Le Livre des Miracles de Louise Charlier / Quand la poésie embrasse l’univers.

30/11/2022

Cette année marque le début d’une nouvelle connexion entre la Province de Hainaut et le Centre de la Gravure, puisque dorénavant et sur l’aimable invitation de Christophe Veys, Hainaut Culture sera associé au prestigieux Jury du prix de la Gravure et de l’Image imprimée.
Pour sa trente-et-unième édition, le Prix récompense une artiste à la pratique singulière, mêlant performance, recherche et poésie pour construire de nouveaux récits autour de l’épopée spatiale. Louise Charlier et son Livre des miracles ont ému le Jury qui s’est réuni le 28 octobre dernier pour choisir parmi 25 propositions celle qui se détachait de l’ensemble.

Une cosmiconaute terrestre

Née à Verviers en 1996, la jeune plasticienne a poussé sous les frondaisons d’un verger attaché à sa ferme familiale qui campe au lieu-dit de Rosmel. Il s’agit d’un petit territoire qui doit son nom au ruisseau qui coule là tout près, un lieu bucolique que rien ne prédestinait à être lié à l’exploration cosmique.
Mais voilà, au fil de ses masters en dessin et arts visuels à La Cambre, Louise Charlier a choisi d’y déployer un ambitieux projet en y arrimant son agence baptisée « Roscosmique ». Un curieux nom pour ce bureau, lancé sans doute comme une riposte espiègle à la très sérieuse agence spatiale russe « Roscomos ». Opposée aux discours dominants qu’imposent les états autour de leur conquête extra-terrestre, Louise Charlier veut soutenir d’autres récits et représentations en lien avec cette épopée. Pour ce faire, depuis quelques années déjà, elle mène un ensemble d’expérimentations artistiques aux accents délicieusement scientifiques.

Roscosmique, carte et implantation du Cosmodrome

Depuis 2019, elle observe le ciel au travers son projet intitulé « Kinahmi ». Derrière ce petit mot léger il y a le nom d’un lieu particulier emprunté à la mythologie finlandaise et qui détermine dans la cosmogonie une sorte de tourbillon connectant le monde terrestre et le ciel.

Avec ce programme, au « Cosmodrome » de Rosmel, elle s’est entraînée à examiner l’immensité du ciel en rassemblant toutes les conditions qui devraient permettre d’entrevoir des Ovnis. Concentrée sous son dôme textile, modelée dans sa chatoyante combinaison anti abduction, elle a collecté patiemment les traces de possibles rencontres avec d’autres formes de vies extra-terrestres.

En se basant sur les témoignages apportés par des citoyens qui ont expérimenté ce type de contact, elle a mené une sorte d’observation méditative. Cette attente lui a offert une ouverture sur le monde qui nous entoure, dans une position pacifique et humble, lovée sous sa coupole vulnérable. Par là même, elle souligne qu’il n’est pas besoin d’emprunter de puissants et polluants moyens de déplacements pour crever la voûte étoilée et explorer le ciel. Louise Charlier semble nous inviter à partager cet état de contemplation, à contre-courant des initiatives mégalomaniaques de quelques richissimes habitants de la terre qui semblent vouloir coloniser de nouvelles étendues, à n’importe quel prix.

Le Cosmos commence ici

Aux confins de ces recherches et de cette autre vision du cosmos, il y a une profonde sensibilité, une irrésistible curiosité sans malice teintée de poésie. L’espace commence ici et Louise Charlier nous propose de l’accueillir avec modestie et bienveillance.

« Il s’agit d’envisager la Terre comme partie intégrante de l’univers : nous sommes dans l’espace! Puisque l’espace est par essence inaccessible pour une grande partie de l’humanité, il est salutaire que chacun puisse s’en construire sa propre image, en s’opposant à une vision unique et dominante générée par les agences spatiales officielles ».

Car finalement derrière la « conquête » spatiale, il y a d’autres formes d’impérialismes qui se poursuivent et étayent les rapports de forces à la surface de la terre.

Louise Charlier (c) Jeremy Gerard

Un manifeste

En 2020, les réflexions menées par Louise Charlier se sont prolongées par la production d’un manifeste.

« Constellation d’imaginaires spatiaux – construction, fiction et mondes possibles » est le titre du mémoire produit par l’artiste sous la direction de Sabrina Parent, enseignante-chercheuse à l’Université libre de Bruxelles au sein de la Faculté de Lettres et Aleksandra Chaushova, artiste, enseignante à ENSAV La Cambre, et qui visait à étudier la construction de l’imagerie spatiale au travers des représentations du cosmos diffusées et produites par les agences spatiales et par les artistes.

« L’espace a des qualités de refuge et de protection, l’homme ne va pas tant y penser qu’y rêver »

Cette citation de Gaston Bachelard date de 1957, année de la première édition de son livre « la poétique de l’espace ». L’espace se limite alors encore un peu à l’échelle terrestre, avant qu’on ne s’engouffre dans l’aventure spatiale, mais ces mots collent parfaitement à la pratique actuelle de Louise Charlier qui entrevoit la voûte céleste comme un territoire impalpable plus vaste encore, qui s’offre au rêveur. Elle s’immobilise pour l’observer, le représenter ou en comparer les différentes représentations qu’en dressent les artistes. Elle envisage toutes ces images collectées comme les variations d’une même réalité, sans chercher à les hiérarchiser suivant une échelle objective.

Le Livre des Miracles

Tout programme de recherche donne lieu à la constitution d’un fonds documentaire. C’est ce que Louise Charlier accomplit avec son propre Livre des Miracles.

Livre des miracles 1552 (c) Editions Taschen

Elle a emprunté ce nom à celui d’un ouvrage intrigant, datant du 16ème siècle, parfaitement oublié avant d’être redécouvert en 2007 à l’occasion d’une vente aux enchères à Augsbourg. Il compte 169 feuillets richement illustrés suivant une chronologie théologique. Ces enluminures commencent par une évocation du déluge de la Genèse et se concluent par l’apocalypse selon Saint Jean. Entre ces éléments viennent s’intercaler des témoignages de prodiges prétendument observés depuis l’antiquité. Vols de dragons, lévitation d’animaux fantastiques y côtoient d’autres événements plus réalistes tels que l’apparition de comètes par exemple.

 

(c) Editions Taschen

Louise Charlier est en quelque sorte entrée en collision avec lui :

« Ce livre des miracles, je l’ai découvert de manière tout-à-fait fortuite, un jour, dans une librairie. J’en ai consulté une reproduction et j’ai trouvé cela magique, de voir comment les descriptions d’événements observés dans le ciel avaient alors été consignées. Toutes ces illustrations démontrent que de nombreux imaginaires sont possibles autour des représentations de l’espace ».

Au travers son Livre des miracles, de la même manière, Louise Charlier envisage de documenter l’exploration spatiale, qui débute en 1957, avec la mise en orbite de Spoutnik puis un peu plus tard l’envoi mortel dans l’espace de la petite chienne Laïka…. Pour que chacun puisse construire les images de ce récit, de manière ludique et sensible, l’artiste a conçu cette ressource sous forme de myriorama. Ici chacun est libre de refaire sa propre ligne du temps, en déplaçant toutes les images gravées, il n’y a pas une vérité unique, tout est possible.

Le Livre des miracles, Louise Charlier, Spoutnik

Aux côtés des jalons considérés habituellement comme des étapes importantes de l’exploration spatiale, viennent se greffer les moments de poésie emmenés par Dragan Živadinov (projet Noordung) ou la Moon Goose expérience portée par Agnes Meyer-Brandis.

Le Livre des miracles, Louise Charlier. Moon Goose

Au-delà du souhait de proposer aux spectateurs de se perdre une cette narration croisant imaginaire et faits avérés, il y a ce nouveau fonds documentaire qui semble s’inscrire plus formellement dans la tradition de l’eau-forte avec de petits traits délicats, donnant corps aux nuages, aux cratères, aux pelages et puis cette profondeur sombre que livre la résine pulvérisée de l’aquatinte, comme des milliers de pixels pour figurer le vide sidéral.

Ce petit bijou est composé par une artiste pas spécifiquement graveure à la base. Celle-ci était d’ailleurs extrêmement surprise d’être lauréate du Prix de la Gravure :

« Durant mon parcours à La Cambre, j’ai surtout travaillé 5 ans dans un atelier de dessin, et c’est lors d’un stage de 6 mois que j’ai pu m’initier à la gravure. Plus tard, dans le cadre d’un cycle de narration spéculative à l’ERG, j’ai eu l’occasion de renouer avec l’eau forte, en compagnie de Romane Armand, qui m’a accueillie à Impression Forte pour une résidence. C’est dans cet atelier qu’est né le livre des miracles en mai 2022, grâce à la boîte à aquatinte spécialement montée pour moi sur place. C’est un médium que j’aime énormément, parce qu’il nécessite un travail en plusieurs étapes, et les images ne se dévoilent que progressivement, morsure après morsure, au terme d’un lent processus ».

Grâce à l’accompagnement de Pierre Arèse, sensible à son travail et chargé de cours à l’ISELP, l’œuvre a pu être présentée à la galerie Odradek en juin dernier au sein d’une exposition collective intitulée «Cosmographie ».

Et demain ?

Poursuivant sa trajectoire, Louise Charlier prépare aujourd’hui une thèse de doctorat entre La Cambre et l’ULB autour des imaginaires spatiaux

« mon intérêt pour l’espace réside dans le fait qu’il est vaste, infini, qu’il s’agit d’un lieu où l’on peut se projeter de manière puissante, c’est une toile vierge où tout est possible et où tous les récits peuvent se tisser».

Une partie de cette recherche prendra une forme plastique, avec notamment la constitution d’une bibliothèque des imaginaires spatiaux où le public pourra emprunter des ouvrages et construire un espace au travers le regard d’une série d’artistes. Cette recherche occupera une grande partie de son temps dans les prochains mois, outre la collaboration qui devrait voir le jour entre la plasticienne et le Centre de la Gravure suite au Prix qui vient de lui être attribué.

Un autre projet qui lui tient à cœur est la création d’un atelier collectif, qui est en train de voir le jour du côté de Molenbeek et où travailleront un ensemble de femmes ayant des pratiques différentes mais toutes reliées par leur sororité. Cette jeune créatrice offre un parcours déjà très épais et cohérent, soucieuse de la place que doivent occuper les artistes dans l’édification du monde de demain.

Lorsqu’on l’interroge sur ses envies de collaboration, elle évoque « Black Quantum Futurism », un collectif formé par de Camae Ayewa et Rasheedah Phillips (Etats-Unis) qui utilise l’écriture, la musique, la vidéo, les arts visuels, l’art engagé et la recherche créative pour explorer les expériences personnelles, culturelles, familiales et collectives.

« J’ai découvert leur travail lors de la Documenta, à Cassel, et j’ai aimé leur recherche qui vise à repenser le temps pour libérer passé et futur. Elles ont aussi porté un projet visant déconstruire et reconstruire les imaginaires spatiaux avec leur Black Space Agency».

Black Quantum Futurism, Cassel / (c) Louise Charlier

 

Il s’agit d’un programme qui vise à restimuler la mémoire des luttes menées par les minorités noires aux Etats-Unis, en marge de la conquête spatiale. Il se nourrit du rêve porté par Leon H Sullivan dans les années 50, que des personnes issues des minorités afro-américaines puissent être associées aux travaux d’exploration spatiale menés par la NASA.

Une expo collective

Courez évidemment découvrir la très belle exposition « Pol Bury va-et-vient », organisée au Centre de la Gravure dans le but de fêter le centenaire de la naissance de ce grand artiste. Vous y observerez combien l’œuvre gravée occupa à chaque instant une place importante dans ses recherches, et puis faite l’ascension de la dernière volée d’escalier qui mène au deuxième étage du musée, pour voir la grande sagacité des artistes actuels.

Le Livre des miracles de Louise Charlier y est exposé jusqu’au 12 mars 2023, aux côtés de nombreuses œuvres qui méritent toute notre attention. On salue l’accrochage particulièrement soigné qui met magnifiquement en valeur les pièces présentées.

Silvia Bicelli
Sam Bouffandeau
Marguerite Canguilhem
Chloé Cappelle
Roman Couchard

Roman Couchard

Tristan Cuttaïa
Floriana Da Silva
Raphaël Decoster

Raphaël Decoster

Jean-François Delhez
Robin Dervaux
Emelyne Duval
Pieter Geenen
Mélanie Géray
Pia Jacques
Nadia Jelassi
Ludmila Krasnova
Nathalie Lefèvre
Côme Lequin
Nicolas Mayné
Charlotte Morineau
Shen Özdemir
Etienne Panier

Etienne Panier

Michiko Van de Velde

Michiko Van de Velde

Sofie Vangor

Sofie Vangor

Pour poursuivre votre exploration :

Rendez-vous sur Pop Corner, Echo du Futur #7, le soundcloud de l’ISELP.
https://soundcloud.com/iselp/sets/pop-corner-echos-du-futur

Le site web de Louise Charlier : https://louisecharlier.hotglue.me/
Instagram : https://www.instagram.com/lou_charlier/

Rendez-vous sur le site du Centre de la Gravure pour toutes les infos pratiques : https://www.centredelagravure.be

 

 

 

 

Daisy Vansteene, Chargée de communication pour Hainaut Culture

 

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