Des apprentissages, de la tête aux mains
Derrière le voile un peu strict de sa frange, la silhouette juvénile de Valérie Bacart condense étonnamment mille vies studieuses et créatives. Et si son obsession actuelle est le vêtement, ce n’est pas un hasard mais bien le fruit d’un extraordinaire cheminement personnel. Au départ, rien ne laisse présager que cette femme élégante fera du design textile son activité principale. Certes attirée assez jeune par la mode, mais en tant qu’expression artistique parmi tant d’autres, Valérie Bacart au commencement étudie l’histoire contemporaine de l’Art à l’ULB. Par la suite, irrépressiblement poussée par le besoin de palper la matière, la jeune scientifique entreprend un cycle de cours de sculpture. Jamais plus elle ne s’éloignera du modelage, de l’intelligence du geste, et de cette envie de matérialiser des objets. Elle approche et travaille encore aujourd’hui le vêtement de façon sculpturale.
Son premier job lui fait découvrir les coulisses des Arts de la Scène, lorsqu’elle rejoint l’équipe d’une compagnie de théâtre pour laquelle elle est chargée de production. Une expérience exaltante qui lui permet de vivre énormément de facettes liées au monde du spectacle, tantôt administratives, tantôt artistiques. Marquée à jamais par l’univers scénique, Valérie Bacart est contrainte de prendre le large suite à l’arrêt de la compagnie. Elle se met alors en quête d’une nouvelle mission et devient directrice d’un Centre culturel à Anderlecht, charge qu’elle assure pendant près de 15 ans. Cette expérience la conduira à piloter la Maison des Artistes d’Anderlecht. Nourrie par ses échanges avec les plasticiens, elle tâche de valoriser leurs recherches de multiples manières, à travers des expositions, des rencontres, des ateliers parfois nomades, colonisant même la ville au gré de circuits artistiques. Elle nous confie avoir passionnément aimé ce travail. Puis remettant comme toujours son ouvrage sur le métier, elle se prendra à imaginer d’autres possibles, toujours en questionnement et en quête de changements. C’est alors qu’elle est commissionnée par le Domaine de la lice avec Elsje Janssen et Nora Chalmet, pour l’écriture du livre « Infiniment fil : Domaine de la Lice 1981-2011 ». La créatrice se penchera vers les arts du fil pour ne plus jamais s’en éloigner.
Après avoir postulé à la Direction du TAMAT, avec en tête un projet d’Art textile contemporain, elle coordonnera ce musée de la Fédération Wallonie-Bruxelles durant 7 ans. Renouant avec l’étude et la recherche scientifique tout en continuant de travailler avec des artistes à travers la mise en place de résidences, elle organise sur place des événements, des ateliers, des rencontres, etc. C’est alors que définitivement amoureuse de la matière tissée, la créatrice se forme à l’art du vêtement en suivant des cours de couture le soir et en participant à des workshops privés, en compagnie de couturières exigeantes.
Un nid où l’on se coud des ailes
« Comme si un basculement s’opérait, mon unique ambition a été alors de pouvoir réellement avoir en main un métier d’excellence », confie Valérie Bacart.
Elle quittera plus tard le musée pour progressivement voler vers un quotidien entièrement dédié à sa création personnelle. Les confinements liés au COVID19, charriant leur lot de blacks out culturels et d’enfermement, auront pour conséquence d’aiguillonner sa créativité. Comme ses nombreux pairs, Valérie Bacart trouvera dans l’art textile, durant cette période de claustration, un chemin de résilience et d’engagement. Et lorsque la vie retrouvera tout son sel, avec la reprise des spectacles, la réouverture des musées, des centres culturels et le foisonnement de nouveaux projets, elle sera l’une des premières résidentes des ateliers d’artistes aménagés par le Comptoir des Ressources Créatives, à Mons. Une fois franchies les portes de cette couveuse à son inventivité, les choses s’enchainent rapidement pour elle. Au cœur de ce que Virginia Woolf aurait appelé « sa chambre à elle », Valérie Bacart peut se concentrer uniquement sur le design et la production de ses vêtements. Elle côtoie d’autres artistes, tisse des liens précieux avec une foule de protagonistes stimulants. Accompagnée durant deux ans par la Maison du Design, elle rejoindra plus tard les Métiers d’art du Hainaut.
« Ici dans mon atelier de la rue des Capucines, c’est comme si j’évoluais dans une forme d’insouciance légère, pas toujours facile à assumer sur le plan matériel, mais qui me libère admirablement d’une forme de pression quotidienne pour me permettre de me consacrer pleinement à mon projet professionnel. L’appui de la Maison du Design a été aussi d’une valeur inestimable, en m’offrant la possibilité de présenter mon travail au cœur d’un lieu magnifique, entièrement dédié à la recherche et la création, mais aussi en me permettant de le faire voyager dans des pops up stores, à Courtrai, Paris, Lille, ou à la France Design Week. Je me suis sentie portée et stimulée, pendant toute cette période où j’ai tissé des liens avec des partenaires, des fournisseurs et des clients aussi ».
Artiste autant qu’artisane
Questionnant la matière en tant qu’historienne de l’art du textile et philosophe de la mode, la créatrice ne cloisonne rien dans son mode de fonctionnement. Elle est à la fois artiste, passeuse et technicienne, et envisage le vêtement comme un objet complexe à appréhender de manière holistique. En perpétuel équilibre entre la recherche d’objets fonctionnels et celle d’œuvres conceptuelles, Valérie Bacart ne peut ni ne veut restreindre le champ de ses explorations. Elle apprécie tout autant de vivre les différentes étapes du dessin, de la coupe et de l’assemblage du vêtement qui viendra transformer une silhouette, que de poser les gestes qui donneront forme à des œuvres dénuées de fonction particulière.
De plus en plus, la designeuse expérimente de nouvelles formes de langage par le truchement du fil. Elle nous présente ainsi ses cocons de tissu, lacérés de laine et de rubans puis rehaussés de boutons arrimés comme autant de petits ex-voto précieux à leur conque de mailles. Ces enchevêtrements sensuels de lainage, de drap de coton et de métal témoignent combien la matière peut être réutilisée à l’infini au lieu d’être jetée et exploitée dans une scandaleuse gabegie. Car ses nymphes laineuses sont en fait des amoncellements de résidus textiles, que la créatrice ne peut se résoudre à détruire, et qu’elle prend soin de transformer, pour prolonger leur vie et les sublimer. Lorsqu’on coupe un vêtement, il y a pas mal de pertes. Alors, elle détourne ces restes pour en faire de précieuses housses pour les livres, des cols Claudine, des poches appliquées ou parfois ces sortes de chrysalides de tissus. En sommeil, elles semblent prêtes à libérer quelque créature de fil pour un vol chatoyant. Ses sculptures tendent des ponts vers ses vêtements en étant une forme d’expérimentation et de manifeste tout à la fois.
» Pour moi il n’y a pas de choix possible, c’est la matière qui m’attire complètement. Le fait d’avoir étudié l’histoire des artefacts tissés, mais aussi d’avoir eu la chance d’évoluer pendant plusieurs années au cœur d’une sorte d’exceptionnelle tissuthèque, a sans doute nourri mon imaginaire personnel. Je voue une grande admiration aux licières, et je suis profondément attirée par les matériaux qui sont naturels, parce que je les trouve nobles par essence, presque vivants. J’aime travailler des étoffes plus denses, plus structurées comme par exemple le jacquard ou la toile de laine. Juste en les posant sur ma table de couture, en les pliant, j’essaye de ressentir la façon de ces textiles vont réagir et donc orienter mes gestes, pour que se dessinent ensuite les formes. Pour moi c’est presqu’un rituel de déplier un nouveau coupon et de le palper, de le triturer, j’ai besoin d’être mise dans les conditions d’une certaine intimité avec la matière qui le compose ».
Quand la beauté se cache sous une apparente simplicité
Emue autant par les vêtements traditionnels japonais dont elle admire la précision sobre, que par l’indémodable ligne des tailleurs adaptés aux corps des femmes par Yves Saint Laurent dès 1967, la créatrice est aussi sensible aux silhouettes androgynes néo-romantiques d’Ann Demelemeester, et aux robes « sac » épurées de Balenciaga. Martin Margiela, artiste totalement pluridisciplinaire qui a révolutionné l’approche de la mode tout en s’extrayant de ses contraintes médiatiques est une figure profondément inspirante pour elle également. Le noyau autour duquel se déploie le travail de Valérie Bacart est celui d’un vêtement sobre et chic, riche de détails subtils qui forment une entité cohérente, toujours précise et d’une grande justesse.
Dans sa nouvelle collection par exemple, elle propose des vestes inspirées de Kimonos mais qui se portent à l’occidental. Elle a cette fois quitté l’univers du Bomber qu’elle affectionne tant, pour travailler sur d’autres allures, et envisage des matières moins contrastées, comme la toile de laine unie, sur laquelle elle peut superposer des tissus plus complexes comme le précieux jacquard texturé qui composait souvent intégralement ses premières collections. Ses recherches s’orientent vers des matières homogènes, des modèles souples, confortables et radicaux, des pièces coupées à cru. Toujours sensible à l’utilisation des tissus issus de stocks dormants, elle explore aussi en ce moment les promesses du crêpe de soie et de la laine bouillie.
Universel et rassembleur, son travail s’offre à plusieurs tranches d’âge, allant de gens très jeunes à des personnes plus matures. Elle rebrode aussi parfois certaines pièces, de manière intuitive, suivant ses idées précises en se laissant guider, avec confiance, au rythme de son aiguille.
Transformer l’incertitude en opportunité
Victime du saccage de son atelier le 17.12.24, elle s’est interrogée, démunie, sur la manière dont elle allait pouvoir réapprivoiser « son » lieu, espace de liberté et de créativité abîmé, devenu étranger, synonyme de brutalité et de vol. Face à cet acte violent, elle a décidé de continuer mais de faire évoluer son projet d’une autre manière. Rebondissant très vite, avec l’aide des quelques proches qui lui ont suggéré de lancer des ateliers collaboratifs, elle a pu réunir des fonds, de nouvelles matières, et envisager de reconstituer un stock de vêtements puisque sa réserve initiale lui avait été dérobée. C’est grâce à cette solidarité qui s’est organisée que la designeuse a aujourd’hui retrouvé un sens, une confiance, une vision en lien avec la création. Elle a pu organiser quelques dépôts dans des lieux emblématiques comme le Grand Hornu et elle prépare à présent sa prochaine collection.
Les témoignages concrets de soutien, lui permettent de se projeter et de s’ouvrir aux autres, d’envisager une activité dont certains aspects sont plus ancrés dans le collectif. Non, il n’y a décidément pas que de mauvaises personnes. Durant l’été elle a même organisé des ateliers d’upcycling pour le public. Elle a également été invitée à travailler à l’école du Shape en compagnie de la plasticienne Sara Conti dans le cadre d’un projet MUS-E.
« Il s’agissait d’enfants très jeunes, de 3 à 5 ans. Des enfants adorables, émerveillés, collaboratifs. Nous leur avons d’abord proposé un travail de linogravure puis de broderie, et j’ai ensuite procédé à l’assemblage de toutes les petites œuvres personnelles, pour former une sorte de grand patchwork. Ça m’a fait énormément de bien de mener à bien ce projet, humainement très riche. Cette première expérience collective m’a ouverte à d’autres choses que je ne pratiquais pas forcément avant ».
Pour un trait d’union textile et solidaire
Depuis le mois d’octobre, Valérie Bacart anime un atelier de création textile à Ath, en compagnie de Sara Turine. Le projet s’intègre dans le cadre du programme « le Tisserin » et les activités s’y tiennent tous les mercredis soir.
Elle mène en parallèle des ateliers upcycling organisés par Mons Arts de la Scène (MARS), avec en point d’orgue un défilé engagé contre la fast-fashion qui se tiendra à Mons le 15 octobre prochain. Il s’agira tout au long de la journée de faire de la couture, de laisser libre cours à la créativité mais aussi de partager une réflexion en interrogeant notre rapport à la consommation, au temps et à l’environnement. On vous livre le programme complet de cette journée un peu plus loin, et on vous invite chaleureusement à y participer.
Nous avons rencontré Hélène Fraigneux, qui pilote ce projet et nous avons assisté à l’un des ateliers pour observer les coulisses et voir Valérie Bacart à l’œuvre, occupée à conseiller les participants.
Ce défilé engagé qui se produira dans la rue commerçante de Mons est un prétexte au partage, à la solidarité, à la réflexion qui fait profondément écho à la pratique de Valérie Bacart. Hélène Fraigneux, est médiatrice culturelle pour Mons Arts de la Scène (MARS) et dans le cadre de ses missions elle met en place des actions en lien avec la citoyenneté. MARS organise des projets participatifs qui croisent les artistes, les associations, le public, parfois même des entreprises. Du Temps pour demain se rattache à la programmation du théâtre, il s’agit d’une sorte de « satellite plus plus plus », qui croise plusieurs activités en vue de donner plus d’impact à ce qui se passe sur scène mais aussi sur le territoire.
Autour de « FAST », un spectacle qui aborde les dérives de la fast fashion, sont venus se greffer des ateliers de customisation de vêtements et aussi des moments qui permettent de dénoncer toutes les dérives de la fast fashion. Ils aboutiront le 15 octobre à un défilé qui se tiendra dans l’espace publique et qui reliera deux lieux hautement symboliques : Primark et Les Petits Riens. Durant le défilé, les participants aux ateliers porteront les vêtements qu’ils auront réalisés en compagnie de Valérie Bacart. Il est aussi prévu, le 15, de dialoguer avec les passants et de les sensibiliser aux alternatives possibles pour contrer la Fast Fashion. Un autre partenaire de l’événement est Mademoiselle Soupe qui étendra les questionnements à la problématique de la slow food.
Au programme du Défilé, Temps pour demain.
- 13h > 15h : Atelier final de fabrication des costumes
Participez aux derniers préparatifs du défilé : couture, dernières retouches sur nos créations collectives et spectaculaires et réparation joyeuse de vieux habits !
Maison Folie – gratuit – sur inscription
- 16h > 16h30 : Le défilé de demain !
Départ : bas du Piétonnier (en face du Primark)
Arrivée : En face des Petits riens
- 16h30 > 17h : Moment de partage en mode slow food avec Mademoiselle soupe.
Quand la slow fashion rencontre la slow food ça donne des choses délicieuses à savourer…
Les Petits riens (Grand’Rue) – gratuit
- 18h : FAST – un spectacle de l’Inti Théâtre. [COMPLET] à voir au Théâtre le Manège dès 14 ans – sur liste d’attente
Une égérie pour les Métiers d’art du Hainaut
Depuis 2022, Valérie Bacart est aussi membre des Métiers d’art du Hainaut et elle a participé à plusieurs expositions collectives organisées par le Service provincial. Après avoir été montrés au cœur des salles Art Nouveau de la Maison Losseau, en dialogue avec les panneaux de bois sculpté du château d’Enghien, ou encore dans l’ancien couvent des Sœurs noires, une sélection de ses vêtements sera prochainement exposée dans les immenses halls rénovés de l’Université du Travail, dans l’espace Zenobe Gramme, pour concourir au Prix des Métiers d’art du Hainaut.
Un événement à ne manquer sous aucun prétexte pour quiconque aime se nourrir le regard de beauté. Près de 52 artisans y présenteront leurs plus belles réalisations pour flatter l’œil du jury qui élira le ou la lauréat.e de cette année. Tâche ô combien délicate en raison de la grande diversité des objets mis en scène, mais aussi de par le savoir-faire exceptionnel dont font preuve ces créateurs dans les domaines de la céramique, de la sculpture, du travail du verre, du textile, de la dentelle de tradition et contemporaine, du tournage sur bois, de la marqueterie, du design papier, de la plumasserie, du fer forgé, des bijoux, de la joaillerie ou même de la coutellerie, …
On ne résiste pas au plaisir de vous montrer le très beau visuel de l’événement, car cette fois, c’est une sublime veste, créée par Valérie Bacart qui a été choisie pour rehausser l’affiche.
Infos
Valérie Bacart
00 32 (0) 478 629 46
vbacart@icloud.com
Suivez-la sur les réseaux via Facebook ou Instagram, et surfez sur son site Internet pour découvrir son travail plus en détail.
Liens vers les projets en cours et à venir :
Le Défilé « du Temps pour demain »
L’exposition du Prix des Métiers d’art du Hainaut
Du 22.11 au 14.12.2025
Espace Zénobe Gramme (Salle des Musées)
Campus UCharleroi
Boulevard Solvay, 31
6000 Charleroi
Contact : Valérie Formery : 0032 (0) 470 802600
Office des Métiers d’Art de la Province de Hainaut, 19 place de La Hestre, 7170 La Hestre. op.mah@hainaut.be