Diane Tenret, la douce alliance de la terre et du fil

Jusqu’au 13 octobre prochain, les métiers d’art du Hainaut mettent à l’honneur trois de leurs membres au sein de la galerie Koma. Ce petit lieu qui se cramponne aux pavés de la rue des Gades, au pied du Beffroi de Mons, accueille pour la première fois une exposition de notre service. Les 3 créateurs bénéficient d’un focus suite à l’intérêt que leur ont témoigné les membres du jury du Prix des métiers d’art du Hainaut, en novembre 2022. Lors de cette manifestation, pour laquelle concouraient près de 30 artisans, Eirini Chatsatourian s’est vue proclamée lauréate du prix tandis que Diane Tenret et Nathan De Clerck ont tous deux reçu une mention spéciale ex-aequo pour la grande qualité de leurs travaux.

Eirini Chatsatourian, Lauréate du Prix des Métiers d’art du Hainaut 2022

C’est un trio de pratiques qui est magnifiquement mis à l’honneur au sein des salles à la fois lumineuses et intimes de la galerie. L’exposition intitulée Céramique, lames et vieilles dentelles, est un clin d’oeil au célèbre film de Frank Capra. Une proposition stimulante et poétique, fruit de l’imagination truculente de Jean-Pierre Denefve, propriétaire des lieux.

Nathan De Clerck (la Forge du Morse), mention spéciale du Jury

Nous avons rencontré la céramiste Diane Tenret afin d’évoquer avec elle son parcours et sa pratique actuelle.

Un nuage de fleurs

Ce sont les fleurs ou clochettes délicates de Diane Tenret, immaculées et sobrement suspendues aux poutres cossues qui nous accueillent. Légères, elles semblent attendre que leurs homologues de métal fassent vibrer le beffroi pour onduler à leur tour. Cet essaim figé de corolles de porcelaine lentement coulées à la cuillère est étoffé par une multitude de figures lilliputiennes – pétales, clés de sol, plumes, fantômes – qui gonflent la densité de l’ensemble. Chacune de ces oeuvres volatiles est le fruit d’un long travail de composition, puis d’assemblage, car ces petits calices sont tous différents et hybrides, nés d’un subtile mariage entre kaolin et fibres textiles.

La production de certaines pièces s’inscrit dans le temps pour la céramiste. C’est le cas de cet ensemble qui a nécessité plusieurs mois de travail, mais c’est vrai aussi pour les masques qui toisent les visiteurs et furent présentés une première fois lors de l’exposition Abelam au Musée international du Carnaval et du Masque à Binche.

Pour mes masques, 3 mois se sont écoulés, entre l’esquisse et la réalisation. Le procédé est délicat. Il me faut d’abord réaliser une forme en terre, avant de produire un modèle en plâtre, qui lui-même, une fois sec, servira de base à l’élaboration du masque proprement dit. Je réalise ma propre matière, assemblage de kaolin, de silice et d’autres éléments, que je prends soin de passer au tamis, afin d’obtenir une barbotine fine et onctueuse, que je peux alors employer pour couler les dessins et formes que j’ai imaginés.

Peu de place est laissée à l’improvisation, et les motifs qui semblent aléatoires, sont exécutés sur base de scrupuleuses réflexions. En outre, il faut souligner que la production est aussi exigeante, dans la mesure où lors du séchage et la cuisson, les pièces se rétractent et perdent jusqu’à 40% de leur taille initiale !

Une matière qui serpente

Une technique méticuleuse, que Diane Tenret a mise au point progressivement, de manière empirique. Ses créations originales ont pu voir le jour suite aux recherches et essais qu’elle a menés dans son atelier qui prenait alors des allures de laboratoire.

Au départ, il y a quelques années, je m’amusais munie d’une cuillère, à faire des coulages dans de petits cônes pour former des pièces en barbotine. Petit à petit, mon geste a gagné en assurance et j’ai expérimenté d’autres formes. Il s’agit un peu d’une alternative à la porcelaine coulée à la poire, plus fine et régulière.

Faire s’entrelacer porcelaine et dentelle

Dans cette même salle, les disques aériens d’un voyage spatio-temporel auquel nous convie Diane Tenret répondent aux masques inspirés des rites papous. Comme un ombilic, au centre des ces anneaux, un noyau de dentelle s’étire pour que dure encore et toujours le souvenir tendre d’une grand-mère qui maniait avec ferveur ses aiguilles.

Ces dentelles que j’intègre dans mes créations, ont une grande valeur affective pour moi, je les tiens de ma grand-mère, qui cousait énormément et faisait aussi d’autres travaux à l’aiguille et au crochet.

On apprécie l’idée de cette transmission, de cette (ré)activation mémorielle, où le fil patiemment ouvragé par des doigts familiers, après être resté longtemps en sommeil se remet à palpiter, stimulé par le souffle de vie que lui transmet la petite-fille aujourd’hui devenue artisane. Face aux fines galettes circulaires de porcelaine, le regard est saisi par la blancheur d’autres mariages habiles.

Des fleurs de coton au pistil minéral se développent au creux d’un voluptueux dédales de tiges qu’aurait pu tracer la main de Victor Horta. Plus loin, un exquis ruban lui aussi métissé d’étoffe et de porcelaine se débobine délicatement, ses petites séquences rigides ou souples entrent en symbiose pour mimer un dialogue perpétuel entre hier et aujourd’hui.

Etudier l’âme avant la matière

Je suis un peu l’OVNI de la famille, annonce Diane Tenret, car chez nous, personne n’a vraiment l’âme d’un artiste, si je fais abstraction de ma grand-mère. Je conserve un souvenir vivace d’elle, toujours à l’oeuvre, en train de créer inlassablement vêtements, objets ménagers, etc.

Sans doute la céramiste a-t-elle hérité de son aïeule, infatigable couturière, ce plaisir de faire naître de ses mains, des oeuvres du quotidien. Sensible dès son plus jeune âge à toutes les formes d’expression artistique, Diane Tenret se souvient avoir toujours dessiné, peint, photographié, trouvant dans ces hobbies une part essentielle d’elle-même. Afin de respecter la demande parentale de mener à bien un cycle d’études qui la mènerait à un «vrai travail», la jeune femme achève un master en psychologie à l’Université de Louvain-la-Neuve, toute sensible qu’elle est « à soigner l’âme humaine« … Plus tard, elle amène naturellement dans sa pratique professionnelle et scientifique une dimension artistique, en y déployant l‘art thérapie.

Je suis restée fidèle à cette part de moi-même, étudiante ou travaillant, j’ai continué à créer, dessiner, mais je me suis au départ limitée à la 2 D. Prolixe et impatiente, je n’étais pas assez assurée pour explorer les champs infinis de la création d’objets en 3 dimensions

Puis il y a une vingtaine d’années, Diane Tenret a une sorte de révélation en plongeant les mains dans la terre. Elle garde une image intacte de ce moment de basculement, lors duquel elle a expérimenté le modelage. Les choses s’enchaînent ensuite naturellement, puisqu’elle décide de s’inscrire à l’Académie des Beaux Arts de Charleroi, pour apprendre à y donner corps à ses projets plastiques. Travaillant d’abord le grés au travers des formes figuratives, avant de se diriger petit à petit vers son élément de prédilection : la porcelaine.

S’inspirer du vivant

On l’aura aisément compris, Diane Tenret est une artisane qui enracine profondément sa pratique dans son environnement, s’inspirant de la nature et de ses circonvolutions, de l’univers végétal fluide et aux contours protéiformes. La substance qui constitue ses créations est elle-même vivante. Elle évolue au cours du processus de fabrication jusqu’à ce que les objets sortent pétrifiés de son four.

J’aime l’idée que mes pièces touchent à l’âme humaine, à l’âme d’un lieu, qu’elles soient porteuses de symboles. C’est notamment pour cette raison que j’ai souhaité développer toute une série d’éléments qui me rattachaient au souvenir de ma grand-mère et exprimaient de manière tangible ce lien affectif intergénérationnel puissant pour moi. L’installation suspendue que je présente à la Galerie Koma est quant à elle une sorte d’allégorie de notre société, une montagne qui rassemble une multitude de petites entités, et dont la grâce et l’élégance proviennent pour moi du fait que chacune est unique. C’est un montage qui semble fragile, mais que ne l’est pas tant que cela, à l’image de notre monde.

Rêver d’autres alliages

Désireuse d’explorer d’autres formes et matières, Diane Tenret aime participer régulièrement à des workshops. Elle a dernièrement appris la technique de la dentelle au fuseau, invitée à prendre part à un stage par l’une de ses acolytes membre des métiers d’art. Lors de ces journées, elle a pu expérimenter l’assemblage de nouveaux matériaux.

Je déborde d’imagination, et j’adore découvrir des variations techniques, après le tour de potier et le verre au chalumeau, la dentelle a constitué une très chouette nouveauté, qui me permettra sans doute de faire encore évoluer mes productions.

Tisser solidement sa toile

Diane Tenret a rejoint les Métiers d’art du Hainaut en 2018 et elle apprécie le soutien qu’elle a trouvé auprès de notre service, notamment durant la crise sanitaire.

être membre de cette association est un plus, car l’objectif affiché de soutien aux artisans est réellement atteint. On partage beaucoup d’expériences avec les autres, et la petite équipe de l’Office des métiers d’art fait un travail conséquent pour mettre en valeur nos productions, via des expositions, des salons, des échoppes avec démonstrations, on se sent vraiment soutenus. Ce que j’apprécie aussi c’est la coexistence d’une grande variété de techniques et la qualité des objets présentés dans le cadre des expositions collectives.

L’artisane accueille le public sur réservation dans son atelier et est également à l’écoute des projets des personnes qui souhaiteraient collaborer avec elle. Pouvant tantôt travailler à la fabrication de pièces utilitaires, tantôt à la conception d’objets plus symboliques en lien avec des événements particuliers (mariage par exemple).

Diane Tenret sera présente les 30 septembre et 1er octobre au parcours Bouillon d’artistes de Baisy-Thy, elle exposera également aux côtés de 40 autres artisans dans le cadre somptueux de l’Orangerie du Château de Seneffe. Une exposition d’ensemble organisée par l’Office des Métiers d’art du Hainaut, du 14 octobre au 19 novembre et qui verra désigner par un jury d’experts le lauréat du Prix des Métiers d’art du Hainaut 2023.

Galerie Koma

Infos 

Exposition Céramique, lames et vieilles dentelles
Accessible du mercredi au samedi : 14 > 18h.
Dimanche : sur rendez-vous (14 > 18h) au +32 (0)65 31 79 82
Mons, Galerie Koma
4 rue des Gades
B – 7000 Mons
Au pied du Beffroi

Entrée libre

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Daisy Vansteene, Chargée de Communication auprès de Hainaut Culture

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