Miroirs, la biennale croisant art actuel et patrimoine vient d’éclore à Enghien.

08/09/2022

Soyez vigilants, car elle s’évaporera dans quelques jours, donc franchissez sans tarder les grilles du Parc, vous y tapisserez vos rétines et tympans d’images et de bruissements poétiques.

Ce parcours, accessible toutes les après-midis de 14h à 18h, est à accomplir au gré de votre intuition.

Vous y flotterez sur l’eau, il vous élèvera jusqu’à la cime des arbres, vous fera vous engouffrer sous terre, puis gravir les marches en colimaçon d’une tour au sommet de laquelle, tel un oiseau, vous pourrez scruter le parc dans son ensemble.

C’est la quatrième édition du genre et ce millésime est à nouveau piloté par l’adorable tandem, à l’imagination affûtée, que forment Myriam Louyest et Christophe Veys. Cette fois, les co-commissaires, au travers leurs choix d’œuvres, nous proposent de réenchanter notre quotidien. Leur réflexion commune pose un voile tantôt tendre, tantôt hypnotique ou parfois mélancolique sur nos âmes qui ont bien besoin de magie dans ce monde abimé.

Ils y œuvrent depuis de nombreux mois, exaltés par la sortie de la crise sanitaire qui a mis le monde en état d’hibernation culturelle. On pressent que leur envie était grande d’amener au travers cette exposition, une opportunité de rêver à nouveau, un monde plus léger, plus espiègle et plus vibrant aussi.

Un juste équilibre 

Le modus operandi du duo est une mécanique bien rodée, comme aime à le souligner Myriam Louyest.

« Les choses se font assez simplement généralement, chacun vient avec ses propositions, parfois ce sont les mêmes artistes auxquels nous avons pensé sans nous concerter. Honnêtement, nous travaillons ensemble avec beaucoup de complicité et d’écoute mutuelle ».

En témoigne une grande fluidité au long du parcours qui nous convie à nous frotter à leur vision enchanteresse.

« Ce dont nous avions envie, c’était de créer des rythmes différents, de confronter le regardeur à des émotions changeantes, pas uniquement de le faire passer de l’ombre à la lumière, mais aussi de lui proposer tantôt peut-être de retomber dans une forme de nostalgie liée à l’enfance, tantôt de questionner ses rêves et pourquoi pas de divaguer ».

Une intention détaillée par Christophe Veys qui, sans tomber dans des propositions consensuelles, nous permet d’interroger nos émotions avec une grande sincérité.

Nouer le passé au présent

Le nœud qui rassemble toutes les éditions de la biennale depuis 2016, est celui qui scelle le désir de marier richesse patrimoniale et création contemporaine. C’est pour ce motif que cette année, les visiteurs auront la chance d’admirer une pièce exceptionnelle issue des collections du musée Jonathas. Il s’agit d’une œuvre textile du 17ème siècle témoignant du riche passé artisanal de la cité d’Enghien dont la notoriété du savoir-faire en matière de tissage, rivalisait autrefois avec celle des maitres lissiers de Bruxelles. Cette tapisserie évoque un thème, a priori très enfantin, puisqu’elle illustre un amusement autrefois populaire : une partie de Colin-Maillard. Ce patronyme renvoie quant à lui, à celui d’un guerrier aveuglé qui a poursuivi son combat, contre le Comte de Louvain, en ayant les yeux crevés. Par extension, on l’associe aux jeux qui se pratiquent les yeux bandés : ébats naïfs d’enfants ou plaisirs voluptueux.

La tapisserie du Musée Johnathas, après avoir été précautionneusement enroulée sur elle-même, est accrochée durant la biennale dans les anciennes écuries où elle côtoie une création de Stephan Goldrajch. L’artiste dont la pratique explore les techniques du crochet, du tissage et de la couture se joue des ambivalences gravitant autour du récit de Jean Collin-Maillard.

Stéphan Goldrajch s’insurge contre une forme de censure ambiante à l’œuvre actuellement dans les musées, qui voudrait que les expositions offrent des propositions de plus en plus consensuelles et accessibles simultanément à toutes les catégories d’âge. Il a souhaité ponctuer son installation en deux temps. Le premier volet présente des éléments extraits du décor de la tapisserie ancienne qui les accompagne : chauve-souris, fleur, insecte… l’autre, qui tourne le dos à cette première scène, est un tableau textile formé de toiles rebrodées de motifs exécutés au crochet par l’artiste.

Il s’agit d’une grande fresque aux couleurs tonitruantes née de l’accumulation de personnages, animaux, gastéropodes, eux-mêmes inspirés de la tapisserie ancienne. Joyeusement colorée, cette allégorie textile au style naïf, si l’on y attarde le regard, nous dévoile pourtant peu à peu des jeux ni sages, ni candides.

Se jouer des rapports de grandeur

Autre artefact accessible presque exclusivement durant la biennale : une énorme maquette un peu fanée du château d’Enghien. Exécutée en 1990 par un passionné (facteur, évidemment, cela ne s’invente pas!), elle est soigneusement conservée au cœur du seul vestige de l’édifice parti en fumée lors de la tourmentée révolution française : sa tour.

Cet objet qui a nécessité d’innombrables heures de travail dissone légèrement de par son aspect désuet mais il autorise pourtant, par sa forme et sa situation, un dialogue avec des miniatures délicates de Philippe De Gobert. Comme une mise en abîme, les maquettes de l’artiste cohabitent avec celle du facteur, installées devant les fenêtres de la tour. Par un jeu de filtres, les orifices qui percent les œuvres mises en place nous donnent à voir un paysage à la fois irréel et authentique.

Dans un espace sous-terrain cette fois, le sous-sol des écuries, une installation vidéo de Hans Op de Beeck illustre une sorte de chorégraphie soigneusement réglée, au cours de laquelle des mains par les gestes précis qu’elles posent, font et défont un monde mystérieux dont l’échelle est bien plus petite que celle du nôtre.

Le film hypnotique et silencieux nous plonge dans un récit sans protagonistes, si ce ne sont ces mains qui s’agitent, et dont les décors de lilliputiens en clair-obscur sont propices à une douce rêverie. Les images amorcent un voyage onirique vers un ailleurs sublimé, en quête de lieux et de paysages sans cesse en mouvement où le temps semble suspendu.

Mettre à l’honneur les artistes émergents

Après Maxence Mathieu et Pierre Liebeart, voici venu le moment pour Shen Ozdemir de voir son travail mis ici en lumière. Le Secteur des Arts plastiques de la Province qui, jusqu’à présent a soutenu chaque tenue de la biennale, propose cette année, de co-produire une création de la jeune artiste originaire de La Louvière.

Ce faisant, elle lui ouvre un espace d’expression aux côtés d’autres créateurs de renommée internationale. Apportant une gaieté colorée, ronde et expressive, Shen Ozdemir, dans la continuité de sa démarche actuelle, a convoqué ici les grands visages extasiés mais rassurants de son carnaval imaginaire. Rejoignant ainsi tous les protagonistes de son Karnavalo, ses personnages zèbrent le ciel, solidement amarrés aux arbres, et semblent nous convier à emprunter des chemins de traverse.

Dispersés en petits bataillons silencieux mais chatoyants, ils rythment nos déplacements comme des figures bienveillantes. Ces hérauts débonnaires, étendards, sans animosité, à l’antinomie de leurs frères les drapeaux, qui souvent hérissent les frontières et opposent les nations, nous invitent simplement à sourire, rêver, nous rassembler.

« J’ai été profondément émue lors de l’accrochage, car la personne mandatée pour ce travail est venue en compagnie de ses enfants, et c’était délicieux d’assister à leur réaction lorsqu’ils ont rencontré les visages qui habitent mes drapeaux. Ils riaient et aimaient visiblement beaucoup leurs couleurs. Leurs interactions m’ont confortées dans mes choix artistiques et je suis heureuse à l’idée que d’autres, petits et grands souriront peut-être aussi en croisant mes créations »

Des îlots vierges, à coloniser

Les grandes étendues d’eau qui baignent le parc sont elles aussi investies par les artistes. Elodie Antoine, y propose une intervention flottante très délicate, composée d’un ensemble de petites îlettes saupoudrées d’or.

Reflétant la lumière de leur brillance onctueuse, elles sont comme un appel à faire ricocher notre imagination à la surface du vénérable canal. A-t-il été le témoin muet de rencontres courtoises ou de parties de Colin Maillard ? Il assiste aujourd’hui aux jeux des palmipèdes qui coloniseront sans doute bientôt les promontoires dorés d’Elodie Antoine en se dandinant.

Île monumentale et utilitaire semblant jaillie des eaux, la sculpture praticable de Raphaël Zarka tourne le dos aux petites cellules d’Elodie Antoine. Elle repose sur une imposante scène flottante et a été pensée comme une œuvre non-éphémère.

La construction s’apprête à accueillir les ballets et figures aériennes des skateurs, patineurs et autres acrobates de la glisse. Spécialement conçue pour l’événement grâce au soutien d’un fournisseur de bois du cru, la structure est rehaussée de lignes géométriques qui accentuent le point de fuite vers lequel convergent les regards qui balayent l’édifice ayant pour toile de fond le Grand Canal.

Habiter le monde de délicatesse

Tels deux malles aux trésors, les pavillons jumeaux qui bordent le jardin aux fleurs et ses broderies de topiaires, renferment deux œuvres remarquables de Patrick Neu.

Au cœur du pavillon chinois, on découvre un cheval qui se cabre doucement, comme le ferait l’automate d’un coffre à bijoux musical. Délicatement emprisonné dans son petit palais, l’animal de cristal à la posture magistrale semble attendre d’être libéré pour reprendre l’inlassable manège ondulatoire qui a scandé notre enfance.

Plus loin, dans le second pavillon, une nouvelle merveille se jouant de la transparence s’offre à nos regards. Il s’agit d’une petite boîte dont les parois de verre, brunies à la suie, laissent deviner les délicats dessins tracés méticuleusement par Patrick Neu, au moyen d’une plume. C’est une fresque miniature et fragile qui est vouée à disparaître à la moindre ouverture de la cage vitrée qui la protège. Une véritable prouesse d’une grande vulnérabilité.

Autre installation ébranlable mais aérienne cette fois, l’ensemble végétal dé-verduré de Luca Vanello, qui questionne la résistance de la nature. Même en voyant extraite de leurs feuilles la chlorophylle qui les irriguent, les branchages suspendus continuent de s’apparenter à des cabanes imaginaires et protectrices.

Soigneusement agencés, les vestiges végétaux recréent un jardin immobile qui semble avoir la douceur d’une plume et l’éclat de la robe couleur de lune chère à peau d’âne.

Faire darder la lumière dans d’obscures profondeurs

Lors du périple qui nous fait cheminer le long des allées, comme embarqués dans des montagnes russes, nous sommes amenés à nous élever au pinacle des feuillus inondés de clarté, mais nous sommes aussi attirés lentement vers l’obscurité. Justine Bougerol nous fait parcourir un tunnel de pierre d’une noirceur dense et inquiétante et ce faisant, nous déconnecte de tous nos repères sensoriels. Prudemment, on emprunte une voie qui soudainement nous confronte à l’omniprésence d’une énorme pierre, venue obstruer le passage.

Complètement engoncée dans sa gangue minérale, la formidable sphère rocheuse semble flotter, blottie dans un nuage vaporeux. Derrière elle, une lumière vive nous appelle sans qu’il soit possible de la rejoindre. L’apparition inopinée de ce petit globe dans les entrailles de la terre fait jaillir de nombreuses questions : comment l’objet est-il arrivé ici, que cache-t-il et pourquoi ? Une réelle magie opère…

Dans la crypte du château, un autre enchantement nous guette, avec l’installation de Juliette Bibasse et Joanie Lemercier qui scintille. À la noirceur des lieux succède une lueur ondoyante, qui se disperse sur l’arborescence délicate d’un ensemble de brindilles sobrement plantées pour évoquer ce qui ressemble à un fragment de dune.

La petite aire imaginaire qui se déploie frêlement gagne en mystère et en densité, au gré des modulations lumineuses qui viennent lui donner vie. Elle semble s’enflammer, puis se met à étinceler, gagnée par un souffle de vie éblouissant.

À pas de petits géants

Recroquevillé au cœur d’une clairière, à quelques enjambées du pavillon des 7 étoiles, un être hybride, sorte de géant, s’est assoupi. Sa couleur rose tendre et ses petits pieds mignons sont attendrissants tandis que ses yeux clos incarnent une certaine tristesse. C’est une œuvre troublante que Maen Florin met en notre présence. Son Benjamen, comme une douce créature frankensteinienne, est né de l’assemblage hétéroclite de membres rapportés. Il a de longues et belles oreilles d’âne, ses mains dépareillées sont attachées à des bras de chiffon et son visage est celui d’un enfant reclus en lui-même, souffrant d’un trouble autistique.

Sa difformité est touchante, tout comme celle de la ribambelle d’âmes qui habitent la magnifique chapelle castrale, réminiscence de l’ancien château. Comme des lutins grotesques, créatures de freak shows, les créations de Maen Florin sont captivantes, elles interrogent notre capacité à accueillir d’autres humanités dans notre monde. Les phénomènes de Maen Florin sont avant tout des vecteurs de communication et elle souhaite les voir déclencher un dialogue entre spectateurs, notamment ceux qui à l’image de ses poupées se sentent emprisonnés dans leur propre monde.

Marc Buchy nous invite quant à lui à chausser ses échasses, pour prendre de la hauteur et parcourir le monde dans un équilibre précaire, tels de maladroits géants ayant enfilé leurs bottes de 7 lieues.

Il a développé un ensemble de sculptures métalliques mobiles dont il souhaite voir le public s’emparer pour faire l’expérience d’une autre forme de voyage. Les échasses, dispositifs ancestraux, sont ici un prétexte à l’échange et au partage collectif des bons gestes à mettre en œuvre si l’on souhaite se déplacer sans choir.

Mais quelle est la forêt enchantée ?

Un court métrage de 12 minutes réalisé par de Denicolai et Provoost, et ayant nécessité 8 ans de travail, est présenté au sommet de la tour de l’ancien château.

Ce film entre en résonance avec l’armée d’arbres qui panachent le parc d’Enghien. Mais où se trouve la forêt idéale ? S’agit-il de celle qui sert de décor au film d’animation et où évoluent cygnes, nymphes et écureuils, celle-là même où la trace de l’intervention, voire de l’emprise humaine est palpable ? Le mystère et l’enchantement n’habiteraient ils pas plutôt sous les arbres d’Enghien ? Ceux à l’ombre desquels se reposent les êtres hybrides amenés au monde par Maen Florin et qui servent de mats aux figures carnavalesques de Shen Ozdemir, comme par enchantement ? Qui sait ?

Infos

Un petit catalogue distribué gratuitement accompagne votre visite pour la nourrir et l’aiguiller grâce au plan d’implantation des différentes installations.

Biennale Miroir

Parc d’Enghien 

Avenue Elisabeth, 7850 Enghien

Ouverture tous les jours de 14h00 à 18h00

communication@enghien-edingen.be

Tel : 02/397.14.11

Le parc est accessible aux personnes à mobilité réduite (une partie des bâtiments n’est pas accessible aux personnes à mobilité réduite).

Daisy Vansteene, Chargée de communication pour Hainaut Culture

 

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