Nous vous livrons enfin le dernier volet de cette petite trilogie de portraits consacrée aux artistes qui exposent leur Joyeuse Parade à l’unisson au Château Gilson jusqu’au 10 septembre prochain. Pour rappel, cette manifestation est proposée par le Centre de la Gravure et de l’Image imprimée dans le cadre de la Biennale Artour, dont le thème cette année est entre-monde.
Formé à l’Ecole supérieure des Arts Saint-Luc à Bruxelles, Mathieu Van Assche est membre du collectif Studio Dirk, actif dans l’illustration, le graphisme et la photographie. Il y travaille aux côtés de Simon Vansteenwinckel et Cédric Volon, lui-même fondateur du projet Calaveras, petite enclave mexicaine au cœur des Marolles, simultanément galerie, boutique dédiée aux arts graphiques et webstore. Mathieu Van Assche et Simon Vansteenwinckel, ont aussi fondé « Le Mulet », une maison spécialisée dans les livres et fanzines gravitant autour du média photographique. L’artiste pluridisciplinaire dont on vous parle ici a contribué à plusieurs ouvrages collectifs et personnels édités par l’association, dont Tropical Stoemp et Klepto Man.
Une cosmogonie monstrueusement poétique
À l’aurore de sa vie, la première vision qui se fixe sur les rétines de Mathieu Van Assche est celle d’une petite colonie artistique, fondée par une maman dompteuse de fil, enseignant dans une académie textile et un papa professeur de dessin et architecte. Crapahutant dans un cosmos stimulant et biberonné à la littérature jeunesse et au théâtre de marionnettes, il est fasciné par les monstres de Maurice Sendak avec qui il tisse une merveilleuse intimité. Il conserve par ailleurs un souvenir éminent du spectacle Le tour du Bloc du Tof théâtre et des débuts du Magic Land Théâtre.
Nous avons été bercés d’illustrations ma sœur et moi. J’étais un grand fan de BD et du livre Max et les Maximonstres dans lesquels je me suis perdu pendant de longues heures. Plus tard, je me suis naturellement orienté vers le dessin en testant sa grande force narrative. Aujourd’hui, j’enfile plusieurs casquettes dont celle de graphiste, qui paye les factures du quotidien. J’ai déployé un petit arsenal de moyens expressifs, avec la gravure, la photographie, l’illustration. Bref, je me définis plutôt comme un touche-à-tout et bon en rien, lance-t-il avec une grande modestie.
A vrai dire nous le trouvons plutôt lumineux dans tout ce qu’il entreprend, et cette lueur s’accentue quand il nous annonce qu’il aimerait expérimenter encore plein d’autres techniques et notamment la céramique (à suivre donc !). En attendant, dans ce petit panorama nous allons nous concentrer surtout sur sa pratique de l’estampe tout en évoquant les autres facettes de sa production qu’on vous invite à explorer via les liens dont avons parsemé cet article.
Attiré par les lamineuses d’icônes
Il a saisi la pointe-sèche un peu au hasard, s’étant inscrit à la RHOK, où il avait l’intention de faire de la sérigraphie. C’est une fois dans l’atelier, qu’il a voulu expérimenter la gravure, curieux et excité à l’idée de manipuler les presses pour les voir contraindre doucement le métal.
Afin de nourrir les colosses aux roues dentées et mettre en mouvement leurs cylindres, Mathieu Van Assche se surprend à creuser de petites plaques de cuivre. Ce qui lui plait dans l’eau forte, immédiatement, c’est ce retour à la simplicité du jeu entre le blanc et le noir et la grande spontanéité que révèle l’acte de tailler doucement le support imperceptiblement ductile. Ce faisant, il se découvre un autre trait plus flexible, qui sans relever d’une longue recherche sur croquis, peut faire naître une image où s’invite l’imprévu. Une autre magie est amenée par les accidents de la matière et elle se révèle progressivement au cours du rigoureux processus ancestral d’impression. Il y a évidemment toujours une idée qui germe au départ, mais qui en affluant vers la main, s’anime pour s’enraciner à sa guise dans les sillons du cuivre et surprendre la matrice qu’elle emboutit.
Se jouer des contraintes
Pour la Joyeuse Parade, le graveur expose quelques-unes de ses miniatures, celles-là mêmes qui ont ému le jury et ont fait de Mathieu Van Assche le lauréat du prestigieux prix de la Gravure et de l’image imprimée en 2021. Ces œuvres lilliputiennes sont d’une grande densité.
Au départ, c’est pour tester de nouveaux outils et un peu par économie que je me suis mis à travailler de petits formats, car l’eau-forte est une technique qui peut se révéler assez chère, notamment pour l’acquisition des supports en cuivre à tailler. Par dessus tout, je trouvais fascinant de pouvoir, plusieurs centaines d’années après de grands maîtres tels que Rembrandt ou Goya, utiliser les mêmes mediums pour produire des images actuelles. J’aimais aussi l’idée que ces petits formats allaient forcer le spectateur à s’approcher s’il voulait prendre le temps d’observer et d’apprécier l’image dans son ensemble.
Sans doute animé par le côté addictif du geste, l’aquafortiste déploie un soin infini à l’accumulation de détails dans les séquences qu’il creuse. Il lui prend l’envie de susciter la curiosité du regardeur qui doit déchiffrer le récit qu’il distille par petite touche, minutieusement. L’eau-forte étant un processus presque laborieux, pour lequel de nombreuses étapes doivent être scrupuleusement respectées, la pratique prend une forme rituelle et codifiée, presque liturgique. Il n’est pas rare que l’artiste consacre plus d’un mois et demi à la production d’une gravure, entre le moment où il envisage une image et celui où il la voit s’extraire des rouleaux de la presse.
Lorsque j’entreprends une pièce, c’est un peu comme si je me détachais de la réalité qui m’encercle en ouvrant une fenêtre minuscule vers un ailleurs que je crée en entaillant la matière.
Une macédoine de gentilles goules
C’est probablement parce que je puise une partie de mon inspiration dans la grande fascination que m’ont procuré les livres d’illustration de mon enfance, que je me sens autant à l’aise avec la gravure. La taille-douce a ceci de merveilleux, qu’en me laissant dessiner de manière un peu enfantine, elle m’accorde par sa finesse et son relief un rendu tout-à-fait particulier, d’une grande douceur.
Dans les méandres des rêveries du graveur, aux côtés du petit Max en costume de loup et de ses amis, chimères ventripotentes qui ne pensent qu’à faire d’épouvantables fêtes, on trouve aussi le Crasse-tignasse inventé par Heinrich Hoffman. Ce médecin et poète rédigea et illustra en 1858 le récit décapant du personnage qu’il enfanta parce qu’il ne trouvait aucun livre assez truculent pour son fils aîné… Tous ces monstres ont colonisé doucement la fantaisie de Mathieu Van Assche pour y faire naître une formidable communauté à la croisée d’un freak show et d’une cavalcade croquignolette.
Ce clan a priori un peu effrayant, nous parle pourtant de liberté, de tolérance, de fête, de dérision, …
Qui est le monstre de l’autre ?
Ah il faut les avoir vus… Têtes de bêtes macabres, gestes inattendus, insoumis d’animaux irrités. Humanité repoussante mais combien mouvementée sous les défroques irisées de paillettes arrachées au masque de la Lune. Alors j’ai vu grand et mon cœur a vibré et mes os ont tremblé et j’ai deviné l’énormité des déformations et devancé l’esprit moderne. Un monde nouveau s’est dessiné. James Ensor
Engoncés dans de minuscules fresques apparaissent des attroupements d’individus en pleine bamboche, qui, des étincelles dans le regard, sont affairés à se jouer des tours ou sont en train de nous observer avec malice. Ils nous absorbent dans leurs histoires délirantes et poétiques, drôles ou parfois très émouvantes.
En les décortiquant, on s’interroge. Qui sont vraiment les bêtes ? Sont-ce les mini-monstres aux dents crochues qui nous acceptent pourtant tels que nous leur apparaissons et nous invitent à oser aller au bout de nos idées ? Ils nous font pourtant rire, nous émeuvent ou nous font prendre du recul face au monde qui nous entoure en nous contant leurs affreuses mésaventures.
Ne serait-ce pas plutôt certains de nos pairs, ceux dont il faudrait avoir peur ? Ceux qui se voilent la face derrière le masque morose de la rigidité qu’ils enfilent pour participer à la comédie sociale du quotidien. Ne sont-ils pas plus effrayants, ces descendants des fameux Bourgeois qui obsédaient Ensor à tel point qu’il les a inlassablement mis en scène ?
Le masque qui libère
Mathieu Van Assche se passionne pour la forme spontanée et païenne de fête qu’est le carnaval sauvage. Lors de cet événement, chacun accepte de se parer d’un masque pour créer un moment collectif lors duquel pourra rejaillir la lumière, au travers le feu qui libère des démons noirs de l’hiver.
Lorsqu’il se mue en photographe, entre son masque et la foule il règle la focale pour capter une certaine sauvagerie dans les danses et les cris.
C’est un événement que je vis pleinement chaque année, à Bruxelles. Jouant le rôle de soupape, il devient un moment alternatif qui nous reconnecte avec nos instincts primitifs et notre environnement.
Cet attrait pour la fête déjantée apparaît aussi en filigrane dans plusieurs compositions accrochées aux cimaises du château Gilson, comme dans La parade des gueux où cohabitent monstres burlesques, personnages masqués et musiciens improbables. Ils envahissent le papier à la manière des acteurs d’une kermesse moyenâgeuse ou d’un triptyque illustrant une scène biblique qu’aurait pu peindre Jerôme Bosch. À la manière de Brueghel qui après s’être fondu dans la foule en se travestissant lors des fêtes villageoises, reproduisait avec une extrême minutie les gestes et allures ainsi observés, Mathieu Van Assche introduit dans ses compositions une ferveur, un mouvement qui excitent nos pupilles.
L’homme sauvage universel
En me documentant sur la tradition des carnavals, j’ai découvert les travaux du photographe Charles Fréger, et notamment ses séries consacrées aux figures du sauvage dans les cultures populaires.
Lorsqu’on parcoure ces inventaires photographiques d’une grande force poétique et dont les protagonistes ont longuement !été étudiés en amont par Charles Fréger, on est surpris par l’invraisemblable variété de hordes constituées par ces hommes sauvages. Ces archétypes qui défilent ont quelque-chose de familier, qui transparaît aussi dans l’œuvre de Mathieu Van Assche et nous parle d’humanité bien plus que de folklore. En participant au carnaval sauvage, chacun peut incarner un nouvel homme indompté, qui remet en question l’ordre établi et reconquière une forme de libération de la pensée et de l’action dans son environnement. Cette exaltation de la liberté individuelle transpire aussi clairement chez Mathieu Van Assche. Elle rejoint la pensée libertaire et le trait cinglant et précis de l’auteur américain de BD Robert Crumb qu’il a lu avec ferveur dès son adolescence.
Autour de l’exposition
Tout comme ses deux acolytes Shen Ozdemir et Clémence Godier, Mathieu Van Assche a été invité par le Centre de la Gravure et de l’image imprimée à produire une édition originale. Elle s’incarne dans une petite estampe disponible à l’accueil de l’exposition.
Ce petit tableau est très émouvant, débordant de tendresse et vous transperçant le cœur par la sincérité douloureuse de l’épreuve qu’il effleure: celui du deuil. Une œuvre qui nous révèle à quel point les monstres peuvent être incomparablement généreux et délicats, seuls capables de nous réconforter face à la réelle brutalité du quotidien.
Toujours dans le cadre de l’exposition, il animera la Grande Cavalcade en tandem avec Clémence Godier. Un stage pour adultes (COMPLET) du 21 au 25 août prochain au Centre de la Gravure lors duquel les participants seront invités à dessiner et graver d’autres formes de vies. Pas à pas ou au galop, le duo les guidera pour découvrir et pratiquer la taille douce (gravure en creux sur métal) et la typographie.
Saboter les images des autres
Les figures colorées des « photos sabotées » ne figurent pas parmi les freaky friends débarqués de Bruxelles, mais vous pouvez les observer dans le livre Mascarade publié aux éditions CFC dont est extraite une série de cartes postales disponible à l’accueil du Château Gilson. Le livre est sorti dans la collection L’impatient qui condense les premiers livres d’artistes tels qu’Adrien Lucca, Maëlle Dufour et Stéphan Goldrajch. On vous invite absolument à aller découvrir sa galerie de portraits délicieusement étrillés à coup de couleurs et de fantaisie. Ici il nous propose une relecture des photos de famille sagement posées, pour y faire apparaître d’autres récits débordant d’énergie et de dérision.
Depuis plusieurs années, je récupère, achète et collecte de vieilles photos, d’anciens portraits d’identité et des photos de famille d’une autre époque. Petit à petit, j’ai commencé à dessiner au posca (feutre peinture) à même ces originaux, d’abord comme un jeu et sans projet précis. Ensuite, comme le support me plaisait beaucoup, j’ai continué à développer cette approche en faisant dialoguer l’illustration avec son support photographique. J’ai commencé à masquer les visages, à m’éloigner de ces portraits un peu figés pour y amener une forme de mystère, d’étrangeté. Je puise mon inspiration tant dans l’effervescence des quartiers populaires que dans l’imagerie du sacré ou dans la tradition du masque dans les sociétés dites “primitives”. Les pistes se brouillent et naît un univers à la fois onirique et cabossé, peuplé de doux monstres et de créatures fantasmagoriques.
Quelques-unes de ces agressions colorées outrageusement amusantes peuvent défiler sur le fil du compte Instagram du pilleur génial. Celui-ci souhaitant mettre l’œuvre avant l’artiste, à l’époque des influenceurs et du star-system, nous lui avons proposé, pour illustrer cet article, de lui saboter le portrait en nous inspirant de son panthéon personnel. Le voici donc paré d’un masque inspiré par l’un des protagonistes du triptyque du Jugement dernier de Jérôme Bosch. Merci à Achille Pelletti, notre jeune illustrateur tout juste sorti de l’ARBA secondaire, qui s’est prêté au jeu de cette mascarade virtuelle par le truchement d’un collage.
Autre actualité
Soulignons que jusqu’au 10 septembre prochain, Mathieu Van Assche expose, aux côtés d’une quarantaine d’artistes issus du monde entier dans le cadre de la Biennale internationale d’estampes contemporaines de Trois-rivières au Québec.
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Site web
Joyeuse Parade est organisée dans le cadre de la Biennale Artour du Centre culturel du Centre (Central).
Ouverture au château Gilson le jeudi, vendredi, samedi et dimanche, de 14h à 18h.
Expo du 29.06 au 10.09.2023
Centre de la Gravure et de l’Image imprimée
Rue des Amours, 10
B-7100 La Louvière
+32 (0) 64 27 87 27
Daisy Vansteene, Chargée de Communication auprès de Hainaut Culture