Le travail artistique de Benoit Bastin et de Barbara Geraci se modèle, s’écrit, se dessine à partir de leur environnement direct, celui proche du foyer, du lieu de travail, de l’atelier, des histoires qui se racontent en famille, du musée aussi, de tout ce qui construit une vie sans que nous y portions un regard attentif.
L’Exposition
La plupart des plasticien.nes dont les œuvres se conservent au Musée des Beaux-Arts de la Ville de Charleroi nous livrent déjà, en peinture ou en sculpture, ce quotidien d’une population, celui des travailleur.euses aux fourneaux mais aussi des habitant.es dans leur foyer ou dans leurs loisirs.
C’est dans le journalier que le geste plastique fait irruption, pour que chaque jour, de nos rituels silencieux, surgissent les bruits intimes de nos vies, leurs fonctions politiques sous-jacentes ou leurs injonctions sociétales occultées. Le temps de l’exposition, ce sont les moments routiniers et leurs gestes coutumiers qui s’affirment aux cimaises. Dans les deux créations, que nos gestes ordinaires soient accentués, épurés, voire effacés, il s’agit, à travers nos habitudes, d’accorder une attention nouvelle à ce qui s’anime chaque jour. Cette fascination du quotidien, commune aux deux artistes, s’infiltre dans leur création. Elle se lit dans le titre des œuvres, se comprend au fil des mots superposés, se découpe sur le papier, s’entend dans les interviews, se compose en installation ou se révèle lors d’un déménagement de mobilier.
À travers les recherches plastiques de ces deux artistes, l’ordinaire fait irruption au musée. Une manière d’appeler en chacun.e un regard plus avisé sur son environnement pour qu’une fois hors du lieu de l’exposition, nos gestes se délient pour se mettre en désordre. Ainsi, de retour chez nous, dans notre routine, déjà sur le pas de nos portes ou sur nos lieux de travail, Benoit Bastin et Barbara Geraci nous invitent à observer le sensible mais aussi le politique qui s’infiltrent dans nos habitudes.

(c) Andy Simon
Barbara Geraci
« Dans le silence,
Nos mains soulèvent et pèsent le monde,
Surgit alors le mouvement,
Puis le bruit. »B.Geraci
Avec Barbara Geraci, il suffit d’un linge de maison soigneusement déplié et replié pour parler de reliure, de récits à achever ou évoquer la tablette d’un scribe extraite depuis la terre. Les habitudes gestuelles, froissées, dépliées, tracées par l’artiste sont amplifiées puis transfigurées pour les recharger de sens. Afin de les recomposer, l’artiste regarde de près les mouvements du corps, particulièrement dans le cadre du monde du travail, elle les intensifie, les déplace, les superpose, les retrace, les collectionne aussi. Dans ses dessins, ses photographies ou ses vidéos, Barbara Geraci insiste sur le caractère répétitif du geste, le sien aussi, qu’elle va s’efforcer de chorégraphier.
Dès lors considérés par l’artiste, ces rituels questionnent les corps, nos pratiques, avant de mettre en mouvement un harmonieux désordre et le contexte corporellement contraignant dans lequel il se déploie. Une fois déplacé et transformé en matière plastique, le geste se dévoile autrement. Sans relâche, comme l’ouvrier.ère face à la chaîne de la production, à force de plier, de déplier, de mesurer, de composer, d’isoler le geste, l’artiste en extrait ses couches, en redessine les formes, en réécrit les mots et organise au musée le quotidien depuis ses mouvements. La contrainte des habitudes se transforme et l’artiste offre enfin une respiration au corps compressé.

La résurgence du geste, vidéo HD, 4’ 28’’, 2018. Collection de la Province de Hainaut, dépôt BPS22 – Musée d’Art de la Province de Hainaut, Charleroi Avec Franco Calcagli, Mario De Bartolo et Roger Van Den Stockt, ouvriers retraités de chez Boël et Liliane Maenhout, veuve d’un ouvrier retraité de chez Boël Produit par le Secteur des Arts plastiques de la Province de Hainaut.
Barbara Geraci, 1982. Vit et travaille à Bruxelles.
www.barbarageraci.be
Master en Arts du spectacle, finalité spectacle vivant, ULB, Bruxelles
Peinture, Arts², Mons
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Benoit Bastin
« L’interaction est dans l’absence du geste »
B.Bastin
Pour Benoit Bastin, il s’agit plutôt d’épurer l’action et de rendre à travers le mouvement une forme de confusion qui révèlera efficacement son propos artistique. L’automatisme du quotidien se voit rompu pour n’en conserver qu’un moment essentiel. C’est le brouhaha gestuel contenu dans le journalier qui l’interpelle et comment il pourra, grâce à son œuvre, en diffuser les fonctions politiques sous-jacentes.
Le geste chez Benoit Bastin est présent quand l’artiste déménage pour donner lieu à la création.
Mais celui-ci existe aussi par son absence lorsque le plasticien laisse aux cimaises des objets figés dont la mise en mouvement se fait dans nos mémoires, alors que dans le foyer, on les déplace sans attention. C’est dans le souvenir du geste, contenu dans ses œuvres, que se répand le sens politique et social de nos mouvements routiniers.
Dans nos habitudes, les chaises se soulèvent, les mots s’échangent, les rideaux se ferment. Au musée, ces mêmes rituels, dépourvus de leurs gestes, se chargent de nouveaux sens et diffusent une tension qu’habituellement on retient en nos murs.
Le plasticien agit avec le quotidien pour mettre en balancement ses objets, ses idées, ses mots, ses habitant.es. C’est par déplacements, par effacements à force de reproduire, d’accumuler ou de faire varier que le trouble invisible inscrit dans le journalier s’amplifie et s’expose. Sous nos toits, en nos murs, dans notre langage et entre nos mains se conservent des « collections » sculptées à partir d’un ordinaire. Avec Benoit Bastin, il s’agit de venir le déranger et d’en révéler la charge.

Bienvenue à tous, paillassons, techniques mixtes, 200 x 300 cm, 2021 Vue de l’exposition Le Bureau – Quentin Desmedt, ancien Consulat d’Italie, Charleroi
Benoit Bastin, 1991. Vit et travaille à Charleroi
www.benoitbastin.com
Peinture, Académie des Beaux-Arts, Tournai

(c) Barbara Geraci
Infos
Incursions.
Ou la persistance de l’ordinaire
Benoit Bastin – Barbara Geraci
Du 22 mars au 29 juin 2025
Vernissage le vendredi 21 mars à 19h
Musée des Beaux-Arts de la Ville de Charleroi
67, Boulevard Mayence
6000 Charleroi
32(0)71 86 01 01
www.charleroi-museum.be
Exposition accessible :
Du 22 mars au 29 juin 2025
Du mardi au vendredi de 9h à 17h
Samedi, dimanche et jours fériés de 10h à 18h
Une organisation du Musée des Beaux-Arts de la Ville de Charleroi et du Secteur des Arts plastiques de la Province de Hainaut. Avec le soutien de Hainaut Tourisme, de L’ISELP et du Service des Arts plastiques de la Fédération Wallonie Bruxelles.