramis – Centre de la Céramique de la Fédération Wallonie-Bruxelles (asbl)
1 Place des Fours-Bouteilles
7100 La Louvière, Belgique
info@keramis.be
0032 64 23 60 70
Ouverture : ma 9-17h, me-di 10-18h