Pulsations, là où dialoguent les multiples visages d’une cité

Jusqu’au 17.08.25, Pulsations. Visages d’une cité, pose sur Mons et sa région un regard inédit et audacieux en glissant entre nos yeux et ce territoire un kaléidoscope qui réfracte sa réalité pour la transformer en une expérience sensible et étonnante.

À la faveur d’un commissariat ambitieux, basé sur la collaboration entre 5 curateur.ices aux profils variés, cet événement se révèle d’une grande densité. S’inscrivant dans une démarche durable, qui tend à souligner davantage l’impact de la culture au sein de la société, sa scénographie propose un rapport sensitif  entre œuvres et visiteurs, dans une approche plus subjective.

Cette exposition a été pensée dans le but d’offrir un visage sensible et intime d’une Cité qui n’est pas simplement celle du Doudou, mais aussi une sorte de modèle universel qui fusionnerait patrimoine collectif et récits individuels. Chacun peut y accomplir une visite singulière, avec son corps, son cœur et les émotions qui lui sont propres, et éprouver les tensions et la poésie des œuvres qui y sont mises en scène.

Un focus sur quatre lauréat.es du Prix du Hainaut des Arts plastiques

Découvrons ici brièvement, en mots et en images, quelques-uns seulement des trésors présentés pour cet événement qui condense diverses temporalités et techniques et met en dialogue les œuvres d’artistes émergents et celles qui sont d’ores et déjà intrinsèquement attachées à l’histoire d’un territoire.

Les œuvres de plus de 40 artistes habitent en ce moment le musée, nous avons choisis d’épingler nos coups de cœur dont font partie les recherches de Claire Ducène (2015), Pierre Liebaert (2017), Rémy Hans (2020) et Diego D’Onofrio (2023), récemment tous.tes lauréat.es du Prix du Hainaut des Arts Plastiques.

L’humain au cœur du propos

Au commencement, il y a l’accueil émouvant par cette sorte de forêt de regards dont l’essence vitale a été éternellement scellée sur plaques de verre par Norbert Ghisoland . Une sélection de portraits du photographe – parmi les 90.000 photos qu’il a laissées – rehausse la colonie d’obélisques à taille humaine.

On y observe des visages qui cachent des trajectoires variées, de savoureux caractères dont toutes les aspérités sont sublimées par la profondeur des prises de vue en noir et blanc, et puis on se prend à imaginer les destins liés à toutes ces icones qui nous entourent. Le soldat immortalisé avant son départ pour la Grande Guerre, les jeunes femmes endimanchées pour ce qui sera peut-être leur unique expérience photographique.

Dans une autre salle sont accumulées les boites métalliques des Registres du Grand Hornu, œuvre magistrale de Christian Boltanski. Respectueusement ordonnancées, elles forment les parois d’un panthéon qui honore les travailleurs de la mine. Les nuances chaudes de la rouille qui colonise les boites viennent adoucir la froideur du métal avec lequel ont été façonnés ces modestes réceptacles. En eux sommeille la mémoire de chacune des vies si précieuses qui a œuvré dans les ténèbres de la mine pour nourrir de charbon les gueules avides de l’industrie. Les existences anonymes asphyxiées par la poussière noire ont retrouvé un visage et une dignité qui rayonne au-delà des portes du musée. Leurs contours resurgis des limbes vibrent un instant après avoir été souvent enfouis trop rapidement, trop maladroitement, anonymes oubliés de la Grande Histoire.

De l’ombre à l’ombre, Claire Ducène, nous invite à observer le temple qu’elle a échafaudé, en hommage aux travailleurs et travailleuses des mines. Invitée par les commissaires à questionner les luttes sociales des années 30, elle propose un dispositif qui offre différentes lectures.

Fascinée par les tombeaux égyptiens qui ont su garder palpable les traces d’une civilisation multimillénaire, elle a imaginé une Maison d’éternité aux allures d’un bouveau. Dans un jeu d’inversion, la narratologie qu’elle a empruntée aux anciens égyptiens met ici en valeur non pas les personnalités riches et puissantes qui ont défini les contours de la révolution industrielle et ses dérives, mais le travail collectif qui en creusant des galeries a érigé des montagnes.

L’édifice à l’apparence fragile est habilement étançonné pour s’ouvrir sur notre monde et créer un passage entre l’abîme et la surface. Dans un jeu d’aller-retour, on y croise un mineur. En cheminant dans sa galerie, le travailleur regagne la cité des vivants. Quand il avance vers sa chapelle, vers le fond, vers le mur, pour faire corps avec le musée, il semble, à l’image des défunts égyptiens, promis à la vie éternelle dans le royaume d’Osiris. Les parois ajourées supportent la mémoire d’une civilisation qui a façonné nos paysages et amené un prodigieux brassage culturel au pied des châssis à molettes. Son image se lit dans les écrans translucides contemporains, faits de plexi, qui évoquent des photos centenaires figées sur plaques de verre. Les mains de Claire Ducène, filmées en train de manipuler un registre qui décrit la répression des grévistes, soulignent en contrechamp combien les travailleurs et travailleuses étaient attachés à leur inexorable sort.

Tordre le temps

Plus loin, les photographies de Marcel Lefrancq, qui mettent en scène Mons entre chiens et loups, invitent les regardeurs dont la perception visuelle est bouleversée par le manque de lumière, à fabriquer de nouveaux récits. Ces histoires jaillissent d’une construction mentale qui surgit des informations récoltées grâce aux bruits, aux impressions olfactives, aux textures imaginées et plus seulement via le miracle des rétines. La salle brouillant les repères spatio-temporels est imprégnée des textes du poète Fernand Dumont qui fut sacrifié pendant la longue et obscure nuit, que fut pour tant de merveilleux humains, la seconde guerre mondiale.

Comme un étrange sas, se jouant elle aussi de la fuite du temps, l’installation vidéo de Pierre Liebaert construit et déconstruit sans fin un ailleurs à la croisée du songe, de la mémoire et d’une réalité tangible. Intimement convaincu que l’image actuelle ne peut exister que parce que quelqu’un de disparu a existé avant lui, le photographe, par un jeu de superpositions et d’effacements successifs décompose une scène. Son travail, mené dans le cadre de la mission photographique, Un autre jour à une autre heure, envisage grâce à un protocole excessivement précis de réactiver des images anciennes. En juxtaposant, en superposant vues anciennes et actuelles, Pierre Liebaert produit une liaison entre passé et contemporanéité et crée une sorte d’organisme qui s’anime, se transforme, passe, s’évanouit, à notre image.

Les métamorphoses du panorama

Plaisir d’une flânerie imaginaire aux rythmes des remous de la Haine et de la Trouille. Ces deux rivières charrient encore les souvenirs des joutes estivales qui animaient la cité montoise autrefois. Rejeté et détourné leur flux qui n’arrose plus le centre urbain émerge fugacement dans cette exposition. L’eau est un décor qui scintille dans une galerie de portraits ou dans de délicieuses scènes animées, fixées par des photographes, célèbres ou anonymes. Il faut vous pencher un instant aux fenêtres oniriques des cimaises pour éprouver la fraicheur aquatique qui est le fil de la vie. Les murs eux sont inondés d’une humanité qui vibre dans les corons, au pied des terrils, partout.

Plus loin, il semble que tous ces mouvements aquatiques se soient pétrifiés dans l’installation de Maxime Van Roy. Ce courant figé, invite le visiteur à marquer un arrêt pour contempler les voiles imprimés de Rémy Hans qui se superposent au bleu d’un ciel immuable.

Les drapés s’animent imperceptiblement au rythme de l’air qui frôle les mouvements du public. Leurs doux ondoiements s’opposent au tumulte de la vie qui impacte les paysages sur son passage. La main de l’homme métamorphose son environnement, mais ses constructions s’éroderont lentement si on ne prend soin d’activer leur fonction de sentinelles mémorielles. Transparents, vaporeux, impalpables, les nuages parsemés par Rémy Hans continueront de toiser les terrils et les cheminées, car même s’ils sont éphémères, leur course folle, elle, est éternelle.

Présence spirituelle

Il y a encore bien des choses à évoquer au sein de cette exposition, comme les familles jumelles de cabanes perchées dans le musée et par-delà ses murs, imaginées par Tadashi Kawamata. Elles nous élèvent par-dessus le quotidien, pour envisager d’autres points de vue sur lui. Nos esprits tracassés doivent pouvoir s’y envoler, pour rêver et habiter autrement le monde. Ces cabanes en équilibre, sont les carrefours d’interactions apaisées, là où s’harmonisent contraintes et fragilités. Elles sont aussi les ailes d’une harmonie spirituelle partagée.

Charley Case rend hommage aux religieuses du Couvent des Sœurs noires, ultimes accompagnatrices des âmes condamnées et des pestiférés. Les sillons qu’il a creusés dans le plancher du Couvent qui les hébergeait composent des silhouettes éternellement apaisées grâce aux soins et à la bienveillance des religieuses. L’artiste nous propose de fouler avec respect et lenteur ce fragment traversé par la mémoire des souffrances et de la compassion. Une expérience de marche attentive, en pleine conscience que nous vous invitons à mener.

Les chasubles de l’église Saint Nicolas sont un autre trésor exposé au CAP. Ayant récemment fait l’objet d’une conservation complète menée par les ateliers du CRECIT, elles rayonnent dans l’obscurité des salles comme de puissants talismans. Leur iconographie somptueuse, mettant en scène une danse macabre est particulièrement rare. Brodées de fils d’or et d’argent, ces pièces incarnent la crainte des épidémies, très forte dans nos régions au 16ème siècle. Amenées dans un état de dégradation relativement avancé en 2024 au CRECIT, il est aujourd’hui possible de les admirer à nouveau grâce au savoir-faire des artisans et artisanes actifs au sein de cette asbl fondée par la Province de Hainaut en 1954.

Mainteneur, Maintenant

Se déployant sur plusieurs étages, l’exposition Pulsations, visages d’une cité est envisagée comme une production collective qui rappelle combien la culture est avant tout l’émanation d’un patrimoine animé par des traditions et une histoire locale en perpétuelle évolution. Pour illustrer ce va-et-vient incessant entre hier et demain, sur proposition du Secteur des Arts plastiques de la Province de Hainaut, le CAP a invité Diego d’Onofrio  à intervenir dans la salle aux piliers.

La pertinence simple et drôle du jeune plasticien apporte à cette narration chorale un supplément de légèreté en nous dévoilant comment l’art peut secouer, faire vibrer ou taquiner les fondations d’une honorable institution muséale. Adepte du trompe-l’œil, le lauréat du Prix du Hainaut des Arts plastiques en 2023 s’est emparé de l’espace en intervenant malicieusement sur les éléments qui garantissent la stabilité de l’édifice. Jouant à substituer les colonnes du bâtiment par des dispositifs farfelus, souples et tendus, il nous invite à ne pas demeurer dans une contemplation passive. Diego D’Onofrio enjoint le visiteur à toucher, à remuer, à faire vaciller ses installations. Ce faisant il parvient à détourner totalement les contraintes d’un espace, il faut l’avouer, habituellement un peu  étouffant, pour en faire un lieu paradoxalement aérien, lumineux et dynamique.

Dans le cadre du premier dimanche du mois, Diego D’Onofrio et Simon Demoustier proposeront une performance de 60 minutes, dès 15h30 intitulée « Là d’un coup ça va péter non ? ».

 

Autour de l’expo

Les visites guidées pour individuels : 20.07, 17.08, de 15h à 16h30 – 11€/8€ (prix d’entrée + 2€).

Les dimanches gratuits : tous les premiers dimanches du mois, profitez de l’accès gratuit pour découvrir l’expo.

Les médiateurs en salle : pendant toute la durée de l’expo, profitez de la présence des médiateurs en salle pour recevoir quelques explications supplémentaires, tous dimanche après-midi de 14h30 à 17h30.

Infos

CAP Mons, Rue Neuve 8 à 7000 Mons

Ouvert du mardi au dimanche, 10h>18h

Fermé les 13 et 15.06 (Ducasse de Mons)

Réservations au +32 (0)65 40 53 46 ou par mail à groupes@ville.mons.be

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