Barbara Salomé Felgenhauer rêve l’obscur

En ce 8 mars, journée internationale pour la défense des droits des femmes, nous avions envie de mettre à l’honneur une plasticienne qui participe en ce moment à l’exposition collective Stayin Alive, Discover the Collections proposée par le BPS22. De son regard perçant, elle nous invite irrésistiblement à rejoindre la danse orchestrée par le musée. Elle, c’est Barbara Salomé Felgenhauer, dont l’œuvre Devenir, attachée au projet J’ai rêvé l’obscur, illustre avec force l’évènement du BPS22.

Des retrouvailles !

La reprise était attendue, tant par les équipes du musée que par son public, après de longs mois de fermeture pour la mise en conformité énergétique de la grande et lumineuse halle d’exposition. Voyant que le chantier avançait plus rapidement que prévu, c’est Pierre-Olivier Rollin qui a précipité cette grande monstration, aux côtés des deux autres expositions programmées autour de Jean-Pierre Ransonnet et Jean-Pierre Point, révélant une fois de plus l’engagement stimulant de l’institution qu’il pilote. Au sein de cette salle emblématique, le commissaire met cette fois à l’honneur une quarantaine d’œuvres de la collection, acquises au cours des dernières années, et pour la plupart pas encore exposées. Des pièces qui témoignent toutes de la vigueur du musée et de son soutien indéfectible à la création contemporaine.

Les toitures sont terminées… on va arrêter de chauffer les nuages !  lance Pierre-Olivier Rollin. Et derrière cette annonce poétique et impertinente, on sent poindre une profonde satisfaction de pouvoir enfin reprendre le cycle de la médiation après le long cortège de reports et d’annulations amené par deux ans de crise sanitaire suivie par les importants travaux liés à la sortie de terre de Charleroi District créatif.

Stayin Alive, est un pied-de-nez à tous les interlocuteurs qui imaginent des sanctuaires à huis clos, là où s’anime au contraire l’action muséale qui tisonne la création artistique. Comme la chanson éponyme des Bee Gees, sorte de lasagne mélodique superposant paillettes et désillusions, l’exposition met en scène des œuvres qui se frottent les unes aux autres, comme des corps qui dansent de manière désabusée. La fête est un trompe l’œil qui révèle les questionnements sociétaux soulevés par les artistes. Ici, les productions de plasticiens émergents tutoient d’autres grands noms belges et internationaux de l’art actuel, dans une totale liberté, prouvant une fois de plus, combien aujourd’hui le musée est un lieu essentiel de l’activation de l’art et de son partage avec le plus grand nombre.

(c) Johan Muyle

Extraites des réserves du musée, et baignées par la lumière de la grande galerie conçue pour l’exposition internationale de 1911, les pièces d’une vingtaine d’artistes nous interpellent : Carlos Aires, Jacques Charlier, Chloé Clément, Arnaud Cohen, Jacqueline de Jong, Marcin Dudek, Eric Duyckaerts, Mounir Fatmi, Francis Feidler, Barbara Salomé Felgenhauer, Felten-Massinger, Liam Gillick, Filip Markiewicz, Anita Molinero, Johan Muyle, Aimé Ntakiyica, Claude Rutault, Cindy Sherman, Dominique Thirion, Valfret, Erik van Lieshout, Marie Zolamian.

(c) Carlos Aires

Féminiser une collection

La collection conservée au BPS22 est constituée d’objets allant de la fin du XIXe siècle au début du XXIe, de la peinture à la vidéo ou la performance, en passant par l’installation ou la tapisserie et est associée à un important fonds d’archives. Elle est aujourd’hui ouverte tant aux artistes hainuyers qu’aux plasticiens de réputation nationale ou internationale ; même si son noyau est constitué par les œuvres d’artistes qui ont un « ancrage » hainuyer. Dans le cadre de sa politique de constitution, le musée a défini plusieurs axes de travail : l’art en Hainaut, le Surréalisme, les rapports entre art et société et les rapports entre l’art et les différentes formes de pouvoir.

En vue de rompre avec la longue histoire de l’invisibilisation des femmes dans les collections muséales, le musée oriente, depuis quelques années, sa politique d’acquisition vers l’achat d’œuvres d’artistes femmes.

Afficher une sorcière

C’est dans le sillage de cette ambition de féminiser la collection pour mettre en lumière les questionnements des plasticiennes que le travail de Barbara Salomé Felgenhauer a dernièrement été acquis par le BPS22 et qu’il est mis à l’honneur pour Stayin Alive jusqu’au 23 avril prochain.

Obsédant, son autoportrait incarne l’affiche de l’exposition pour nous préparer à une expérience sensuelle revigorante.

Lors de son master à l’école des arts visuels de la Cambre, le parcours de la photographe a croisé celui de Pierre-Olivier Rollin, dans le cadre de l’atelier de photographie. Barbara définit aujourd’hui sa pratique comme un acte de militance. Marquée par la lecture du manifeste de Starhwak, qui est probablement à l’origine de la naissance du mouvement d’action non violente écoféministe, elle a entrepris depuis plusieurs années, un travail au long cours qui s’ancre dans le Wiccanisme.

Ma proposition porte sur l’écoféminisme et entre en résonnance avec le livre Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique de Starhawk. Au travers mes recherches sur le corps et notamment via la performance, je travaille à reprendre conscience de mon propre pouvoir, à me réapproprier mon corps ou encore à questionner mon identité. Par l’application de cette peinture rouge, comme une seconde peau, j’expérimente une réinvention de pratiques rituelles, un acte magique, comme en accomplissent les sorcières néopaïennes du mouvement Wicca.

Rêver l’obscur est un essai sur le pouvoir, la capacité à faire des femmes, un livre publié en 1982 par Miriam Simos, aka Starhawk et qui retrace comment, en compagnie de nombreux et nombreuses autres citoyens et citoyennes, l’autrice est parvenue à faire bouger les lignes, dans la contestation qu’elle menait face aux ambitions militaristes et nucléaires américaines. Un témoignage où elle livre son exploration d’une science inventive et festive des rituels, invitant chacun et chacune à prendre conscience de son pouvoir et à le mettre en œuvre en resserrant les liens avec les autres, en agissant à sa mesure au sein de la communauté.

Il s’agit d’empowerment, c’est à dire de fabriquer ensemble des situations qui nous rendent capables, ensemble, de ce qui nous désespèrerait individuellement, comme le définit la philosophe Isabelle Stengers.

L’autoportrait et la photo du paysage que je présente ici, sont un fragment de mon travail. Cette image de la nature que je convie, je l’ai figée dans un site mégalithique que j’aime particulièrement, situé du côté de Wéris en province de Luxembourg. Ce lieu est imprégné d’une énergie particulière et il fait particulièrement écho à ma pratique. Par mon travail je tente, comme d’autres artistes, d’identifier mes craintes, mes fragilités, de les visualiser, pour les affronter, les transformer en une énergie positive, à en faire des leviers de changement.

J’ai été surprise et honorée, lorsque j’ai appris que ces pièces allaient dialoguer avec des œuvres qui ont parfois acquis une grande notoriété aujourd’hui. J’avais déjà eu l’occasion de découvrir le lieu puisque j’y ai passé une semaine, dans le cadre de mon jury de master, et c’est formidable de pouvoir y exposer à nouveau en faisant partie de la collection cette fois. Stayin Alive pour moi c’est aussi un acte de résistance, c’est être convaincue que nous avons cette capacité de changer les choses, d’agir contre la destruction de notre planète, contre cette forme de prédation qu’elle subit, en redistribuant autrement le pouvoir.

Cette conviction est le résultat d’un cheminement qu’elle traverse depuis longtemps. Sa maman étant historienne de l’art, elle a sans doute été sensibilisée dès son jeune âge aux grands débats de société.  Mais lorsqu’elle est sortie de son Bachelier en photo en 2013, son ambition était plutôt de travailler dans le milieu de la mode et de la publicité. Elle y a un peu évolué et puis s’est rendue compte du fait qu’elle ne trouvait pas cela suffisamment porteur de sens.

C’est un environnement dans lequel je ne m’épanouissais pas totalement mais par la suite, j’ai eu l’opportunité de travailler à l’Institut Royal du Patrimoine Artistique, et d’approcher des œuvres d’art de toutes natures, pour les photographier, préparer leur inventoriage, en vue de leur étude et de leur conservation. Je trouve ça passionnant ! C’est un quotidien d’une grande richesse, de par la variété des lieux qu’il me fait découvrir. Aujourd’hui je suis free lance et je continue cette mission photographique, qui a du sens pour moi. En parallèle j’ai pu également développer mon travail artistique et lui donner la place qu’il méritait dans ma vie, et évidemment même si c’est un statut un peu précaire, j’y trouve un équilibre au quotidien.

Récemment Barbara Salomé Felgenhauer a entrepris un master de spécialisation en étude des genres qu’elle poursuit à l’ULB et à l’UCL. Elle présente également Faiseuses d’histoires, jusqu’au 16 avril, à la Galerie Satellite (Liège). Il s’agit d’une nouvelle lecture de ses projets J’ai rêvé l’obscur et Terrapolis, qui met au centre de son propos la symbolique de la Déesse immanente, comme affirmation du corps féminin et pouvoir de réappropriation.

Hors les murs, les Femmes de mars

Toujours en lien avec ce choix d’accorder une plus grande représentativité des artistes femmes, se concrétise une autre exposition, qui se tient jusqu’au 31 mars au CAL Charleroi (Maison de la Laïcité de Charleroi).

C’est Alice Mathieu, historienne de l’Art et médiatrice au BPS22 qui en est la commissaire. Par Elles déploie une sélection d’œuvres réalisées uniquement par des femmes.

Cette exposition tend à rendre visibles ces créatrices trop souvent oubliées du monde artistique et de l’histoire de l’art, tout en abordant la place de la femme dans notre société : la représentation du corps féminin avec les œuvres de Maria Theresa Alves, Priscilla Beccari, Berthe Dubail ou Bénédicte Henderick, l’assignation à certains rôles avec les œuvres de Cécile Douart ou encore les violences qu’ont à subir les femmes avec les œuvres de Michelle Saussez et Véronique Vercheval, entre autres.

On vous invite à la découvrir et à parcourir le riche programme d’actions qui se dérouleront à Charleroi durant tout le mois, dans le cadre de Femmes de Mars.

Enfin, notez que le 25 mars prochain, l’historienne de l’art Fabienne Dumont, spécialiste des questions féministes, présentera une conférence-apéro intitulée « Art et Féminisme » au BPS22.

 

INFOS 

+32 71 27 29 71

INFO@BPS22.BE

 

 

Daisy Vansteene, Chargée de communication pour Hainaut Culture

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