La palette tragique, noire et blanche, de Banks Violette

05/04/2024

The bees made honey in the lion’s skull constitue l’une des plus importantes expositions jamais consacrées par un musée au travail de cette icône incontournable de l’art contemporain qu’est Banks Violette. L’événement qui présente près d’une quarantaine de pièces témoigne de l’aisance de l’artiste tant dans les domaines de la sculpture que du dessin. Une rétrospective qui trottait dans la tête du directeur du BPS22 depuis de nombreuses années, et qui se déploie sur l’ensemble des salles du musée d’art de la Province jusqu’au 5 mai prochain.

La proposition rejoint un souhait conforme à l’engagement du BPS22, de donner à voir une nouvelle fois la force d’inspiration exercée par les sous-cultures sur certains plasticiens. Après avoir notamment abordé le mouvement punk, le street art, ou encore le foot… cette fois, Pierre-Olivier Rollin et son équipe, invitent un artiste américain aiguillonné par le Black Metal, ses codes et sa mythologie.

Né en 1973 à Ithaca, Banks Violette est diplômé de la Columbia University et la School of Visual Arts à New York. L’artiste connaîtra rapidement la notoriété en produisant des sculptures minimalistes de grand format et de vastes installations faisant référence à des espaces de performance ou de théâtre. Après avoir successivement été porté aux nues avant de sombrer dans les méandres de l’addiction, il s’est mis en retrait durant quelques années, en vue de soigner son âme, à tel point que le monde de l’art s’est temporairement détourné de ses travaux.

Une acquisition exceptionnelle présentée au BPS22

C’est dans ce contexte qu’en 2014, la Province de Hainaut a pu faire l’acquisition, de l’une de ses pièces dont la cote avait sensiblement chuté. Sunn 0)))/repeater(decay/coma mirror) est une installation monochrome faisant écho à une performance que l’artiste avait donnée avec le groupe de drone metal Sunn 0))) à la Galerie Maureen Paley de Londres, en 2006.

Le BPS22 attendait de pouvoir la montrer au cœur d’une grande exposition dédiée à celui qu’on surnomme l’enfant terrible de l’art contemporain. Voici chose faite, et de manière magistrale, puisque le public a la possibilité de découvrir ici cette œuvre majeure mais également son alter ego, sorte de négatif. Deux installations qui forment un diptyque et une sorte de noyau autour duquel l’ensemble de la monstration a été pensée par le commissaire. Les deux volets sont réunis pour la première fois depuis près de 20 ans, au terme d’une sorte de longue enquête menée par les équipes du musée afin de retracer le cheminement de Sunn O)))/(black stage/ coma mirror), pièce désormais conservée au ARKEN Museum of Contemporary Art.

Pour son intervention à la Maureen Paley, Banks Violette a conçu cette scène en époxy noir pour la performance de Sunn O))) avec Attila Csihar (ex-chanteur de Tor – mentor et frontman de Mayhem, sulfureux groupe de black metal norvégien). Enfermé dans le cercueil de sel et la voix lourdement amplifiée, Csihar incante Oracle of the dead, des extraits d’une sorte de livre des morts rédigé en ancien hongrois. Le public présent entend le son assourdissant mais ne peut accéder à la salle où se produit la performance car celle-ci est fermée; il ne peut en voir que l’autre installation miroir fantomatique, décrit Pierre-Olivier Rollin.

Le sel pour pétrifier la flamme de vie

Le regardeur chemine librement et lors sa déambulation, il expérimente le passage de pièces sonores, noires, parfois vibrantes, vers des ensembles blancs qui semblent pétrifiés. Il s’agit de moulages immaculés d’instruments ou d’amplificateurs de musique dans un alliage de polyuréthane et de sel. Le sel est naturellement un matériau souvent utilisé par Banks Violette, notamment parce que l’histoire de sa ville natale a été marquée par son extraction aux abords du Lac Cayuga. À l’étage, une pièce très touchante présente une réplique en sel de la moto avec laquelle son ami proche l’artiste Steven Parrino s’est tué, un soir de nouvel an alors qu’il rentrait chez lui. Une pièce fragile, tout à fait remarquable, faite à la main fragment par fragment, et qui évoque la question de la fugacité de la vie.

L’art est un acte de communication, ce sont des gens qui participent à une conversation. Et il y a des gens dont la voix est très forte comme Steven Parrino, Frank Stella ou Robert Smithson; ce sont des personnes auxquelles je me sens personnellement contraint de répondre. Banks Violette.

Autoportraits qui tanguent

Aux côtés de ces mises en scènes théâtrales, le visiteur peut aussi côtoyer des pièces conçues plus récemment par Banks Violette pour Céline. Ce sont quelques-uns d’une série de 14 objets commandés par la prestigieuse Maison de mode. Ces lampadaires monumentaux, chancelant, tantôt couchés, tantôt faisant mine de se relever, tantôt prêts à tomber doivent toujours être suspendus même s’ils semblent être déposés au sol, ce qui leur confère une forme d’instabilité fragile. Ce sont des assemblages lumineux et froids, qui constituent pour Banks Violette des sortes d’autoportraits. Ils rythment merveilleusement la mise en scène et sont à l’image du rêve américain et de ses déconvenues que la trajectoire de l’artiste a empruntés.

Les deux choses que j’ai beaucoup regardées ou auxquelles j’ai beaucoup pensé sont Le Lampadaire pour ivrognes de Kippenberger. (…) Le réverbère n’existe pas sans que l’on comprenne qu’il s’agit d’une personne ivre dans un espace. Pour faire court, mes lustres ont fini par être la version «narcanisée» des objets [alcoolisés] de Kippenberger. Comme s’ils s’assoupissaient sous l’effet de l’héroïne. Banks Violette.

Les salles évoluent dans une palette uniquement constituée de noir et de blanc, avec de somptueux dessins réalisés au graphite qu’on pourrait relier à l’histoire charbonnière de Charleroi.

Puiser une beauté poétique dans l’effroi

I’d rather be killing my family. reproduit une fresque que l’artiste a croisée un jour lors d’un déplacement et qui pour lui restitue parfaitement toute la paranoïa d’une société américaine malade et violente, en pleine déliquescence. On remarque que dans ses compositions, le sculpteur reprend régulièrement des clichés de l’american way of life dans une perspective romantique. Comme dans sa transformation du drapeau américain, qui en se retrouvant inversé se retrouve vidé de sa signification.

Autre œuvre incontournable : mirror wall. Une pièce électronique assez compliquée, créée il y a une vingtaine d’années, au sein de laquelle des miroirs sont amenés à se briser par un système de vérins. Ces derniers poussent extrêmement lentement et conduisent les parois de verre à leur destruction par leur propre implosion. L’installation reconstituée et destinée à se briser au terme de 3 heures de pression, millimètre par millimètre a été actionnée lors du vernissage en février. Les miroirs ne fonctionnent plus comme des surfaces uniformes mais comme des fragments qui transforment la réalité.

Je m’intéresse beaucoup plus au monstre qu’à celui qui l’a créé. Pour une raison quelconque, c’est le monstre qui m’attire. Une vitre brisée m’intéresse en tant qu’événement, en tant que potentiel, en tant que processus. Je pense qu’il y a un plus grand potentiel – poétique, formel, intellectuel – dans la vitre brisée que dans la vitre intacte. Banks Violette.

A l’écart, dans une salle sombre comme un petit mausolée, gît une guitare brisée en hommage à Kurt Cobain. Elle est comme une sorte d’épitaphe au fer de lance du mouvement grunge. La star de son vivant a aussi accompli des dizaines de fois ce gimmick du rock’roll qui consiste à briser sa guitare sur scène… Peu de temps avant sa mort, Kurt Cobain avait signé un contrat avec Fender pour dessiner une guitare à son nom. Cette guitare n’a jamais été faite en raison de la mort prématurée de l’artiste. Le chanteur symbolise à lui seul le romantisme adolescent de par sa fin tragique. Son suicide métamorphosa Kurt Cobain en une sorte d’archétype pour l’adolescent qu’était Banks Violette.

Il ne vous reste plus que quelques semaines pour découvrir l’univers sombre et poétique de Banks Violette, et quelques rendez-vous s’offrent encore à vous, avec notamment des dimanches « gratuits » pour le public. N’oubliez-pas de vous munir de votre guide du visiteur (gratuit lui aussi et téléchargeable sur le site du musée).

 

Rendez-vous en lien avec l’exposition

DESTROY CONFÉRENCE APÉRO

« Ce n’est que comme créateur que nous pouvons détruire ! » déclarait Nietzsche. Cette phrase — pourtant contre-intuitive pour l’art — influence l’avant-garde artistique du début du 20ᵉ siècle. En prenant conscience que la tradition l’empêche de se réaliser, l’artiste transforme l’acte de destruction en acte de renouvellement et d’invention. En cela, l’acte destructeur se place au cœur de la pensée et de la pratique artistique moderne et contemporaine. Des futuristes à Banksy en passant par dada, Lucio Fontana ou Monica Bonvicini, cette conférence part à la découverte de plusieurs artistes qui ont fait de la destruction un usage ou un sujet spécifique de leur démarche artistique.

Destroy – L’acte de destruction dans l’art contemporain (le 06.04.2024-11:00>12:30)
Par Alice Mathieu, historienne de l’art et médiatrice au BPS22

 

THE DARK SIDE OF THE ART CONFÉRENCE APÉRO

Couleur aux multiples symboliques, le noir s’est progressivement vu réapproprié de manière innovante par un certain nombre d’artistes. Au cours du 20ᵉ siècle, l’utilisation de cette couleur a en effet évolué au gré d’approches, de formes et de techniques plastiques diverses. De Pierre Soulages à Banks Violette, exposé au BPS22 de février à mai 2024, cette conférence dresse un panorama des artistes qui ont exploité les potentialités chromatiques du noir, tout en éprouvant la dimension culturelle et sociale de cette tonalité.

The Dark Side of the Art – Le noir dans l’art contemporain (le 20.04.2024-11:00>12:30)
Par Nadège Metzler, historienne de l’art au BPS22.

 

VISITES GRATUITES – DIMANCHE AU MUSÉE

Pour le dernier jour de l’exposition de Banks Violette (et dernier dimanche gratuit), l’équipe de médiation du BPS22 sera présente dans les espaces du musée, de 14:00 à 17:30 pour vous accompagner dans la découverte des installations et dessins de l’artiste américain. Pour celles et ceux qui le souhaitent, Pierre-Olivier Rollin, directeur du musée et commissaire de l’exposition, vous propose une visite guidée à 15:00.  (le 05.05.2024-14:00>17:30)

Attention, pour cette visite, la réservation est obligatoire !

 

INFOS PRATIQUES

BPS22
Boulevard Solvay 22
6000 Charleroi

T: 071.27.29.71

INFO@BPS22.BE

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