Au Levant de Mons, sous l’oeil d’Eddie Bonesire

« Au Levant de Mons » est le titre d’un ouvrage qui vient tout juste de sortir de presse et pour lequel son auteur, Eddie Bonesire, a bénéficié du soutien de la Province de Hainaut via notre Bourse aux artistes.

L’ouvrage est un très bel objet qui parcourt en 160 pages l’histoire d’un petit territoire flanqué à Bray, le long de la N90 reliant Mons à Binche. Tout en laissant glisser les feuillets entre ses doigts, on voyage du début du 20ème siècle à nos jours. Au gré des mots et des images, on devine toutes les strates des évènements qui se sont déroulés en surface puis dans les entrailles du Levant de Mons. Lentement, couche après couche, et page après page, se révèle le sort des habitants liés à l’exploitation charbonnière qui s’effectua assez brièvement sur place (une dizaine d’années seulement).

« Ces hommes, ces femmes étaient dignes. Au-delà des conditions qui leur étaient imposées, au-delà de leur désir de les dépasser, en attendant des jours meilleurs, ils acceptaient ces limites et ils essayaient de vivre et d’être heureux ». Joris Ivens

En chemin vers le Levant

A priori, Eddie Bonesire n’a pas de lien privilégié avec le passé industriel. Diplômé en traduction et en interprétariat, il vient à la photographie par plaisir tout d’abord, et dans les années 2000 expose pour la première fois quelques clichés d’architecture et de paysages. Vivant entre Bruxelles et Berlin, sa passion murissant, il décide en 2017 de poser sa candidature en vue de pouvoir accéder à l’enseignement de la photographie dans le cycle d’un post-graduat. Retenu sur base d’un portfolio solide, il fréquente jusqu’en 2019 la Ostkreuzschule für Fotografie à Berlin dans la classe de Ute Mahler et Ingo Taubhorn.

Sa pratique artistique est à la fois instinctive, puisqu’il aime se laisser porter par les rencontres qu’il fait mais aussi scientifique, car le sujet qu’il aborde est nourri par une recherche documentaire, recoupée par des témoignages. C’est dans le cadre de la préparation de l’ouvrage « Monsieur W » consacré à un travailleur originaire d’Erquelinnes et ayant offert ses services aux Ateliers Métallurgiques qu’il s’est retrouvé au Levant de Mons. C’est donc de manière tout-à-fait fortuite qu’il a posé un premier regard sur ce territoire, puisqu’il s’y est en quelque-sorte égaré alors qu’il circulait dans la région. Son œil aiguisé a été attiré par les quelques petits tertres qui culminent non loin de la route nationale, et qui sont en fait un ensemble de terrils inhabituellement modestes jouxtant les vestiges de l’extraction charbonnière.

(c) Eddie Bonesire

« Je n’ai pas pris immédiatement conscience de la présence d’une cité à proximité, j’ai en quelque sorte découvert le site par les coulisses de ses espaces industriels. Mais dès que j’ai par la suite franchi l’entrée de l’ensemble habité j’ai été immédiatement accueilli par l’un des habitants qui m’a parlé des logements. La configuration du village est telle, que quiconque arrive sur place est forcément vu ». Eddie Bonesire

Un village et la misère qui sortent de terre avec le charbon  

Plonger dans la lecture de ce livre c’est accomplir un périple émouvant. D’abord, des reproductions d’images anciennes illustrent la notice qui pose les grands jalons historiques du récit. Une narration qui s’échafaude au départ par la volonté de quelques industriels de foncer des puits sur place pour en extraire le charbon, malgré les menaces des terrains (eau, gaz explosif, etc). Dans cet endroit gisant au milieu de nulle-part, on crée dès 1923 les conditions qui permettront d’attirer la main d’œuvre : des logements, des espaces collectifs, la promesse d’une vie en surface meilleure que dans les autres lieux industriels du pays minier. L’histoire est ensuite marquée par un enchevêtrement d’événements tristes et d’injustices, un balancement incessant entre labeur dangereux, parfois même mortel et conditions de vie souvent sordides, avec quelques moments de répit, autour des fosses. Les dangers du fond et l’oppression implacable que devront affronter les mineurs lorsqu’ils revendiqueront en surface un salaire décent après 1932, sont gravés dans la mémoire collective grâce notamment aux quelques scènes captées sur place par Henri Storck et Joris Ivens dans leur célèbre film « Misère au Borinage ».

« Dès le départ, des habitants m’ont expliqué que le Levant était clairement identifiable dans le film de Storck. Je l’avais vu il y a près de 20 ans et je me suis empressé de replonger dans ces images. J’ai évidemment vite identifié les scènes tournées à Bray. Ce document est une sorte d’acte militant, à l’époque, il a été très peu montré lorsqu’il est paru, on l’a projeté à Bruxelles en 1934 mais il a été refusé en France, car on craignait qu’il ne cause des émeutes. J’ai consulté les écrits de Joris Ivens qui a commenté le tournage, je me suis aussi penché sur les commentaires de Walter Benjamin et les photos prises par Sasha Stone en 1933. Je me suis renseigné aussi sur la catastrophe à la base de la construction en 1932 de l’exceptionnelle église de béton de Notre Dame du Travail décorée dans le style Art Deco ».

Cette église est un marqueur étonnant dans le paysage. Elle se dresse brusquement à l’extrémité d’une grande esplanade autour de laquelle sont rangées les maisons dont certaines sont aujourd’hui devenues des logements sociaux. Un édifice à présent inscrit sur la Liste du Patrimoine exceptionnel de Wallonie et dont les hauts-reliefs évoquant une famille de mineurs ont été dessinés et réalisés par Joseph Gillain, devenu célèbre plus tard sous le nom de Jijé en tant qu’artiste bédéiste.

De belles rencontres en rendez-vous reportés

Il semblerait qu’Eddie Bonesire ai pris soin d’observer chaque repli de la cité du Levant. Son livre, après nous avoir montré des vues anciennes prêtées par quelques habitants, entreprend une analyse plus poétique au travers une campagne photographique in extenso : vestiges industriels, terrils jaillis de terre lors de l’exploitation, végétation dévorante ou douce et mélancolique, ordonnancement fonctionnel des espaces habités. Toutes les facettes de ce théâtre qui semble au premier abord abandonné nous sont livrées humblement.

Pour créer une continuité, une douce transition entre hier et aujourd’hui, un seul langage chromatique fait de noir et de blanc est employé par le photographe. Pas de protocole particulier et le souhait de retravailler le moins possible les photographies, de les livrer telles qu’elles sont, sans recadrage superflu. Ceci a parfois nécessité plusieurs prises de vue. C’est le cas des photographies d’architecture prises de préférence sous un ciel couvert filtrant la lumière pour réduire les ombres portées. Les premières images décrivant le site prises par Eddie Bonesire, nourrissent le côté dramatique de son déploiement. Puis comme d’innombrables touches de chaleur dans toute cette noirceur, des regards, des bouches animées, des cœurs qui palpitent : les habitants actuels apparaissent peu à peu au gré des pages, pour constituer une foule de visages expressifs, de corps en mouvement.

(c) Eddie Bonesire

« Je me suis rendu à de nombreuses reprises sur place entre 2019 et 2022, même si j’ai dû interrompre mes visites, en raison de la crise du Covid, car je ne voulais pas mettre en danger certains habitants parfois âgés et fragiles. Au départ je me suis demandé comment j’allais les photographier, puis en fait je leur ai demandé de ne rien faire de particulier, d’être là tout simplement. Des personnes ont accepté immédiatement que je les prenne en photo, d’autres ont préféré attendre, observer, avant de s’associer à mon projet. Finalement, ce sont près de 70 personnes photographiées qui se retrouvent dans la publication mais malheureusement je n’ai évidemment pas pu intégrer tous les portraits ».

Ces figures, ces rencontres que partage avec nous Eddie Bonesire, ce sont des instants quotidiens figés avec respect et bienveillance. A force de côtoyer les personnes qui vivent aujourd’hui encore au Levant, il appelle certains par leur prénom et il est connu de tous. C’est un peu une première pour l’artiste d’être entré ainsi dans l’intimité des habitants, en les photographiant. Car habituellement il fixe plutôt des images du bâti, du paysage, et non du vivant. Ce qui est remarquable dans toutes ses photos jamais posées, c’est le fait qu’elles témoignent de la relation de confiance qui s’est peu à peu nouée entre les « brayous » et le photographe.

(c) Eddie Bonesire

Avec « Au Levant de Mons », Eddie Bonesire nous propose d’ardents fragments de vie et souligne la formidable capacité de résilience que possèdent les êtres humains avec le désir puissant de poursuivre un chemin. Une route sans doute plus paisible, car beaucoup d’habitants qui vivent là aujourd’hui sont des descendants de mineurs ayant travaillé dans les charbonnages de la région.

Soulignons que le photographe espère pouvoir présenter ses images lors d’une exposition, dans la région du Centre, afin d’offrir la possibilité aux habitants du Levant de découvrir complètement son travail. Par ailleurs, il continue d’entretenir un lien privilégié avec le site car il sera à l’école du Levant au printemps 2023, dans la but d’échanger avec les élèves de 5ème et 6ème primaires.

(c) Eddie Bonesire

Infos pratiques

Imprimé à Berlin en 300 exemplaires au format 27x23cm et édité par Berlin Brussels Art Projects, il comporte 160 pages, où apparaissent 139 photographies et illustrations.

Son prix est de 30 euros et il peut-être commandé par mail à postmaster@ebonesire.net. Il est aussi disponible à la Librairie « l’Ecrivain public » à La Louvière et à la Boutique du Grand Hornu.

Enfin précisons que le livre a également bénéficié du soutien de l’asbl La Famille d’accueil Odile Henri, dont le Directeur Michael Rossi est oriiginaire du Levant de Mons.

Pour en savoir plus 

On vous invite à découvrir le site internet d’Eddie Bonesire ou à le suivre sur les réseaux sociaux.

Il est possible de visualiser le film « Misère au Borinage » via ce lien.

 

 

Daisy Vansteene, Chargée de communication pour Hainaut Culture

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