Les expositions de Myriam Louyest sont des embarcadères vers des mondes mystérieux. Souvenez-vous de sa proposition de promenade estivale au cœur du jardin 1900 de la Maison Losseau (Mons), de l’arpentage d’une ligne du temps immatérielle entre travées des Archives de Bruxelles et de la promesse d’un majestueux voyage en train au départ du Salon royal de la Gare Centrale. Une fois encore, elle nous convie à naviguer vers un ailleurs, lunaire cette fois, avec une Traversée de l’Or blanc qui se trame à l’ombre des grands palais du Cinquantenaire.
Jeter l’ancre pour accoster au pays blanc
L’odyssée poétique prend sa source dans un décor digne d’un conte et elle est à accomplir sans tarder, car elle s’évanouira au lendemain du 4 novembre!
Pour la vivre il faut franchir les portes de l’Atelier de moulage, institution adossée en 1893 aux Musées Royaux d’Art et d’Histoire quand ceux-ci témoignaient de la grande richesse de la jeune Belgique. Conçu sur le modèle de celui de Paris, ce laboratoire est animé dès le 19ème siècle par une extraordinaire vocation puisqu’il ambitionne d’être un instrument de diffusion des connaissances et de propagation de l’art auprès du public. Pour ce faire, dans le cadre d’accords conclus entre plusieurs pays européens, il rejoint un formidable mouvement d’échanges de moulages en plâtres des chefs-d’œuvre des plus grands musées. Ce ne sont pas moins de 5.000 œuvres issues des collections des institutions belges et européennes mais aussi des décors d’édifices remarquables de notre territoire, qui ont été moulés pour constituer ce trésor babylonien. Voilà comment les reproductions des courbes voluptueusement voilées de la Vénus de Milo et de la Victoire de Samothrace ont rejoint Bruxelles, offertes à la Belgique par le Musée du Louvre.
Aujourd’hui encore, on peut observer ici les gestes des artisans qui s’adonnent au clonage de sculptures, bas-reliefs et autres merveilles, par le truchement du moulage. Les pièces qui prennent corps dans ces laboratoires immaculés sont issues de l’extraordinaire collection de moules parfaitement classifiée. Tapies dans un profond sommeil, l’âme de tout un pan de la statuaire européenne attend d’intégrer de nouveaux corps de plâtre. Ces milliers de matrices espèrent être gorgées de matière pour donner vie à quelque figure remarquable de l’histoire humaine, tandis que dans d’autres salles, les mains expertes des modeleurs corrigent les imperfections des objets qu’ils viennent d’extraire de leurs écorces blanches. Cette sorte de pantomime se reproduit inlassablement au fil des décennies puisque le lieu fête cette année ses 130 ans d’existence.
Des chemins détournés
C’est lorsqu’elle est jeune maman que Myriam Louyest se découvre spontanément plasticienne. Elle s’essaye alors à ce qu’elle décrit comme du « collage pointilliste » pour lequel elle découpe des formes infiniment petites de papier appréhendant par là sa pratique de manière autodidacte. Soucieuse de développer sa technique de dessin, elle créé une ASBL dont c’est la vocation car il n’existe pas d’enseignement du genre dans sa région proche. Elle y invite Véronique Hoet et d’autres artistes à venir y animer des ateliers pendant deux ans. Dans la foulée, elle suit les cours de dessin comme élève libre pendant 3 ans à ARTS². Elle se dirige enfin vers l’atelier de pratique expérimentale des matériaux, de Javier Fernandez à l’Ecole des Arts de Braine l’Alleud. Ceci l’éveille à la 3D, à l’installation et plus généralement à l’Art contemporain. Une véritable connivence la lie à son professeur tandis qu’elle se forme en parallèle aux multiples techniques du verre comme le soufflage, le thermoformage, le fusing, la pâte de verre ou encore la transformation au chalumeau (à Sars-Poterie en France).
J’ai naturellement tendance à aller dans des chemins où les autres ne vont pas, en faisant des choses que d’autres ne font pas avec la même technique. Je m’en rends compte, mais je ne le fais pas intentionnellement, dit-elle en souriant. J’ai un assez long parcours d’apprentissage sans être diplômée d’une école d’art, notamment parce que quand mon professeur a pris sa retraite à Braine l’Alleud, j’étais tellement heureuse dans son atelier que ça n’avait plus de sens que je continue sans lui. J’ai eu la chance d’apprendre beaucoup à ses côtés, et c’était vraiment un révélateur pour moi.
Myriam Louyest est une plasticienne qui à force de se passionner pour les propositions artistiques de ses contemporains est de fil en aiguille devenue commissaire d’expositions. On lui doit la Biennale Miroirs, lors de laquelle elle enchante le somptueux parc d’Enghien accompagnée de son complice et ami Christophe Veys. Soulignons que ce sont les mots du Professeur d’Histoire de l’Art et Directeur du Centre de la Gravure qui accompagnent de manière admirable et sur papier le public qui se munit du petit livret de visite lors de sa traversée du « fleuve plâtre » au Cinquantenaire. La prochaine édition de la Biennale Miroirs est programmée pour cet été et nous vous en reparlerons.
Débarquée sur la pointe des pieds
Selon certaines croyances, le gypse serait doté de vertus apaisantes. Si cette affirmation est difficilement vérifiable nous pouvons par contre confirmer que l’intervention de Myriam Louyest a le don de faire vibrer doucement ces lieux poudrés de blanc pour nous amener à une vraie forme de sérénité. C’est probablement parce que son intention entre en totale osmose avec ces espaces vénérables que la plasticienne est la première à pouvoir y exposer.
Je possède un livre qui recense les lieux insolites de Bruxelles, et lorsque j’ai poussé la porte de l’atelier de moulage, j’ai eu un coup de foudre immédiat. Comme la Responsable était sur place lors de ma découverte de cet endroit, je lui ai demandé s’il était envisageable que j’y expose. Je pense que si ma proposition a été acceptée, c’est parce qu’elle s’intègre complètement dans ces salles, sans y apporter de manifestation fracassante, sans brutaliser le lieu. Mon travail a finalement pris la forme d’une résidence d’une certaine manière, car j’ai eu l’opportunité de bénéficier des conseils techniques et de l’aide des personnes qui y travaillent. Je suis venue ici très régulièrement pour apprendre le moulage et j’ai adoré cela. Je trouve que le verre et le plâtre fonctionnent particulièrement bien ensemble de par toutes leurs oppositions.
Ses œuvres éthérées, dont l’épurement cachent une grande complexité de production sont une ponctuation, une respiration, dans ce grand capharnaüm monochrome de formes disparates. Elles sont de petites balises chaleureuses et rassurantes qui viennent chatouiller nos imaginaires.
Un dialogue entre contraires
Le gypse, pierre de plâtre aussi appelée or blanc est un matériau utilisé depuis la nuit des temps par l’homme dans la construction, de la composition des tombeaux des pyramides, aux plaques de « placo » de nos chantiers domestiques. C’est un élément profondément lié à l’histoire de la France, tant pour son extraction que pour son usage abondant dans les arts décoratifs. À la fin du Seconde Empire, Zola écrit d’ailleurs dans son Roman La Curée (1871) que « Paris s’abîme dans un nuage de plâtre« . L’or blanc est omniprésent ici également. Parfois volatile ou compact, pur et pâle, tantôt soyeux, crémeux dans les salles où on le travaille. Il apparaît mêlé de poussière, centenaire, inerte et éclipsé dans les grandes réserves que l’on parcourt avant d’atteindre l’antre des artisans et techniciens.
La plasticienne a choisi de confronter son medium de prédilection, le verre, à l’opacité du gypse. Ici, elle introduit en douceur ses couleurs pour illuminer les coques poussiéreuses qui reposent sur les interminables travées des réserves. Là elle exploite sa brillance cristalline qui irradie pour mieux hypnotiser le regardeur.
Un filigrane poétique à la croisée des techniques
Pour cette exposition, Myriam Louyest s’est donc cette fois essayée au moulage de plâtre, apprenant à le rectifier, croisant les techniques et les matières. Toutes ses parenthèses subtilement distillées au fil du parcours forment un ensemble consistant. Il est fait de pièces orphelines, se suffisant à elles-mêmes, ou dialoguant avec des répliques sculpturales auxquelles succèdent de petites séries minutieusement alignées.
Lorsque j’ai découvert ce lieu, j’ai eu l’attention attirée par certains éléments et l’envie m’est venue de proposer aux visiteurs de suivre mon regard et de s’arrêter aux mêmes moments. C’est de cette manière que j’ai pensé et conçu certaines pièces pour les amener à des endroits précis. A d’autres instants, comme dans les réserves par exemple, mes interventions se sont faites plus intuitivement en vérifiant in situ comment les choses fonctionnaient et comment mes œuvres pouvaient interagir avec l’espace.
Parfois le dialogue s’interrompt puis reprend subtilement, comme avec ce repère intensément poétique : la réplique d’une minuscule idole des Cyclades. Une œuvre néolithique, toute en courbes semblant nous sourire, qui nous accueille face aux austères portes de l’atelier et resurgit de l’obscurité plus loin, telle une diablesse jaillissant de sa boite, moulée dans un sublime verre Bullseye bleu indigo.
Charger la matière en émotions
Dans ces grands halls aux allures de nécropole, l’artiste nous murmure quelque-chose de la vie, de sa vie. Dans son sillage, elle nous confie un faisceau de signaux qui charrient un peu de son âme. Des couleurs, une lueur, mais aussi l’intimité, l’humanité de Myriam Louyest sont scellés dans le verre et le gypse.
Ce sont des cortèges de cailloux butinés par l’artiste au gré des promenades dans la Drôme qui se multiplient avec espièglerie, reproduits en plâtre ou en verre coloré. Ils affichent une pétulance qui leur donne l’élégance de pierres précieuses. C’est un château à la lueur opalescente qui renvoie le visiteur à une pratique universelle du moulage expérimentée par tous sur les plages de l’enfance. Un palais merveilleux qui protège éternellement nos songes lointains de la barbarie humaine mais qui est aussi une formidable prouesse technique livrée par Myriam Louyest.
La générosité de la plasticienne affleure aussi sur un tamis qui habituellement recueille des bribes de gélatine en train de sécher, et dont elle s’est emparée pour rendre hommage à tous les membres de l’Atelier de moulage. Comme une allégorie de cette petite troupe de travailleurs isolée dans ces lieux qui narguent la modernité extérieure, Myriam Louyest y a couché un ensemble de feuilles de verre ambré qui affichent chacune le nom des œuvres favorites de ces façonneurs d’or blanc.
Les membres de l’équipe se servent de feuilles de gélatine, sorte d’ancêtre de la silicone, pour le moulage de certaines pièces monumentales. Ils ont l’habitude de les découper en petites formes de manière aléatoire et je m’en suis inspirée pour produire cette installation, car je voulais absolument que toutes ces personnes soient présentes au sein de mon travail.
Soulignons que pour les visiteurs qui souhaiteraient emporter un peu de la magie de cette traversée avec eux, l’artiste a édité deux objets qu’elle propose à la boutique de l’atelier.
- Un tirage photographique d’un détail de son installation La pourpre
- Un foulard, reprenant un détail des voiles La traversée de l’or blanc. Ces panneaux textiles forment un sas vers la découverte des réserves et sont illustrés de fragments d’une copie de la Victoire de Samothrace et des numéros d’inventaire des moules qui permettent de la répliquer.
Infos
Atelier de Moulage des Musées Royaux d’Art et d’Histoire
Parc du Cinquantenaire 10
1000 Bruxelles
Gratuit
Ouverture
Du 12.10 au 04.11, tous les mardi, jeudi et samedi (13h-17h) (sauf le jeudi 02.11)
Pour suivre toute l’actualité de Myriam Louyest
Contact : +32 (0)2 741 73 31 ou contact@myriamlouyest.be
Une exposition réalisée avec le soutien de La Loterie Nationale, de la Fédération Wallonie Bruxelles, des Assurances Van Ingelgem et fils, de Prométhéa et du Secteur des Arts Plastiques de la Province du Hainaut
Le monde est rempli de visions qui attendent d’être vues.
Les présences sont là, mais ce qui manque ce sont nos yeux.
Christian Bobin.