Magdalena Lukaszynska, la brodeuse de lumière

Formes végétales et sinueuses, tendues, tissées, moulées, rythment un délicieux parcours qui vous fait cheminer au cœur de la Maison Losseau, jardin éternel de stuc, de bois, de verre et de marbre. Car durant tout l’été, les artisans des métiers d’art du Hainaut érigent les salles de cet hôtel particulier en vitrine de leur savoir-faire. Ils sont près d’une trentaine, artistes de la matière, habiles dans tous les champs de la création, à avoir répondu à l’invitation de nos collègues de l’Office des métiers d’art. Inspirés par l’intarissable poésie de la nature, si chère à Horta, à Gallé et à tant d’autres artistes, voici qu’ils réinventent l’Art nouveau pour notre plus grand ravissement.

Jacqueline Landrien, (c) Diane Tenret

Nous avons rencontré l’une de ces artisans, Magdalena Lukaszynska, et évoqué avec elle l’objet d’art qu’elle a façonné. Cette talentueuse vitrailliste dont le nom est lié à la lumière (Luka, Lux) était sans doute prédestinée à exceller dans l’art de composer avec le verre, mais avant de vous livrer ses confidences, revenons sur le théâtre de l’événement « Métiers d’art et Art nouveau ».

Une demeure renfermant un éden pétrifié

Au cœur de la Maison Losseau logé à quelques pas de la Grand Place de Mons, l’intelligence des mains ne pouvait rêver plus bel écrin. La demeure dont l’archéologie révèle un noyau édifié au 18ème siècle a connu d’importants cycles de transformation. Elle condense des réminiscences architecturales représentatives des différentes décennies qu’elle a traversées. Dans sa façade néo-classique immaculée et rigoureusement ordonnancée, seule la porte de fonte aux décors floraux richement ouvragés dévoile la véritable passion que portait Léon Losseau à l’Art Nouveau.

Grand salon de la Maison Losseau

Ce grand bourgeois, docteur en droit, rentier et fervent collectionneur, n’a eu de cesse, après le décès précoce de son père, d’apporter à la maison où il continua de vivre avec sa mère, tout le confort qu’il était possible d’imaginer à cette époque. À l’aube du 20ème siècle, se documentant sur toutes les innovations pouvant être appliquées à son habitat, Losseau s’associe à des architectes et artisans pour faire de sa maison une vitrine de la modernité : éclairage enfanté par la fée électricité, chauffage central connecté à des radiateurs chauffe-plats, luminosité zénithale perçant des vitraux opalescents, mobilier sur mesure de style moderne, décoration florale des boiseries inspirées de l’Ecole de Nancy, etc… L’hôte des lieux sait parfaitement ce qu’il désire mettre en œuvre dans cet interminable chantier qui transformera profondément le 37 de la Rue de Nimy dès 1900.

Une Fondation créée après la seconde guerre et sur base des dernières volontés du bâtisseur, a permis de conserver l’immeuble associé à son extraordinaire patrimoine. C’est là toute la magie de cette maison presqu’entièrement décorée dans le style Art Nouveau : son authenticité ! Des salons rehaussés de délicats décors végétaux, des bibliothèques riches de plusieurs milliers d’ouvrages touchant à tous les sujets passionnant Losseau, une collection de médailles d’art (sans doute la plus importante collection privée en Belgique), des photographies sur plaques de verre, des vitraux, des lustres, des parquets précieux, des mosaïques somptueuses et même la correspondance personnelle de Léon Losseau y sont conservés dans leur jus.

Faire fleurir la culture

Aujourd’hui le bien est inscrit sur la Liste du Patrimoine exceptionnel de Wallonie. Après avoir été légué à la Province de Hainaut, il a hébergé la section psychopédagogique de la bibliothèque provinciale durant de nombreuses années, avant de fermer au public pour des raisons de sécurité. Autour de Mons 2015, la Province a entrepris un important plan de restauration afin de rendre toute sa superbe à l’édifice, en faisant un des fers de lance de sa politique culturelle. La Maison Losseau et le bâtiment qui y est adossé, sont devenus le siège du Secteur de la Littérature de Hainaut Culture. Ce service mène un ambitieux programme de valorisation, d’animation et de recherche autour de la langue française et plus particulièrement des auteurs hainuyers (roman, poésie, théâtre, jeunesse, etc). Elle propose au public des ateliers d’écriture, expositions, concerts, lectures, en partenariat avec les autres services provinciaux ou acteurs de la culture.

Melina Pollez, (c) Diane Tenret

L’Art nouveau et l’apogée des arts appliqués

Nos racines sont au fond des bois, parmi les mousses, autour des sources. Emile Gallé

Le déploiement de l’Art Nouveau à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle repose sur une intention, un engagement et une prise de conscience portés par un ensemble d’artistes et de créateurs qui souhaitaient se désolidariser des techniques de production industrielles et de leurs dérives. S’étant développé simultanément en Europe, aux Etats Unis, en Amérique latine, ce courant a pris différentes formes mais reposait principalement sur la notion d’Art total et sur le retour à des modes de production centrés sur l’homme, son geste, son bien-être en harmonie avec la nature, source inépuisable d’inspiration. L’Office des métiers d’art ne pouvait rêver plus beau décor pour mettre à l’honneur les membres souhaitant exposer les objets qui palpitent encore de leur souffle comme disait joliment la peintre Hélène Jacquet.

Anne-Marie Barreaux

 

Un essaim ambassadeur des métiers d’art

Comme pour rendre hommage aux gestes ancestraux de leurs pairs outillés qui transformèrent la matière pour ériger la Maison Losseau, céramistes, créateurs de bijoux, modistes, vitrailliste, etc. se sont appliqués dans leurs ateliers pour concevoir un ensemble de pièces originales faisant écho aux préceptes de l’Art nouveau. Leurs objets habitent délicatement les salles et répondent aux fleurs de chardon, aux orchidées, aux églantines qui ornent perpétuellement fauteuils, bureau, lustres et bibliothèques.

Diane Tenret, (c) Diane Tenret

Prolongeant les œuvres d’Emile Gallé et des artistes qui ont fait entrer dans la légende l’école de Nancy, certaines pièces s’inscrivent dans une belle continuité. D’autres par contre ont privilégié une réinterprétation du courant artistique par modestie sans doute mais non sans une formidable dextérité. C’est le cas de Magdalena Lukaszynska, vitrailliste, qui présente dans les espaces contemporains du Centre d’interprétation consacré à La Maison Losseau, une pièce absolument remarquable.

Quand la rosace vient à Magdalena

Elle a rejoint les Métiers d’art du Hainaut en 2022, au gré d’une moisson exclusivement féminine composée de Valérie Bacart, Designer mode textile, Emmanuelle Béduneau (Analepse),  Plumassière, Eirini Chatsatourian, Céramiste et Françoise Dauchot (Atelier de sérigraphie Madame Jeanne), Sérigraphiste sur textile. Aimant expérimenter, elle produit également des objets de verre. Diplômée en communication visuelle aux Beaux Arts de Tournai et agrégée en psycho-pédagogie, elle enseigne le graphisme et ses outils numériques depuis une quinzaine d’années à Don Bosco (Tournai).

 Je suis venue au vitrail de manière inopinée, à vrai dire c’est lui qui est venu à moi… lorsque j’ai emménagé avec mon mari dans une maison à Brugelette. Nous y avons aménagé un atelier, une grande ouverture circulaire était présente dans un mur et j’ai souhaité faire de cet oculi une sorte de petite œuvre où pénétrerait différemment la lumière. Je me suis alors mise en quête d’un artisan pour réaliser ce vitrail rond.
Mon idée de départ, comme il s’agissait d’une maison à la campagne, était un décor simple et champêtre. J’imaginais de grands coquelicots pour orner la baie circulaire. J’ai fait des recherches et j’ai dessiné des projets à l’aquarelle. Charmée par les lignes très simplifiées des célèbres roses de Charles Rennie Mackintosh, je trouvais que la stylisation du coquelicot se prêtait à merveille à la technique du vitrail traditionnel par assemblage de verres colorés

À force de se questionner sur ce projet emblématique de son foyer, Magdalena Lukaszynska renonce à le confier à une artisane et prend finalement la décision de le réaliser elle-même, probablement pour l’incarner complètement. Elle se met alors à fréquenter l’atelier de vitrail La PROCURE de Sylvia Collignon, situé à Braine-le-Comte, qui lui enseignera tous les gestes qui la conduiront à sa maîtrise actuelle.

Et voilà comment dès 2009 j’ai pu apprendre la technique à joint de plomb, qui est un peu la tradition telle qu’on l’observe dans des édifices anciens. J’avoue que travailler avec ce matériau était effrayant au départ, même si son pouvoir un peu magique de métamorphoser la lumière me fascinait complètement.

Un atelier pour laboratoire de la couleur

Après toutes ces années, la créatrice reste envoûtée par cet élément qu’elle a appris à dompter et continue de s’émerveiller des rayons colorés qui transpercent les fragments lorsqu’elle les manipule. Comme Chagall qui voyait dans le vitrail une partition transparente entre son cœur et celui du monde, la substance verrière lui est peu à peu devenue familière. Après avoir élaboré des projets d’une relative simplicité, l’artisane s’est progressivement mise à composer des objets plus complexes, tout comme l’assemblage au thème de lys qu’elle a conçu pour l’exposition des Métiers d’art.

De tout temps, des pièces d’une incroyable beauté ont été exécutées par les artisans de par le monde, et je n’avais pas envie d’essayer de refaire ce qui aurait déjà été fait… selon moi l’Art nouveau avait ceci de formidable qu’il reposait aussi sur l’utilisation de nouveaux matériaux et la recherche de nouvelles techniques.

Allier gestes traditionnels et innovation pour produire des objets du quotidien qui flattent le regard, voilà ce que nous propose Magdalena Lukaszynska, qui essaime ainsi de la beauté dans tout. Qu’il s’agisse des jolis petits oiseaux polychromes qu’elle fait voler jusqu’à nos fenêtres pour les égayer ou bien encore de ses petites appliques carrées qui diffusent leurs lumières tantôt chaleureuses et tendres inspirées par Monet, tantôt pétillantes et acides comme de jolis citrons. Sous ses doigts, le verre devient aussi nomade et précieux, lorsqu’elle le distille délicatement à nos oreilles qu’elle pare de bijoux et pendants bigarrés.

                     

Lire les sutures du plomb

Une artiste d’une grande sensibilité qui possède un réel sens de la composition dont témoigne son panneau au lys déposé face aux baies qui donnent sur le jardin de la Maison Losseau. Il n’y a pas de place pour l’improvisation dans cette œuvre complexe méditée par elle.

Mon panneau, mesure 80 X 45 cm, c’est une sorte de patchwork qui condense plusieurs techniques : Tiffany, verre dessiné ou peint, fusing. Je l’ai construit pas à pas dans ma tête et j’ai imaginé toutes les étapes de sa réalisation, précise-t-elle, confiante, alors qu’elle a façonné sa pièce quelques jours seulement avant que n’ouvre l’exposition « Métiers d’art et Art nouveau ».

Ce rectangle est une harmonie composée de plusieurs panneaux. Au centre éclot triomphalement un lilium dont les pétales sont largement ouverts. Il semble à l’apogée de son fleurissement, comme un symbole d’épanouissement. Plus haut une fleur pleine de promesses, en bouton, close et secrète en dialogue avec le visage bienveillant d’une femme très belle : celui de la maman de l’artiste. Les segments du bas, formés de feuilles de verre soufflé « organique et vivant », décrivent des tiges et feuilles fières et délicates, prêtes à affronter la main qui les cueillera.

Dans la plus belle tradition du vitrail qui livre des panneaux historiés, la créatrice a filé un récit sans doute très personnel. Elle y apporte aussi son amour inconditionnel pour les lys, qui dans le langage des fleurs si cher aux défenseurs de l’Art nouveau, est un symbole de pureté, de féminité et de deuil. Dans la petite cour qui lie la maison à l’atelier de la créatrice, s’épanouit joliment un lys immaculé et colossal, haut de plus de deux mètres ! Il est le protagoniste éminent de petites mises en scènes qu’elle offre à ses amis via le flux des réseaux sociaux. Une plante vivace, fidèle, qui chaque année rejaillit de son bulbe pour exhaler toutes ses senteurs. Le voici immortel, sublimé dans un panneau de verre mobile. Il est installé jusqu’au 20 août à la rue de Nimy, et nous vous convions à aller l’observer et à découvrir sans tarder les œuvres apportées par les mains chargées de poésie des artisans et artisanes des Métiers d’art du Hainaut !

Marie Françoise Coulonval, (c) Diane Tenret

Artisans exposant à la Maison Losseau 

Valérie BACART Design mode textile • Anne-Marie BARREAUX Céramique • Marie Jeanne CAVAGNOLI Céramique sculpturale et sérigraphie sur porcelaine • Eirini CHATSATOURIAN Céramique • Marie Françoise COULONVAL Céramique • Sonja DELFORCE Céramique • Françoise DAUCHOT (Madame Jeanne) Impression sur textile • Christel DELIEGE Création de bijoux • Francine DELMOTTE Pâte de verre • Bernadette DEMOULIN Création textile • Delphine DRUINE (Delphine D) Design textile • Céline EVRARD Modiste • Anne JANSSENS et Alain DEGUIDE (Bagatelles Créations) Verre filé et soufflé au chalumeau • Jacqueline LANDRIEN Bronze-Sculpture • Karine LÉTÉ (LK) Sculpture-Verre-Métal • Sabine LONDOT Créations de bijoux contemporains • Magdalena LUKASZYNSKA (La Rosace) Vitrail • Marie Agnès MARLAIR Porcelaine sérigraphiée • Nicole PIETTE (Au fil de vos Idées) Modiste • Marie-Thérèse PILLON (Chapo’T’ose) Création de chapeaux • John PIRSON (Autour du bois) Tournage sur bois • Melina POLLEZ (CeraMeli) Céramique • Diane TENRET Céramique • Claudine VANDERICK Céramique • Brigitte VAN WYMELBEKE (Art Schéma) Décoration d’intérieur et garnissage • Isabelle WILLEMS Céramique

Madame Jeanne, (c) Diane Tenret

Infos

Du 24 juin au 20 août 2023

Du mercredi au vendredi : 10h00-18h00

Les samedis : 13h00-18h00

Les dimanches : 10h00-17h00

Maison Losseau, 37-39 rue de Nimy 7000 Mons

reservations.losseau@gmail.com

+32 (0) 65/398.880

 

 

 

 

 

 

 

 

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