Tokowo nous enseigne l’art de crocheter le papier

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07/08/2024

Activités de l'été | exposition | métiers d'art | Partenariat | Prix du Hainaut

Le Domaine royal de Mariemont, avec son prestigieux parc et son riche musée est l’une des destinations préférées des wallons depuis de nombreuses années. Il accueille durant tout l’été les créations de Grégoire Vigneron et du duo formé par Anne Janssens et Alain Deguilde. Ceux-ci ont retenu l’attention de notre Jury lors de l’exposition d’ensemble des métiers d ‘art du Hainaut qui s’est tenue au sein de l’Orangerie du Château de Seneffe il y a quelques mois.

En tant que lauréats, les voici donc récompensés par une exposition personnelle orchestrée par les métiers d’art. Ces artisans ont emmené quelques-unes de leurs plus belles réalisations pour nous les présenter jusqu’au 1er septembre au sein du grand hall du musée qui s’ouvre sur le jardin arboré. Au coeur des salles baignées de lumière et de quiétude, la mise en scène propose un dialogue fertile entre les matériaux à priori fort éloignés que sont le verre et le papier.

Bagatelles et ses éclatantes rivières de verre

Parmi les expérimentations pour lesquelles le Domaine royal de Mariemont s’est converti en écrin, il y a celles, pleine de fantaisie, de Bagatelles Créations. Ce petit nom poétique ne doit pas vous laisser penser que le tandem d’artisans formé par Anne Janssens et Alain Deguide, crée des objets futiles ou insignifiants, bien au contraire !

Car si leurs bijoux ne sont pas rehaussés de pierres précieuses, ils sont d’un incroyable raffinement et sont produits au terme d’un processus complexe parfaitement maîtrisé. Des parures qui ont reçu une mention spéciale du jury des métiers d’art du Hainaut tant elles sont incomparables.

Bagatelles Créations propose une sorte d’orfèvrerie verrière d’une grande originalité, à la croisée de l’innovation et de la tradition. Au sein de son laboratoire, après s’être approprié les techniques ancestrales de création de perles de verre, le couple d’artisans a ouvert le champ des possibles en introduisant dans ses oeuvres d’autres matières actuelles. Verres fluorescents et gaines thermoréfractables amènent une touche définitivement décalée à leur production.

Le souffle et les gestes des deux designers révèlent les propriétés illimitées du verre, comme si ce matériau vieux de plusieurs milliers d’années avaient encore quelques secrets à nous murmurer. Leurs quatre mains créent avec poésie et dextérité des ensembles dont les formes sont d’une grande variété. Leurs pièces sont inspirées des sinuosités de la nature et elles rayonnent dans une palette de couleurs empruntées à la végétation, au règne marin et au monde minéral.

Traduire la puissance d’un matériau fragile

Grégoire Vigneron a rejoint les métiers d’art du Hainaut en 2023. Ses recherches originales consacrées au développement de nouvelles techniques de reliure ont été doublement récompensées, puisqu’il a non seulement reçu le Prix des métiers d’art du Hainaut, mais également la bourse de l’Atelier du livre de Mariemont.

Nous l’avons rencontré, en vue d’aborder avec lui la pratique qu’il développe au sein de TOKOWO. Le cheminement de sa réflexion est illustré au sein d’un ensemble de vitrines dont les pièces répondent aux bijoux de verre de Bagatelles Créations. Et si le relieur a fait une entrée remarquée parmi les membres des métiers d’art en 2023, il est important de souligner que le Prix qui lui a été décerné vient récompenser plus de dix années d’expérimentations. Les dispositifs installés à Mariemont nous dévoilent le parcours d’un artisan qui avait en tête de pouvoir mettre au point une nouvelle forme de reliure. Son ambition pour le moins singulière reposant sur l’idée de n’utiliser ni fil, ni colle dans le processus de reliure. Pour ce faire, il a pensé aux emballages développés dans l’industrie, façonnés uniquement au moyen de découpes et d’assemblages pour lancer ses expérimentations.

« Me référant à tous ces contenants en carton, je me suis mis à imaginer des livres qui seraient exclusivement faits de papier. En faisant des recherches j’en suis arrivé à développer des languettes de papier qui viennent s’encastrer dans des fonds de cahiers. Ceux-ci peuvent ensuite être crochetés ensemble. Ce qui m’intéressait aussi était la possibilité de pouvoir entièrement démonter un livre, en conservant l’intégrité des blocs et pouvoir même si on le souhaite ajouter de nouveaux cahiers au livre » explique Grégoire Vigneron

Une mécanique artistique

De fil en aiguille ou plutôt de découpage en pliage, le créateur s’est amusé à inventer des formes au moyen des petites fragments qu’il avait designés. Ces objets vidés de leur fonction utilitaire sont ainsi devenus progressivement les syllabes d’un langage poétique. Les crochets de papier donnent corps à des installations aux formes remarquables.

« Pour certaines pièces j’aime l’idée que l’image se fonde dans l’installation. Au départ, j’imprime le papier par transparence, en intégrant des photos. Après le processus de découpage et d’assemblage, l’image est comme dissoute dans l’objet, elle révèle d’autres nuances » souligne le fondateur de TOKOWO

C’est le cas par exemple dans la pièce intitulée marbre, pour laquelle, au départ, il y a une photographie d’une chapelle. Après avoir été détaillée en petites bandes à crochets, elle est recombinée et suggère une texture marbrée et non plus une construction religieuse.

Parfois les compositions légères de l’artiste s’échappent des vitrines comme si elles ne pouvaient plus les contenir : certaines pièces aux allures organiques se déploient telles des parures de papier, des coiffes rituelles ou des casques de samouraïs. Elles sont composées de bandelettes aux couleurs tantôt contrastées pour révéler les secrets de l’assemblage, tantôt monochromes et laissent alors apparaître des ensembles richement ciselés. La quantité délirante de clés et crochets qui fusionnent pour structurer ces délicates formations laisse entrevoir la rigueur, la concentration et le soin requis pour de tels ouvrages.

Sous les doigts du relieur, la matière végétale, tranchée puis emboitée s’amoncelle au rythme de petites séquences qui finissent en vagues de papier. Ces dizaines de petites molécules mariées entre elles, coagulent admirablement et apportent rythme et souplesse aux ensembles ondoyants qu’elles génèrent.

Au gré de son imagination fertile, l’artiste se prend parfois à rêver d’oeuvres plus monumentales encore,..mais ses intentions sont un peu freinées par l’attention qu’il porte à l’écologie et donc au souci de ne pas travailler de matériaux synthétiques. Curieux et inventif, Grégoire Vigneron nous confie aussi qu’il songe parfois à expérimenter plus encore la minutie de ses crochetages de papier en les assemblant à la manière de fibres textiles.

Construire collectivement

Le créateur tient à souligner que ses recherches n’auraient pu aboutir sans le soutien de la bourse de l’Atelier du livre de Mariemont, qui lui a permis de véritablement dégager le temps nécessaire à l’expérimentation. Grâce à l’institution, Grégoire Vigneron a pu bénéficier également d’un accompagnement personnalisé auprès d’un centre de formation en Suisse consacré au papier. Toujours dans le sillage de cette bourse, un manuel est sorti de presse, afin de transmettre au public les deux techniques de reliure développées par Grégoire Vigneron.

Imaginé par l’auteur comme un outil de diffusion afin que chacun puisse s’accaparer ses techniques, le livre fait partie d’une série éditée par l’Atelier du Livre de Mariemont. Il est en anglais et français de manière à pouvoir être accessible au plus grand nombre et a été tiré à 1000 exemplaires.

Une exposition organisée par les métiers d’art du Hainaut et l’Atelier du Livre, à découvrir au musée royal de Mariemont jusqu’au 1er septembre prochain.

Soulignons que Grégoire Vigneron a également été sélectionné pour le Prix européen des arts appliqués. Il exposera du 24.11 au 16.02.25 aux Anciens Abattoirs de Mons (Becraft) aux côtés d’une soixantaine d’autres créateurs provenant de 16 pays européens.