Vous l’aurez sans doute remarqué, plusieurs expositions dans le Hainaut commémorent en ce moment les 100 ans du surréalisme. C’est en effet en 1924 que paraît à Paris le Manifeste d’André Breton, et même si son texte ne correspond pas à proprement parler à l’acte de naissance du mouvement surréaliste, il pose une balise séquentielle importante à qui veut en étudier la genèse.
Le Centre Daily Bul & co a lui aussi choisi d’aborder de manière originale l’histoire de ce phénomène qui a instauré une ère de bouillonnement artistique libertaire de manière durable. Explorant, la manière dont il s’est progressivement implanté en Belgique, puis à La Louvière, les recherches menées par son équipe scientifique aboutissent à un panel de propositions mettant en lumière des pépites issues notamment de ses Fonds. Ces documents exceptionnels dialoguent avec une impressionnante sélection d’œuvres produites par plus de septante artistes, allant de Pierre Alechinsky à Robert Willems en passant par Emelyne Duval ou Claire Kirkpatrick. Dans une approche résolument actuelle et en profonde cohérence avec les valeurs de liberté qui gravitent autour de la pensée Bul et plus largement du surréalisme, la plasticienne Luna Lambert a été associée à cet événement par le Centre Daily Bul & co, sur une proposition de notre Secteur des Arts plastiques, partenaire du projet.
Une insatiable collectionneuse de l’instant
Diplômée de l’Académie des Beaux-Arts de Tournai, elle entend depuis plusieurs années, à travers ses multiples pratiques, inviter chacune et chacun à porter un regard alternatif sur les images et les récits qui habitent leur réalité. Passionnée par la sémiologie et les infinies possibilités de discours qu’offrent les objets ou les signes, elle développe avec assiduité de nombreuses expérimentations qui prennent régulièrement la forme de collections qu’elle envisage de manière participative. Son travail relève d’une forme de militantisme, dans la mesure où non seulement la plasticienne réfléchit à l’inclusion de la culture populaire dans l’art contemporain, mais aussi parce qu’elle cherche à restituer l’art aux classes populaires. Son but affirmé n’est en aucun cas de « poétiser le quotidien », concept qu’elle considère comme totalement galvaudé. D’un point de vue politique l’idée de poésie du quotidien pose selon elle le problème des conditions matérielles, et donc des privilèges, qui permettent la mise en œuvre de cette esthétique. Malgré tout, il faut l’avouer, la sincérité de sa démarche donne lieu à des productions chargées d’émotions, douces et sensibles.
Inspirer une histoire, puis souffler de l’art
En sollicitant Luna Lambert, le Centre Daily Bul souhaitait questionner la part de survivance des idées et principes véhiculés par Breton, Nougé, Chavée, Eluard et les nombreux autres artistes, auteurs, activistes qui ont tissé à plusieurs mains l’histoire du surréalisme. Ce cheminement historique, la plasticienne s’en est emparée méthodiquement, accompagnée par Céline De Potter, Commissaire des expositions, posant le regard sur les collections du centre d’archives et s’imprégnant des émanations de la pensée Bul. Rassasiée de textes et d’artéfacts, elle souffle au public ses récits sous la forme de pièces et d’installations qui ponctuent un parcours aux allures d’hommage, au cours duquel s’affirme une pratique artistique franche et indépendante. Ses nombreuses interventions forment une exposition, foisonnant de clins d’œil et de curieux détails, à laquelle elle a donné pour titre Je souffle mes bougies, pays de feu follet.
Ça est deux pipes, manifestes et contremanifestes
L’histoire centenaire du mouvement surréaliste que le Daily Bul déplie en ses salles pour nous, s’enracine au départ dans un petit carnet à l’allure quelconque. Il contient pourtant des textes essentiels qui reproduisent les premières expériences d’écriture automatique menées par André Breton et Philippe Soupeau et qui sont rassemblés dans un recueil intitulé Les Champs magnétiques. Cette œuvre plutôt confidentielle illustre le processus qui sera décrit en 1924 dans le Manifeste du surréalisme et notamment l’accès à une écriture qui viendrait de l’inconscient. C’est-à-dire, un produit non pas dicté par une conscience de normes ou d’esthétique mais grâce à une mise en condition liée au jeu ou au hasard et qui laisse apparaître une nouvelle réalité : le surréalisme.
Dans son approche, l’exposition documente les entrelacs de tous les courants de pensées qui se sont beaucoup agités autour de l’exploration des champs ouverts par les découvertes de Freud. En présentant de quelle manière les artistes se sont emparés de ces données, elle témoigne à quel point il est plus adéquat de parler d’une succession de manifestes et de contremanifestes, tant les déclarations et principes ont été multiples et parfois contradictoires.
Des cabanes pour faire famille
Cent ans plus tard, Luna Lambert dresse au cœur de la bibliothèque dont les étagères sont chargées de recueils et dessins signés de mains illustres, une paire de sculptures souples qui forment sans doute le noyau d’une future colonie. Dans ce lieu un peu solennel qui s’ouvre sur le jardin, le duo cohabite singulièrement.
D’une part se trouve Notre-Dame des étoiles qui nous toise sur ses longues jambes métalliques, prête à gambader comme le lit de Little Nemo qui divague à Slumberland. Elle est la première œuvre du genre pour l’artiste pluridisciplinaire qui aime tester de nouveaux matériaux.
Cette pièce fait référence à la Grotte d’Allain à Tournai, lieu insolite installé à la fin du 19ème siècle au cœur d’une ancienne carrière et dédié à la Vierge Marie. La grotte était destinée aux habitants ouvriers qui à l’époque n’avait pas les moyens de faire un long voyage en train jusqu’à Lourdes, pour rendre hommage à la Sainte. L’endroit de culte affecté en territoire post-industriel a fait l’objet de travaux successifs de rehaussement afin de répondre aux problèmes récurrents d’inondations qui menaçaient son accès et sa pérennité. À l’image de cette grotte artificielle sacralisée, la Notre-Dame des étoiles de Luna Lambert a elle aussi connu une élévation puisque la pièce a été récemment rehaussée, par le biais d’une greffe de quatre tiges métalliques d’une grande finesse, qui en forment la nouvelle assise.
Parée de toile de jeans, elle répond au désir de plus en plus présent de la plasticienne de pratiquer l’art textile auquel elle a été initiée dès son enfance par sa grand-mère. L’édifice de tissu et de métal aux allures de château volant est coiffé d’une sorte de girouette. Cet ornement est en fait une représentation du coq surplombant la flèche de la tour lanterne de la cathédrale de Tournai. L’artiste qui s’interroge depuis longtemps sur la forme de cet élément architectural, aime malgré tout garder une part de mystère en ce qui le concerne. Elle a choisi de l’évoquer en se basant sur les photographies qu’elle prend régulièrement de la cathédrale. Sa révélation pixellisée obtenue en zoomant sur ses clichés lui offre une manière de décomposer la girouette, pour la figurer au sommet de Notre-Dame des étoiles. Détournant les signes et leurs sens, Luna Lambert compose un ensemble inclassable.
La seconde sculpture souple produite pour l’exposition s’intitule mystérieusement chez Mimite. Elle est richement ornée de motifs gravés dans le jeans. Exploitant sa foisonnante collection d’images, et puisant également au sein des archives conservées au Daily Bul, Luna Lambert est intervenue sur les panneaux indigos via la technique exigeante de gravure au laser. Il faut souligner la grande technicité de sa pièce qui a nécessité un travail rigoureux et précis et constitue à elle seule une véritable prouesse.
L’œuvre est un double hommage qui s’adresse d’une part à un personnage appartenant à sa propre intimité et d’autre part à une personnalité historique emblématique du mouvement surréaliste louviérois. Mimite est en effet le petit nom que la plasticienne donnait à la sœur de son arrière-grand-mère. Son souvenir évoque à la jeune femme la douceur de l’enfance au cœur d’un très beau et grand jardin soigneusement encadré de graviers. Mais Mimite est aussi de manière inattendue le nom que portait le chien d’Achille Chavée. Amusée par cette coïncidence, la plasticienne a choisi de créer un objet qui entremêlerait ces récits et se jouerait des normes en lui attribuant des formes troublantes. La tente de Mimite a ainsi des allures de niche mais son faîte évoque le toit qui s’élance vers le ciel d’une tour de cathédrale.
Ces deux sculptures ont donné l’envie à Luna Lambert de développer autour d’elles une série qu’elle a choisi d’intituler pointes et abris. L’habitat est important dans sa pratique car il permet de s’interroger sur ce qui est présent, absent, ce qui fait référence à quelqu’un ou quelque-chose. Il peut aussi être habité par le souvenir, la mémoire, l’héritage. Une fois regroupés, les abris formeront un village fictif, ils feront famille quelle que soit la précarité de leur structure.
Une chambre à qui ?
À l’étage, une autre installation plus immersive, à l’échelle humaine, attend les visiteurs. Les temps immémoriaux a des allures de chambre ou si on peut l’exprimer ainsi est une sorte d’archétype de chambre, impossible à dater car meublée avec des pièces appartenant à diverses époques. Le lieu condense des espaces dédiés à la pensée consciente et inconsciente.
Son petit bureau muni d’une bibliothèque nous rappelle la table de travail d’une Virginia Woolf militant en faveur de l’accès à l’écriture pour les femmes et autrice d’Une chambre à soi. Il offre aussi la possibilité d’entrer dans la réflexion de la jeune plasticienne, qui y a déposé un de ses précieux classeurs de collections d’images (2018-2021). Le visiteur qui le désire peut admirer de cette manière ses fragments de ciel bleu, ses photos volées de petits chiens ou d’étoiles oubliées au sol. Ce faisant il expérimente une manière différente d’appréhender le monde, de poser un autre regard sur le réel.
La chambre universelle où il déambule lui ouvre aussi la possibilité d’un onirisme avec son lit-œuvre où l’on peut se blottir sous une épaisse couverture brodée d’un cheval qui se cabre et nous invite à nous évader en sortant par la fenêtre. Ici le livre de chevet se fait livre-oreiller, entre ses pages on peut y poser la tête pour que s’infiltrent lentement les textes qui y sont brodés.
La pièce fusionne le fil historique du mouvement surréaliste et les travaux actuels de Luna Lambert, en faisant cohabiter sur les mêmes murs, des œuvres emblématiques, telle que le sublime Rendez-vous de Jane Graverol et des affiches militantes écrites par Félix Grossen et composée par Paul Perrucon. Ces travaux sont édités chez Acédie58, maison d’édition dont la plasticienne fait également partie.
Sur sa cheminée trône une statuette à l’effigie d’Hatsune Miku, icône de la pop culture. Cette entité étrange, produite par logiciel, évolue elle aussi entre réalité virtuelle et ordinaire irréel pour les millions de fans qui assistent à ses concerts où elle apparaît de manière holographique. Le 29 octobre dernier, la vocaloïde faisait salle comble au Zentih de Paris.
Un jardin dans la ville
En quittant le Centre Daily Bul, ou est-ce à son arrivée ? Luna Lambert invite le public à marquer un arrêt. Son installation intitulée Reality show est comme une petite halte étrange, paisible et intemporelle. Passionnée par l’esthétique wacky pomo, l’artiste propose côté rue, une sorte de scène absurde dont le héros est un chien affublé d’un chapeau en image de synthèse. L’apparition de ce petit être mignon fait partie d’une autre collection participative de l’artiste, qui se passionne pour les photos volées de toutous anonymes, ceux qu’elle nomme affectueusement les infatigables ratisseurs de rue. Quoi de plus amusant en effet que de dérober l’image, de ceux qui n’ont pas de droit à l’image mais qui offrent généreusement au monde toute leur mignonnerie lorsqu’ils déambulent en ville ?
Dans cette scène très théâtralisée, l’artiste se joue à nouveau de la réalité, et nous invite à appréhender ce que nous voyons de manière totalement libre. Il nous est possible de penser que cet espace n’est pas un garage, mais un jardin, que nous ne sommes ni le soir, ni le matin, mais dans un entre deux. La scène à la fois drôle et terrifiante de ce vrai-faux chien nous appartient entièrement, puisqu’elle est installée en rue et que chacun peut l’envisager comme il le souhaite, s’en étonner, s’en amuser.
Une plume libre qui milite
Enfin, signalons que fidèle à sa vocation première de maison d’édition, le Centre Daily Bul & co publie avec Luna Lambert, un livre d’artiste dont le graphisme a été confié à Bravas Graphix et Tom Deplagne. Il s’agit d’une sorte de recueil de poche intitulé Dans mon cercueil, placer un clown.
L’objet peut prendre la forme d’un modeste livret papier, ou celle d’un assemblage plus complexe en s’intégrant dans une pochette rehaussée de pampilles et qu’il est possible d’emmener partout avec soi, en la fixant à son passant de pantalon ou à son sac à main par exemple. Au cœur de cet écrin, une sorte de petit talisman qui condense des parcelles de textes directement inspirés par la fonction de manifeste. L’artiste y glisse des propositions à mettre en œuvre dans l’espace public ou dans son intimité. Elle associe à ses textes qui relèvent d’une forme de revendication, une série d’images destinées à faire réagir ses lecteurs.
Cette édition renvoie elle aussi à l’une des nombreuses collections que poursuit Luna Lambert et qui constituent le projet « 1.2.3.spirale ». Ayant pris l’habitude de collecter les petits objets insignifiants qui hantent souvent les trottoirs de nos villes, comme de misérables laissés-pour-compte, la plasticienne possède aujourd’hui un immense trésor, soigneusement inventorié et classé, constitué par tous ces petits fragments qui sont pour elle comme des rencontres, moments de vie dont elle tient à conserver la trace. Ne se contentant pas de les accumuler, elle se met à rêver à d’autres destins pour tous ces objets. Avec soin et patience, elle les marie, les assemble entre eux, les liant pour de nouvelles promesses de voyages. Une fois arrimés aux poches des personnes qui souhaiteraient les acquérir, ces amulettes condensant les miettes d’histoires oubliées écriront de nouveaux récits. L’expérience d’élever au rang de monuments de poche ces merveilleux amalgames de pacotille, elle l’a déjà opérée en proposant au public une série ayant pour thème la tour Eiffel. Médiatrice hors pair, elle a à cœur d’inclure le public le plus large dans sa pratique. L’artiste possède d’ailleurs sa chaîne Tik Tok où elle décrit et illustre remarquablement son travail.
Dans le sillage de l’exposition, plusieurs rendez-vous
Atelier intergénérationnel : « sans alphabet » (dès 3 ans)
Découvrez de nouvelles formes d’expression à travers une variété d’images, en utilisant des emojis, émoticônes, photographies ou pictogrammes comme seul alphabet. Inventez ainsi votre propre langage et explorez différentes façons de lire, d’écrire, de raconter et d’illustrer. Animation proposée par Luna Lambert. Gratuit sur réservation. Samedi 23 novembre 2024 de 10h à 12h
Atelier intergénérationnel : Liberté et surréalisme (dès 6 ans)
Venez célébrer la Journée des droits de l’homme et la liberté d’expression avec l’animation Liberté et surréalisme. Sentez-vous libre de vous exprimer sans limite à la manière surréaliste en créant un recueil d’images et de poèmes. Samedi 14 décembre 2024 de 10h à 12h
CrAzYYY scrap PaRtYYY (dès 10 ans)
Luna Lambert vous invite au Centre Daily-Bul & C° pour fêter l’anniversaire de l’art. Sortez toutes vos décorations : bougies, ballons, bonbons. Entre deux morceaux de gâteaux, des tas d’objets rigolos, du papier qui brille, des images de toutes les couleurs, de la colle, des ciseaux, participez à ce drôle d’atelier de scrapbooking, c’est une CrAzYYY scrap PaRtYYY. Vendredi 17 janvier 2025 de 19h à 21h
Surréalité 2.0 : L’Art de l’IA (dès 12 ans)
Participez à une journée immersive autour de l’intelligence artificielle (IA) et de l’art surréaliste. Explorez les enjeux de l’IA de manière ludique, puis laissez libre cours à votre imagination en créant un livre surréaliste avec l’IA. Samedi 1er février 2025
Infos
Centenaire du surréalisme
« Ça est deux pipes » Manifestes et contremanifestes surréalistes
& Luna Lambert, Je souffle mes bougies, pays de feu follet.
Exposition du 27 septembre 2024 au 9 mars 2025
Centre Daily-Bul & C°
Rue de la loi, 14 B-7100 La Louvière
+32 (0)64 22 46 99
info@dailybulandco.be
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