Vingt-trois artisans membres des métiers d’art du Hainaut s’apprêtent à transporter leur savoir-faire et leur créativité au Grand Hornu les 3 et 4 février prochains. Pour la deuxième fois en effet, ce trésor de l’histoire de l’Humanité abritant le CID (Centre d’Innovation et de Design et le MAC’s (Musée des Arts Contemporains) accueille l’Echoppe des métiers d’art.
Il s’agit d’une opportunité exceptionnelle pour le public : observer les gestes de femmes et d’hommes dédiant leur temps à la conception d’objets tantôt fonctionnels, tantôt décoratifs mais toujours uniques. Durant tout le week-end, artisanes et artisans établiront un petit fragment de leur atelier et exposeront leur savoir-faire au regard des curieux. Céramistes, plumassière, artisans du fil ou du verre, graveur, créateurs de bijoux , etc. mettront également en vente une sélection de leurs productions actuelles, pour ceux qui souhaitent emporter un peu de cette magie chez eux.
Sophie Dupont, créatrice des bijoux SOTIZ et Bijourium sera, elle aussi, présente dans les salles du grand auditorium qui fait face à la célèbre cour ovale du Grand Hornu. Nous avons rencontré cette artisane attachante et passionnée afin d’évoquer avec elle son parcours, ses sources d’inspiration et ses envies.
Au travail depuis toujours
Née dans la région de Charleroi, Sophie Dupont a précocement baigné dans un environnement mettant l’intelligence des mains à l’honneur. Ses parents lui ont appris très jeune à développer une grande habileté en lui faisant partager tous les travaux du quotidien, les grands et petits chantiers, sans discrimination liée à son genre.
Mon père n’a jamais fait de distinction entre mon frère et moi. Au contraire, il a eu à cœur de m’offrir la possibilité d’apprendre de nombreuses techniques qui sont traditionnellement plutôt réservées aux hommes. Mes parents ont des doigts en or, ils ont construit une maison, ils en ont rénové d’autres, et cet environnement m’a permis d’expérimenter toute sorte d’outils et d’acquérir une certaine dextérité. Ma créativité a été énormément stimulée à cette époque : je revois ma mère peignant des aquarelles ou m’aidant à fabriquer des crèches en recyclant des emballages cadeaux. Tout ceci a sans conteste fait de moi celle que je suis aujourd’hui. Dès les secondaires, j’ai logiquement choisi une option artistique, car je sentais que c’était vers cela qui je devais tracer ma route.
Une douce porosité entre art et artisanat
La créatrice est une artiste complète, qui se réinvente constamment et nourrit sans cesse son imagination. Son calme et son assurance cachent un esprit en constante ébullition qui cherche à produire des objets aux contours précis, précieux et d’une belle originalité. Une fois diplômée de l’option Sculpture avec un cursus suivi à Arts au Carré et ensuite à La Cambre, Sophie Dupont a tout d’abord animé des ateliers en arts plastiques dans une Maison de Jeunes, avant de reprendre des cours en bijouterie à l’Institut Jeanne Toussaint.
Faire de l’animation et encadrer des stages était très chouette mais j’avoue avoir rapidement trouvé ma limite… peu de temps après cela j’ai pris le temps de faire un bébé. Ensuite je suis retournée travailler en me lançant dans la vente Tupperware ! Ce qui m’a permis d’obtenir une formation et une expérience assez dingue en vente, grâce à laquelle j’ai pu décrocher un job fixe en commerce de bijouterie… Rapidement, l’envie de créer mes propres bijoux a commencé à me titiller, car finalement, ces petites œuvres qui tiennent en poche sont, elles aussi, des sculptures à leur manière. Me souvenant des mots d’un de mes profs qui m’avait un jour déclaré que j’étais vraiment faite pour créer de toutes petites choses, j’ai décidé de me former à l’art de la bijouterie.
Déjà familiarisée à la soudure, la taille de pierre, la fonderie, au plâtre et à la ferronnerie lors de son master en sculpture, elle s’initie donc il y a 13 ans à de nouvelles techniques durant un cursus à l’Institut Jeanne Toussaint (Bruxelles). Dans cette école qui porte le nom d’une femme au destin légendaire, née il y a 100 ans à Charleroi puis devenue une joaillière mondialement réputée après avoir marqué de sa griffe la maison Cartier, Sophie Dupont découvre l’ajustage, le modelage, la gemmologie… Elle apprend également la délicate chimie des émaux. Après 3 ans de cours et 2 ans d’apprentissage elle lance sa marque SOTIZ Bijoux.
Itinéraire d’une âme inspirée
En parcourant son show-room en sa compagnie, on peut retracer d’une certaine matière les nombreux sentiers battus par Sophie Dupont. Avec tendresse, elle plonge la main dans les petites vitrines cubiques où trônent des pièces d’une incroyable variété. Ici, on aperçoit des créations gorgées d’humour comme les bagues Cow-boy et Indien qui ont animé un véritable feuilleton sur les réseaux sociaux lorsqu’elle s’amusait à les mettre en scène dans sa vie quotidienne.
Là, sont délicatement posés des joncs ou des boutons d’oreilles formés par des assemblages de lianes métalliques et de petits grains légers… plus loin encore, se dresse un ensemble de bagues anguleuses ou de bracelets carrés. Au centre pétille une kyrielle de pendantes rehaussées de cristaux ou de pierres éclatantes. En l’écoutant nous décrire tous les bijoux qu’elle a patiemment façonnés à l’abri de son établi, on comprend combien elle est animée par le besoin de transmettre une émotion au travers ces objets qu’elle propose au public.
Aussi loin que je m’en souvienne, les sculptures que je crée ont toujours eu pour vocation de faire ressentir, vivre une expérience aux autres. Durant mon master, j’aimais faire de très grands ensembles, dans le but d’englober le regardeur, de lui faire vivre une expérience particulière. Aujourd’hui encore, lorsque je rencontre un client qui souhaite me confier un projet personnel j’aime prendre le temps, dessiner, proposer plusieurs alternatives. Je veux que nous construisions ensemble l’objet qui pour nous doit susciter une sensation.
Derrière le sourire, une conscience en éveil
Idéaliste, féministe, la créatrice est aussi un personnage entier, bien ancré dans le sol qui essaye d’être mieux à l’écoute d’elle-même. Ayant parfois eu tendance à brider son imagination dans le but de développer son activité, elle a compris que la réelle plus-value apportée par son travail, en tant qu’artisane réside dans la créativité appliquée à son savoir-faire. Elle essaye de tendre vers un modèle où elle peut plus librement se consacrer à la recherche et à la création.
Avec SOTIZ, elle a inventé une marque qui lui ressemble, la première syllabe renvoyant à son prénom et la seconde à une certaine forme de légèreté et d’humour qui la caractérisent bien. Mais il ne faut pas se méprendre, ce nom mignon et aérien dissimile une travailleuse assidue très rigoureuse et profondément engagée. Lors de la dernière exposition du prix des Métiers d’art du Hainaut pour lequel elle concourait, Sophie Dupont a présenté un formidable bijou d’artiste mettant à l’honneur trois personnalités belges qui ont milité en faveur de l’émancipation des femmes : Marie Popelin, Isabelle Gatti de Gamond et Léonie Fontaine. Une sorte d’hommage à ces héroïnes du quotidien dont les choix et les actes ont ouvert la voie à plus d’égalité entre femmes et hommes dans notre société.
Son œuvre est une pièce qui a nécessité un nombre important d’heures de travail, car chacun des trois visages qui la décorent a été entièrement découpé à la main au bocfil, avant polissage. Réalisé en argent 925 plaqué or, l’objet est rehaussé d’un saphir, d’une émeraude et d’un zircon en serti clos renversé. Comme dans une mise en abîme, les trois personnalités qui ornent ce précieux plastron portent elles-mêmes un bijou symbolisé par ces pierres colorées. D’une taille remarquable donnant à l’ensemble une puissante présence, le triptyque qui compose le pendentif est pourtant d’une extrême délicatesse.
Les trois petits poudriers que masquent les visages des féministes ont été volontairement éclatés par la créatrice en guise d’allégorie. Le fard volatile peut ainsi se répandre aisément au-delà des parois du contenant, tout comme les femmes, qui suivant les exemples de Marie Popelin, Isabelle Gatti de Gamond et Léonie Fontaine, n’ont de cesse de sortir du cadre que le patriarcat leur impose depuis des temps immémoriaux. Développer cette œuvre a visiblement été une expérience inspirante pour Sophie Dupont qui envisage d’explorer également la question du corps des femmes dans d’autres projets à venir.
Un bijou-jardin lilliputien
Autre invention originale dans son atelier : le Bijourium. Il s’agit d’un bijou-réceptacle destiné à accueillir une petite plante. Léger, il a jailli d’une imprimante 3D après avoir été profilé par Sophie Dupont. En nylon, petit et aimanté, il peut se décliner dans une grande variété de couleurs… Il se mue en petit vaisseau que l’on transporte partout avec soi lorsqu’on l’a abreuvé pour y placer une fleur ou une mini plante.
Cette création est une invitation à stimuler notre lien avec la nature, car il est prouvé qu’évoluer au contact des plantes contribue à réduire le stress. Adepte du jardinage, je peux passer de longues heures à m’occuper de mon petit lopin de terre et j’avais envie de partager cette préoccupation avec d’autres personnes. J’aimerais beaucoup pouvoir augmenter le temps que je consacre à la culture de mon potager afin de pouvoir gagner en autonomie pour nourrir ma famille. Je voudrais tendre vers un équilibre plus harmonieux entre le temps passé dans mon atelier et celui où j’ai les mains dans la terre, un moment essentiel pour moi.
Plus près de soi-même
Mon matériau de prédilection est l’or, blanc ou jaune car cette matière est merveilleuse à travailler. Evidemment je dois aussi offrir une gamme de bijoux ayant des prix plus abordables, car l’or est cher et précieux. Mais je continue à me former, notamment au sertissage à l’Institut Jeanne Toussaint car le fait d’en maîtriser les différents procédés va me permettre de développer d’autres projets, plus complexes, plus en lien avec mes aspirations actuelles.
La dompteuse de matières précieuses s’avoue en pleine transition. Elle s’apprête à déménager l’atelier qu’elle a soigneusement reconfiguré au sein de sa nouvelle maison. Sa pratique elle aussi se métamorphose, progressivement. Le monde végétal qu’elle aime palper de ses mains, s’immisce lentement dans les bijoux qu’elle élabore. Les croquis délicats qu’elle nous présente lors de notre entretien en témoignent. Ils sont le fruit de recherches inspirées par la forme des plantes et leurs nuances colorées. Les fibres végétales se muent en or, les fleurs et graines en gemmes qui préfigurent des pièces sensuelles plus élaborées. Ses ébauches raffinées sont de petites œuvres à elles seules qui condensent toutes les réflexions de Sophie Dupont et laissent présager des bijoux harmonieux formant un ensemble cohérent.
Je ressens le besoin de nourrir mon côté plasticienne en ce moment. Pour la collection que je prépare, je continue de travailler à l’ancienne. Je prévois mes croquis qui présentent les ornements de face et de dos. Je n’ai pas envie de travailler en 3D sur des logiciels. J’aime ma manière de procéder, plus traditionnelle, mais plus en lien avec la personne que je suis. Je dessine au crayon et je me suis même remise à l’aquarelle. Il est important pour moi de définir dans les moindres détails le résultat final, surtout quand il s’agit d’une commande, car nous avons tous notre propre imagination et notre propre interprétation. J’essaye de proposer systématiquement trois projets aux personnes qui me sollicitent : trois variations, trois dimensions, trois budgets. Ceci afin d’avoir une base qui reprenne les envies exprimées par le commanditaire.
C’est souvent pour une première commande importante que ses interlocuteurs franchissent les portes de son atelier, celle d’un bijou qu’ils côtoieront tout au long de leur vie : leurs alliances. Par la suite ils reviennent avec d’autres émotions, d’autres événements à marquer du sceau d’un anneau, d’un bracelet ou d’une paire de boucles d’oreilles… C’est probablement parce l’originalité de la marque SOTIZ est foisonnante qu’ils lui sont fidèles, mais c’est sans doute aussi parce que Sophie Dupont est une artisane bienveillante et avertie.
Infos
Pour observer Sophie Dupont et les 22 autres artisans à l’œuvre, rendez-vous les 3 et 4 février prochains au CID.
Vous pouvez aussi programmer une rencontre personnelle en la contactant directement.
Sophie Dupont, créatrice de SOTIZ / BIJOURIUM
Rue du Ry Oursel 16, 6001 Charleroi
0494 16 54 99
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L’Echoppe des Métiers d’art du Hainaut
Les 3 et 4.02.24 de 10h à 18h
Centre d’Innovation et de Design
Rue Sainte-Louise 82, 7301 Boussu
Entrée libre
Le 04.02, (1er dimanche du mois) l’accès au site du Grand-Hornu est gratuit ainsi que l’exposition : « HOME MADE. Créer, Produire, Habiter » organisée par le CID.
Vous les verrez travailler sur place : Emmanuelle ANSELIN (Les Ateliers d’Emma) Céramique • Thérèse BALLEZ. Luminaires • Emmanuelle BÉDUNEAU (Analepse) Plumasserie • Le CRECIT (Ateliers Tournaisiens de Tapisserie) • Candice DE RIJCKE Création de bijoux • Raymond DRYGALSKI Gravure • Christine DOFNY-FOUCART (Chris’Tiss) Tissage • Sophie DUPONT (Sotiz) Création de bijoux • Charlotte FONTAINE (Le Goupil File) Filage de laine • Anne JANSSENS et Alain DEGUIDE (Bagatelles Créations) Verre filé et soufflé au chalumeau • Anne LAURENT- de GHELDERE (Artizanne) Peinture sur soie • Catherine LAURENT (Catami) Tissage • Caroline LEMAIGRE Création de bijoux • Sabine LONDOT Création de bijoux • Magdalena LUKASZYNSKA (La Rosace) Vitrail • Catherine PARFAIT-MAZE Dentelle contemporaine • Judith NICOLAS (Lady Hoseki) Création de bijoux • Marie-Thérèse PILLON (Chapo‘T’ose) Création de chapeaux • John PIRSON (Autour du bois) Tournage sur bois • Melina POLLEZ (CeraMeli). Céramique • Diane TENRET Céramique • Claudine VANDERICK Céramique • Grégoire VIGNERON (Tokowo) Design papier
