Un charbonnage exceptionnel
Jusqu’au 8 janvier prochain, le Centre d’Innovation et de Design (CID) au Grand Hornu présente une intéressante exposition qui explore les usages innovants et non-polluants du charbon. Cet événement s’inscrit dans le cadre d’un ensemble de manifestations célébrant la première décennie d’inscription des 4 sites miniers majeurs de Wallonie à la Liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO.
Si le charbonnage du Grand Hornu est un ensemble exceptionnellement bien conservé et témoignant de l’histoire de l’exploitation houillère en Europe continentale, il est particulièrement remarquable de par le fait qu’il concrétise une forme d’utopie sociale : celle des colonies ou villages ouvriers, sortis de terre durant la Révolution industrielle du 19ème siècle, en vue d’offrir aux travailleurs des conditions de logement relativement plus décentes et saines que celles qui existaient jusqu’alors pour le monde ouvrier.
Un design post-carbone ?
Prétendre à une utilisation responsable de ce matériau enfoui au creux des sillons qui courent dans les entrailles de la terre, voilà en quelque sorte la gageure des artistes, designers et architectes dont les recherches sont rassemblés au CID en ce moment, par les soins des deux Commissaires d’exposition que sont Giovanna Massoni et Amandine David. L’exposition « Au Charbon! Pour un design Post-carbone » met en scène les travaux passionnants, optimistes, parfois aussi désabusés d’un ensemble d’acteurs engagés dans une sorte de processus « rédempteur » du charbon, matière noire souvent décriée car principale vectrice des émissions de CO2 sur la planète. Si ce combustible n’évoque parfois plus grand-chose aux jeunes générations belges qui n’ont pas connu leurs arrière-grands-parents à l’œuvre dans les mines, nous sommes pourtant loin d’être sortis de son système d’exploitation. Au contraire, aujourd’hui encore, le charbon reste la première source de production d’électricité et la deuxième ressource énergétique après le pétrole.
Bien que les armées de mineurs ne s’activent plus dans les sous-sols de dans nos contrées, d’autres formes d’extractions mécaniques et extrêmement agressives pour le milieu se poursuivent en Europe, comme en témoigne le film bouleversant de Joanie Lemercier projeté au fil de cette exposition qui se veut positive mais attentive. Avec Slow Violence, nous sommes immergés dans les paysages éventrés inquiétants et gigantesques du site minier de Garzwelier, où l’on poursuit les petits pas de fourmis d’un groupe d’activistes dénonçant cette forme d’extraction violente et irréversible des couches supérieures de charbon. Des engins aux dimensions totalement inhumaines défoncent les sols pour en exprimer la lignite, défigurant totalement le paysage en engloutissant la forêt de Hambach. Nous sommes émus par les images capturées par des drones qui fixent l’impuissance de quelques dizaines de citoyens venus combattre les colosses métalliques pour que cesse cet anéantissement irréversible du milieu… Un moment très immersif et puissant qu’on vous recommande de vivre en observant le film de Joanie Lemercier.
Mais rassurez-vous l’exposition révèle également des expériences plus optimistes où le design s’empare du charbon comme un objet inspirant, aux fonctions purificatrices, qui possède indéniablement des qualités esthétique. Elle vous invite à mener un périple qui vont conduira au travers une dizaine de chapitres qui présentent les œuvres remarquables de designers, architectes et artistes internationaux.
Vous y croiserez tout d’abord la Red Blue Chair de Gerrit Rietveld carbonisée par Maarten Baas. Il ne s’agit pas d’un autodafé mais d’un acte symbolique visant à souligner la vulnérabilité du design en restituant à la célèbre chaise, sa simple nature d’objet en bois périssable. Un manifeste pour un design nouveau qui s’éloigne des modèles économiques traditionnels axés autour de la croissance.
Comme le ciment de notre paysage, le charbon, qu’il s’enracine profondément sous terre (charbon de terre), ou qu’il provienne de la combustion des arbres déracinés de nos forêts (charbon de bois), a été à la source de profondes métamorphoses de notre cadre de vie et de nos sociétés. Ulrike Mohr, Laeticia Bica, Aequo Design, Luke Fuller et le Studio Khorram_Ricatte composent des scènes post-carbones rassemblées dans une séquence qui construit un nouveau paysage.
D’autres envisagent de nouveaux usages non polluants pour le charbon, en exploitant ses valeurs purement esthétiques (Jesper Eriksson, photo illustrant l’article) ou en réduisant son potentiel polluant, en imaginant de jolis petits fours à coke artisanaux (Phillip Weber).
Emile De Visscher, Jenna Kaës ou Grégory Lacoua fabriquent quant à eux de nouveaux matériaux fossiles, créés sur des échelles temporelles plus proches de celle de l’homme. Contrairement au charbon de terre qui nécessite plusieurs millions d’années pour apparaître, leurs matières minérales inventées sont produites assez rapidement, au départ de papier, de textile, … Ces substances donnent à leur tour naissance à des objets étonnants.
Une section Au charbon ! illustre la force d’inspiration puissante que revêt aujourd’hui encore la pénibilité de l’exploitation humaine pour l’extraction du charbon. Des planches de Sergio Salma auteur d’une bande dessinée consacrée à la catastrophe du Bois du Cazier et intitulée « Marcinelle 1956 » y côtoient les feuillets de Vivien Tauchmann illustrant les gestes des mineurs du passé (Belgique) et du présent (Congo). Cette artiste documente les mouvements épuisants des travailleurs. Elle a invité le public à restituer ces mouvements cadencés dans une chorégraphie collective lors d’une performance à l’occasion du vernissage de l’exposition. Ce moment peut être visualisé ici.
Et si au lieu de polluer, le charbon devenait un outil ou une source de purification? Les savons produits par Jeewi Lee à partir de quelques fragments des tonnes de cendres de la forêt alpine calcinée en 2018, nous exhortent à dénoncer les grands feux dus à l’action humaine en observant un rituel purifiant.
Kaspar Hamacher quant à lui sculpte le bois à l’aide d’un feu purificateur pour produire de surprenants objets. Autre pratique purifiante, celle de Senscommon qui a développé une collection textile assemblée à partir de coton et de particules de charbon de bois qui détruisent les odeurs et les bactéries.
Shahar Livne, Kosuke Araki, Studio Plastique, BC Materials ou Ciel Grommen & Maximiliaan Royakkers sont les défenseurs d’un design post-carbone, construisant d’audacieux rapports à la nature qui n’est plus une ressource à exploiter sans fin dans une logique de croissance, mais une composante avec laquelle il faut trouver un équilibre non-violent et qui s’inscrive dans la durée. Objets produits à partir du plastique excavé de nos sols, de déchets alimentaires non comestibles, de débris végétaux (épines, écorce, feuilles) y côtoient des matériaux de construction alternatifs (terre crue, briques cuites dans un four low tech au cœur sur le sol d’un terril) développés dans le cadre d’une architecture décarbonée.
Raphaël Charles et Mercedes Klausner quant à eux proposent une utilisation artistique, poétique et politique du charbon avec leurs installations qui soulignent à leur manière notre évolution dans une ère anthropocène.
Toutes les infos concernant le CID figurent sur le site web.
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Daisy Vansteene, Chargée de communication pour Hainaut Culture