Durant tout l’été, la musée de la Tapisserie de Tournai, le TAMAT, présente une exposition passionnante mettant en dialogue des pièces textiles de la période copte et des créations contemporaines. « Perpetuo. Fragments d’hier, textiles de demain » ne témoigne pas simplement de l’impressionnante maitrise des artisans qui ont confectionné ces objets textiles entre le 3ème et le 8ème siècle avec une telle ingéniosité que leurs oeuvres sont parvenues jusqu’à nous. Ambitieux, l’événement s’organise en quatre chapitres qui nous font constamment franchir des ponts entre le passé, le présent et une projection de l’avenir.
Hériter c’est conserver pour transmettre, mais c’est aussi expérimenter
La séquence Héritage qui accueille le public attire d’abord l’attention sur la question de la conservation des textiles coptes d’une prodigieuse diversité. Ces artefacts tissés et brodés mais aussi teintés, chargés d’une grande valeur spirituelle et culturelle sont d’importants outils de transmission. En écho à ces usages, TAMAT nous propose de découvrir les travaux d’artistes actuels sensibles à la fonction mémorielle des textiles. Le musée présentent leurs recherches qui s’inspirent des savoir-faire vernaculaires et sont engagées dans une démarche éthique et écoresponsable.
Emma Bruschi, expose un ensemble de vêtements et pantoufles ainsi qu’une série de petits bouquets tissés rendant un hommage au savoureux almanach savoyard qui transcende les pratiques ancestrales rythmées par les saisons.
Plus loin, Alexander Marinus, a installé dans une alcôve ses épaisses fresques de laine et de jute, conçues pour durer, dans une recherche engagée contre les chimères du recyclage. Par son travail militant, le designer dénonce l’absurdité du système contemporain dans lequel la production de matières premières locales destinée à l’industrie textile, pourtant hautement souhaitable sur un plan écologique et social, n’est pas tenable économiquement.
Les tapis de lirette, tapis dont les la trame est constituée de matières usagées, produits par Delphine Dénéréaz sont d’une extraordinaire espièglerie. L’artiste nous livre ici une installation aussi engagée que drôle et dynamique. Dans son univers malicieux et pétillant, fait de bric et de broc, les linges usés dessinent des fresques imposantes, où les dauphins kitsch côtoient les bolides roses bonbons et où les châteaux de contes de fées, sont ornés de symboles archaïques exhumés d’un tarot de sorcière.
Les étudiants de l’Académie des Beaux-arts de Tournai ont choisi de travailler sur la répétition du motif, afin de livrer aux regards des pièces monumentales, constituées de milliers de cônes textiles. Leur intervention détourne ces déchets de l’industrie en les réinvestissant d’une fonction extrêmement ludique et esthétique. Assemblés grâce au pouvoir collectif, les petits cylindres forment de majestueux tapis articulés, dont les courbes animent ici les cimaises, plus loin, le sol.
Résurgence, une réparation créative et culturelle
Dans un monde fini, des artistes actuels expérimentent une manière plus responsable de produire, en limitant les déchets et en préservant l’environnement. Ils militent à leur manière contre la logique mortifère d’obsolescence programmée. Dans cette section on découvre les propositions de Clarisse Merlet et de son projet FABBRICK, qui réemploie des déchets textiles dans une logique d’éco-conception. Broyés, collés, ces fibres résultant de modèle industriel textile extrêmement polluant, deviennent des objets utilitaires : mobilier, briques destinées à façonner des cloisons performantes sur le plan de l’isolation thermique et acoustique.
Dans cette même logique de réutiliser l’existant, le projet La Gadoue, a installé ses élégants drapés aux cimaises de TAMAT. Eloïse Maës et Audrey Werthle les ont conçus à quatre mains tels de grands tableaux textiles qui ondulent au rythme des mouvements du public et de ses déplacements d’air. Leur pratique s’exerce également dans d’autres domaines tels que a céramique artisanale qui constitue un vecteur pour l’organisation de workshops animés par le duo. Elle est documentée dans un très chouette film projeté face aux salles d’exposition.
Emma Cogné dont le travail est reconnu pour sa capacité à créer des ponts entre les disciplines, en s’inspirant de pratiques vernaculaires et en valorisant les matériaux usagés pour en révéler la valeur intrinsèque, présente plusieurs pièces dont un piège à soleil issu de sa série d’expérimentation intitulée System T qui croise artisanat textile et sculpture. Des pièces conçue suivant la technique de tissage 3D au départ de déchets de tubes, développée par la designer.
La métamorphose des matières
Dans une troisième section, le musée nous propose d’aborder la question de la transformation des matières pour créer de nouvelles fonctionnalités. Dans cet espace, on découvre comment les algues brunes ou les peaux de poisson, traditionnellement considérés comme des matières insignifiantes, jetables ou inutilisées, sont porteuses de propriétés potentiellement intéressantes pour de nouveaux usages.
Violaine Buet envisage les algues comme des matières à ennoblir. Ses recherches qui partent des algues brutes sont très ambitieuses puisqu’elles tendent à inventer de nouvelles applications artistiques et industrielles pour ce végétal millénaire, dans les domaines des arts-vivants, de la scénographie, de la haute- couture, de l’objet, de la décoration, du visual merchandising, etc. Si au TAMAT on peut observer quelques remarquables exemples de tissages d’algues, on vous invite à découvrir l’immense protée de ses recherches via son site internet. C’est totalement bluffant !
Innovant également, le travail mené par Benjamin Malatrait, Gauthier Lefébure et Emmanuel Fourarult, à travers Ictyos. Ils travaillent avec l’industrie agro-alimentaire à l’exploitation des peaux marines pour en faire de cuirs somptueux aux couleurs d’une extrême variété qui rehausseront bientôt les bracelets de montres ou autres chaussures élégantes. Ces peaux à l’origine fragiles et malodorantes sont transformées et matières nobles et parfumées, par le biais d’un ensemble de techniques développées par l’entreprise.
Gilles Bolland de l’atelier Gilles by Gilles et Demilune utilise lui aussi dans sa conception d’objets manufacturés de superbes cuirs, parfois vegan, ou marins pour créer des pièces uniques et raffinées. On découvre au TAMAT une réalisation superbe : un appareil photo argentique Beautycord, fabriqué au Japon à la fin des années 50, rehaussé de pièces de peaux aux couleurs vives magnifiquement associées.
Se projeter
Dans la dernière section de l’exposition, on admire les découvertes issues des innovations menées par Loumi Le Floc’h et Mâche et Maché. Travaillant principalement autour des applications envisageables pour les bio-matériaux, ils nous livrent des trésors esthétiques et gustatifs. Saviez-vous à quel point les épluchures de légumes peuvent être belles, avec leurs jeux de transparence colorée ? Pour vous en convaincre, allez scruter les surfaces textiles développées par Loumi Le Floc’h dans le cadre de son programme Precious Peels.
Le studio d’innovation alimentaire engagé Mâche et Maché développe des feuilles alimentaires comestibles, aux goûts et décors variés. Dessiner avec de l’encre comestible, proposer de manger des papiers de kiwi ou des emballages alimentaires et des milliers d’autres choses, c’est rêver et concrétiser des lendemains plus amusants, plus durables et plus savoureux.
Un trait d’union patrimonial
Dans chacune de ces salles, les pièces de tissage coptes nous rappellent combien l’art textile est inextricablement lié à l’histoire de l’humanité. Outre leurs qualités esthétiques et techniques, les fragments exposés nous livrent de précieux témoignages sur les rites et coutumes d’une civilisation à la créativité remarquable. Amusez-vous à détailler leurs motifs complexes figurant des danseurs, guerriers, monstres marins, lions, gazelles et décryptez tous leurs secrets grâce au petit guide du visiteur très complet qui vous sera remis à l’accueil du musée.
N’oubliez pas évidemment d’explorer le rez-de-chaussée, qui présente en ce moment un ensemble de pièces issues de la collection permanente. Pour ce troisième volet de Tournai Territoire Textile, TAMAT souligne à nouveau l’ancrage historique de la tapisserie à Tournai tout en insistant sur son rôle dans la rénovation de cet art. Vous y croiserai les œuvres puissantes d’Edmond Dubrunfaut, Rodolphe Strebelle, Jean Leroy et toute l’influence du Collectif Forces Murales.
Et puis depuis quelques mois, le très riche centre de documentation de TAMAT a déménagé pour être plus proche du public, n’hésitez pas à contacter sa très accueillante bibliothécaire qui vous aidera dans vos recherches.
Activités
Le musée vous propose un catalogue très complet d’activités et animations !
Le 22 mai, une conférence-évènement nous révélera les secrets d’une tapisserie du XVIe siècle. La tapisserie, jusqu’alors désignée sous le titre de «Scène courtoise» ou «La remise des clefs», acquise en 2021 par le Fonds Claire et Michel Lemay pour la Fondation Roi Baudouin et présentée au sein des collections du musée, a désormais retrouvé son thème : un épisode de l’histoire d’Ulysse et son contexte de création : la Flandre des années 1510-1520.
Le 19 juin, le musée vous propose une balade textile sur la rive droite de l’Escaut. Etablissements manufacturiers ou d’enseignements réhabilités, cartouches et enseignes de façades, hôtels des maîtres filateurs, noms de rues, ou encore les œuvres murales d’artistes… jalonnent ce parcours insolite. Il permet d’évoquer le développement économique essentiel pour Tournai et sa région au XIXe et XXe siècles qui associe la cité au bassin textile du Nord.
Les 21 et 28 juin, deux ateliers : initiation à la broderie ou à la vannerie, à vous de choisir. Découvrirez tout le programme du TAMAT sur son site Internet.
Infos
TAMAT
Place Reine-Astrid 9
B-7500 Tournai, Belgique
Tél +32(0)69 23 42 85
info@tamat.be
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