Sofhie Marvoudis et Léo Devaddère exposent en ce moment dans un charmant espace poétiquement nommé « la Galerie du Lapin Perdu ». Pour les non initiés, cette salle se situe sur un lieu chargé d’histoire : l’Académie des Beaux-Arts et des Arts Décoratifs de Tournai.
Créée en 1756 et ouverte en 1757 par la municipalité tournaisienne, celle-ci répondait à un besoin de former une main d’œuvre qualifiée d’un point de vue artistique pour les manufactures royales et impériales de porcelaine qui venaient de s’implanter dans la Ville. Avant d’être destiné à une école, le site accueillait l’Hôpital Notre Dame de Tournai.
Léo Devaddère est lui-même diplômé de cette école, tandis que Sofhie Mavroudis est sortie de l’Académie Alphonse Darville de Charleroi. Tous deux sont lauréats de la Bourse provinciale aux artistes financée par Hainaut Culture. Leurs candidatures avaient en effet retenu l’attention du Jury composé avec la Maison de la Culture de Tournai et le Secteur des Arts Plastiques de la Province, au début de l’année 2021.
Deux propositions qui questionnent le monde qui nous entoure, sa permanence, ses mouvements aussi. La longévité du monde végétale, la stratigraphie que nous livrent les écorces imprimées de Léo Devaddère, et les promesses d’éternité gravées par les amoureux dans la chair des arbres. La fragilité et la pénibilité des flux migratoires perpétuels : ceux des oiseaux, mais surtout ceux des hommes en quête d’une vie meilleure, ou plutôt d’une vie tout simplement sur lesquels Sofhie Mavroudis nous demande de nous pencher.
Une salle qui semble reconstituer un petit fragment de notre univers qui s’effrite, avec ces arbres emportés par les tempêtes successives, symptômes de la dégénérescence de notre climat et les êtres fragiles et pourtant si volontaires qui sont cloués au sol, victimes d’épuisement, morts de faim, de froid, morts parce qu’ignorés, évaporés.
Léo Devaddère tisse des liens
Le plasticien a sillonné les bois mais aussi scruté les arbres parfois isolés, et détecté sur eux les stigmates amoureuses, gravées comme des ex voto par des couples en quête d’un lien éternel. Une démarche très méthodique, avec inventaire et géolocalisation des feuillus. Pour chaque témoignage amoureux identifié, Léo Devaddère a emmené un morceau d’écorce se trouvant à proximité, comme un échantillon tangible et mobile de sa découverte. Le plasticien a ensuite mis en oeuvre un processus de reproduction qu’il prend soin de décrire au sein de l’exposition.
Chaque oeuvre est estampillée d’un tampon où figurent les coordonnées géographiques associées, ainsi que le nombre d’exemplaires du tirage. Cette légende étant une invitation au regardeur, une proposition de partager les voeux échangés par les amoureux et à rencontrer l’arbre qui en fut témoin… Un prétexte aussi à vagabonder et à s’intéresser à ces végétaux qui nous observent silencieusement.
Ces impressions riches en matière associées dans la galerie du Lapin perdu deviennent les colonnes qui soutiennent les voutes de la salle.
L’oeuvre de Sofhie Mavroudis pénétrée par la question des migrants
L’artiste essaye habituellement de rendre un souffle de vie à ces personnes invisibilisées, en mettant en scène les traces (sandales, photos) qui témoignent de leur destinée qui se sont violemment arrêtées dans un silence assourdissant d’indifférence.
Reliques chaussures d’enfants trouvées sur les plages grecques et estampillées Made in Syria (2019)
Pour cette installation la plasticienne organise un parallélisme entre les hirondelles, oiseaux migrateurs qui chaque année inlassablement comme des balanciers reprennent les mêmes routes aériennes, les conduisant d’Europe en Afrique, traversant la méditerranée dans un flux transsaharien.
Les hirondelles vont et viennent, elles reprennent systématiquement le chemin qui les mène au renouveau, à la vie, puisque c’est en Europe qu’elles se reproduiront. Chaque année, elles sont des milliers à tomber au sol, lors de leurs déplacements, victimes des changements climatiques, de la pénurie de nourriture et de tous les obstacles mortels que développe l’homme en phagocytant la planète. Ainsi ces oiseaux dont la longévité est normalement de 10 ans, meurent aujourd’hui bien souvent prématurément à la moitié de ce terme… Tout comme ces êtres gracieux en quête d’un renouveau, d’un nid douillet pour se poser, s’aimer, élever ses enfants et rebondir, ils sont nombreux les citoyens qui aspirent à des jours meilleurs mais qui sont nés de l’autre côté du détroit de Gibraltar dans des régions en désolation qui sont terres de combat où plus rien ne peut germer. Sofhie Mavroudis profondément touchée par leur sort souhaite nous y sensibiliser.
Couchées par terre, comme échouées, les hirondelles quadrillent la surface de manière obsédante. Cette vision nous dérange, on souhaiterait en emmener quelques-unes sur notre coeur pour les réchauffer… elles sont trop nombreuses. Blanches et pures, elles symbolisent l’espoir porté par les milliers d’enfants, de femmes et d’hommes ( on estime à 4.404 le nombres des migrants morts en 2021 pour rejoindre l’Europe en passant pas la méditerranée) qui s’embarquent sur des bateaux de fortunes échouant chaque année et dont on ne retrouve même pas les dépouilles gorgées d’eau. Car près de 94 % des corps livides deviennent invisibles, on ne le retrouve jamais, ils n’ont même pas droit à une sépulture, comme pour souligner un peu plus le fait qu’on a envie d’oublier leurs souffrances, leurs problèmes, leurs quêtes. Les faire disparaître comme on fait se dissoudre un problème qu’on ne veut pas solutionner, en l’occultant.
Ces installations sont aussi porteuses d’un espoir, elles s’inscrivent dans une saison pleine d’ambition pensée par la Maison de la Culture de Tournai sous le slogan « Vivre ! », comme le frappement produit par un poing sur la table qui précèderait un beau changement.
L’exposition est accessible librement du mercredi au dimanche de 14h à 18h jusqu’au 20 mars.
Ou sur rendez-vous : greg_vanlaecken@maisonculturetournai.com
En lien avec l’exposition des lauréats de la bourse à la création de la Province de Hainaut, venez rencontrer Sofhie Mavroudis et Léo Devaddère à la galerie du Lapin Perdu le vendredi 25 février de 18h à 20h.
Infos : https://www.maisonculturetournai.com
Galerie du Lapin Perdu
Rue de l’hôpital Notre-Dame 14
7500 Tournai
Daisy Vansteene, Chargée de communication pour Hainaut Culture