Le plasticien questionne de manière ludique et sensible les gestes liés au travail en milieu usinier. Ses recherches ont retenu l’attention du Jury qui s’était réuni le 2 décembre dernier au sein des salles du Vecteur pour étudier les propositions de 6 candidats sélectionnés pour le prix. Soulignons que le travail de Fatma Alis, également en relation avec la sphère industrielle, a reçu quant à lui une mention spéciale de la part des membres du Jury.
Un prix en mouvement
Notre Prix centenaire a connu quelques métamorphoses depuis peu, ceci en vue de devenir plus inclusif. Premièrement, son critère de limite d’âge, auparavant fixée à 35 ans, a été supprimé, tandis que son article 2, en lien avec le territoire, a été lui aussi amandé. Désormais le nouveau règlement du Prix du Hainaut des Arts Plastiques permet à tous les plasticiens issus des excellentes écoles d’art du territoire hainuyer de candidater.
De mouvement, il est aussi question, parce que depuis de nombreuses années, afin d’être présents partout en Hainaut, nos services veillent à rendre cette manifestation nomade. Après Tournai et Mons, c’est la Ville de Charleroi qui accueille en 2023 l’exposition du Prix, grâce à la collaboration du Vecteur.
Une très belle exposition à arpenter jusqu’au 16.12
Le nombre de candidats à sélectionner était un peu plus réduit en raison des contingences liées à la surface des salles de monstration, mais l’accrochage effectué par les équipes du Vecteur et nos collègues du Secteur des Arts plastiques rend vraiment hommage aux 6 candidats de cette édition que sont Fatma Alis, Julien Brunet, Charlotte Cuny, Pauline Debrichy, Diego D’Onofrio et Sofhie Mavroudis.
Au Vecteur, vous rencontrerez la douce poésie amenée par l’installation textile de Charlotte Cuny et les escapades oniriques offertes par Julien Brunet. Des pièces qui cohabitent avec les recherches de Pauline Debrichy qui nous propose elle aussi une expérience sensorielle, en nous invitant à explorer notre environnement et son architecture de manière nouvelle.
Mais l’événement aborde également des questions plus dramatiques comme les hirondelles diaphanes plaquées au sol de Sofhie Mavroudis qui nous renvoient au sort des personnes qui migrent en quête de liberté et souvent achèvent leur course noyées ou épuisées dans un silence assourdissant sur les rives d’eaux meurtrières. Pour nous réapprendre à nous émouvoir, la plasticienne vous convie à participer à une seconde installation collective basée sur la récolte de larmes de bonheur ou de chagrin.
La proposition de Fatma Alis avec son amoncèlement de deux cents bleus de travail qui forment une sphère dans l’espace retiendra forcément votre regard, par la tension qu’elle suggère. Ces vêtements superposés révélant la perte d’humanité lors des crises économiques.
La consécration « à domicile » pour le lauréat
Le soir de la proclamation, quand nous avons recueilli les premières impressions de Diego D’Onofrio qui est né à Charleroi, il était visiblement ému et surpris.
Honnêtement, je n’avais pas d’attente, j’étais très heureux d’être sélectionné pour la deuxième fois, nous confia-t-il. Tout le travail que je présente ici est le fruit d’une recherche au sein des entreprises MACORS suite au Prix Médiatine que j’ai remporté il y a peu de temps. Toutes ces pièces sont nouvelles. Les engrenages en marbre et en bois ainsi que les encadrements ont été réalisés pendant ma résidence. C’est un travail de collaboration avec des menuisiers et des marbriers. Ils m’ont guidé et m’ont encadré, pour la production de ces objets. MACORS est une entreprise qui accueille des plasticiens depuis une vingtaine d’années et est donc habituée à voir interagir des artistes avec ses travailleurs au sein de ses installations, c’était vraiment une expérience très enrichissante.
Une épopée familière et familiale
C’est la grande cohérence des propositions livrées par Diego D’Onofrio qui a convaincu le Jury dans son choix unanime. Si on retrace le parcours déjà dense du jeune plasticien, on constate à quel point ce dernier est traversé par le travail industriel. Une interrogation qui se déclenche durant son adolescence, lorsqu’il fréquente, en tant que jobiste, les ateliers de l’usine où son père opère depuis de nombreuses années. Il y travaille en 2015, 2017, 2018, 2019 et 2020, mais la réflexion sédimente en lui depuis son âge le plus tendre.
Je suis issu d’une famille d’origine italienne, arrivée en Belgique pendant les accords du charbon, et mes parents m’ont nourri des récits en lien avec cette mémoire. Tout cela fait profondément partie de moi et j’ai envie de l’aborder dans ma pratique. Enfant, mes parents m’ont promené sur tous les sites miniers… je ne comprenais pas trop ce qu’ils voulaient me faire deviner mais malgré tout, je sais que j’ai été marqué par tout cela. Le travail, ses gestes répétitifs, sa pénibilité, son bruit m’intéressent aujourd’hui encore et m’inspirent. Je pense en avoir pris complètement conscience lorsque j’ai collaboré au Workshop « Cette histoire peut paraître sans fondations » mené par Aline Bouvy en compagnie d’autres étudiants au MAC’s.
Au terme de leur exil économique, ses aïeuls ont solidement enfui leur noyau familial à l’ombre des usines du Pays noir. Selon Diego D’Onofrio, leur labeur a donné corps aux fondements de la société dans laquelle il évolue. Il aimait à le rappeler en 2022 dans une installation justement intitulée « Fondation » et faite de treillis et de fer à béton, de briques, d’élastiques sur laquelle était posée une copie d’un tract de propagande destiné à attirer la main d’œuvre italienne dans nos contrées au milieu de 20ème siècle.
L’âme des gestes
En 2022, à l’occasion de son 20ème anniversaire, le MAC’s propose à l’artiste de commenter une œuvre choisie au sein de sa Collection Permanente. Sans surprise, il décide de mettre à l’honneur, une des pièces les plus remarquables du musée : les Registres du Grand Hornu de Christian Boltanski. Une installation conçue un an avant la naissance de Diego D’Onofrio, et qui constitue pourtant un repère dans sa réflexion.
Ce sont les questions liées à la mémoire mais aussi à l’individu qui m’intéressent dans cette œuvre. Le fait que chacune de ces boîtes marquées par le temps qui passe, soit assemblée dans une accumulation monumentale, redonne à chaque personne qui constitue la masse laborieuse, un nom, un visage. J’apprécie et je rejoins la pensée de Boltanski qui affirme qu’il n’est pas juste de parler de 5000 mineurs, mais qu’il faut au contraire redonner une humanité à chacun, en le nommant.
Pour que les ressources humaines passent au premier plan de l’évocation des cycles de production, Diego D’Onofrio les esthétise Tantôt il photographie les traces produites par le pistolet à colle qu’il manipule pour emballer des bobines de fil métallique lorsqu’il travaille comme étudiant dans l’usine où son père opère. De ces gestes qu’il a posés – sensiblement les mêmes mais pas exactement – il crée l’œuvre 80 gestes de colle présentée en 2021 à la TRE-A Galerie.
À d’autres moments encore l’artiste se mue en machine, en dessinant en série par exemple, comme s’il accomplissait un travail à la chaîne. Des frôlements du crayon sur le papier millimétré jaillissent de petites silhouettes qui semblent elles aussi prêtes à s’animer pour envahir les ateliers des usines. Elles sont présentées au Vecteur, comme une haie d’honneur face au symbole magnifié du labeur : la roue dentée. Usiné en marbre aux infinies tonalités de vert ou en bois chaud et précieux, harmonieux mais privé de sa fonction utilitaire, l’emblème de la mécanisation se mue en une allégorie. Le regardeur peut enfin la caresser sans risquer de se salir les mains ni de s’y broyer les doigts.
Poétiser le travail qui éreinte
Pudiquement, les installations de Diego D’Onofrio annihilent la tradition pragmatique des objets qui les constituent. En 2022 déjà, sous ses mains, les engrenages, le sable de fonderie, les laitiers et couvercles se sont mués en une Playa ensoleillée sur laquelle l’artiste nous invitait à envoyer des cartes postales un peu kitches estampillées du message amical Un p’tit bonjour de l’usine de Seneffe. La vidéo Halte là camarade condensait elle aussi des images captées durant un été où il était jobiste, et converties en une narration illustrant l’habileté de l’esprit humain à s’évader, face aux bruits et à la répétitivité aliénante du travail à la chaine.
Régulièrement, l’artiste se plait aussi à jouer avec les mouvements, il aime les domestiquer, les rendre plus légers, les ralentir, voire les figer. Mais arrêter ne signifie pas simplement tomber dans une simple contemplation, au contraire, la démarche de Diego D’Onofrio se veut résolument participative. Ce qu’il propose au regardeur, c’est de devenir complice de ses réflexions. Cette fois encore, au Vecteur, son installation s’empare de l’espace, par le truchement d’un ordonnancement d’élastiques rigoureusement dressés vers le ciel. Ces lignes souples et tendres, sont une invitation au public à désacraliser l’art.
Pour moi il faut que le public intervienne et s’approprie mon travail, même si parfois il y a des contraintes. Par exemple, les pièces que je compose avec des élastiques, j’ai envie qu’elles s’animent sous les doigts des visiteurs… l’autre jour, je voyais un petit enfant toucher une de mes pièces et sa maman lui disait qu’il n’avait pas le droit de le faire, alors je suis intervenu en expliquant qu’il avait au contraire le droit de faire vibrer l’objet, que c’est même pour cela que je l’avais créé ! annonce-t-il amusé.
Demain
Quand on le questionne sur ses projets, Diego D’Onofrio déclare que sa priorité est de terminer ses études. Il achève cette année un Master dans l’atelier Images dans le Milieu à Arts au carré (Mons). C’est dans ce cadre qu’il a eu l’opportunité de participer récemment à un nouveau workshop au MAC’s, aux côtés de l’artiste vidéaste Clara Thomine.
Ne sachant pas encore précisément sur quoi portera son travail de fin d’études, il envisage quoi qu’il arrive de croiser ses réflexions avec celles d’autres étudiants des sections musique et théâtre. En parallèle, le plasticien vient en outre d’entreprendre un autre Master en Design Urbain dans l’atelier de Sébastien Lacomblez.
Comme tous les artistes primés par la Province de Hainaut, Diego D’Onofrio bénéficiera, outre la valeur du Prix des Arts plastiques, d’un accompagnement spécifique de la part de la Province, sous la forme notamment d’une édition et d’une exposition personnelle à découvrir dans les prochains mois.
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Infos
Expositions du 24 novembre 2023 au 16 décembre 2023
Exposition accessible : les mercredis et vendredis de 14h00 à 18h00
Les samedis de 14h00 à 18h00
Le Vecteur
30, rue de Marcinelle
6000 Charleroi
www.vecteur.be
Tel: 071/ 27 86 78
Mail: info@vecteur.be
Secteur des Arts plastiques de la Province de Hainaut
artsplastiques.hainaut@gmail.com