Pauline Vanden Neste révèle la vitalité poétique des territoires en friche

12/04/2024

Faire escale dans un archipel d’expositions

Depuis quelques semaines, le Centre de la Gravure et de l’Image imprimée à La Louvière a levé le voile sur plusieurs expositions. Au-dessus des incontournables Géantes, œuvres aux formats hors normes qui s’étendent dans les grandes salles du rez-de-chaussée, rayonnent les gravures de Louise Bourgeois, Niki de Saint Phalle et quelques douces pépites collectionnées par Jacqueline Cigrang qui désormais ont rejoint la collection du musée, grâce à l’exceptionnelle donation proposée par la galeriste. Plus haut, une infime mais juste portion de la collection permanente est dévoilée dans un Voyage en Collections sur le dernier plateau de l’ancienne piscine à la rue des amours.

Mais avant d’entreprendre l’exploration de ces trois expositions remarquables, il y a lieu de s’imprégner absolument, des photos de Pauline Vanden Neste, qui nous accueillent aux portes du musée. Conçue comme un incitation à traverser les monumentales fenêtres muséales, son intervention déclenche une porosité vers la rue.

Une lauréate du Prix Médiatine en 2023

Ce prix qui vient de fêter ses 40 ans, créé par le Centre culturel Wolubilis à l’époque, s’adresse aux jeunes plasticiens belges ou résidant en Belgique. C’est à l’issue de la dernière sélection du jury orchestré par le Centre culturel Wolubilis, qu’une dizaine d’artistes ont été retenus parmi lesquels 7 furent primés. Pauline Vanden Neste était l’une d’entre eux, sélectionnée pour exposer au Centre de la Gravure.

Se construire d’autres quotidiens

Née à La Louvière, la jeune femme a, comme de nombreux étudiants, quitté cette cité érigée par l’industrie en vue de suivre un Master en Littérature à l’ULB. Une fois installée à Bruxelles, elle a prolongé son cursus par un Bachelier en Photographie au 75. Cette institution propose une approche plutôt documentaire à l’étude de ce 9ème art et lorsqu’on la questionne sur ce choix d’école, elle affirme spontanément qu’il s’agissait avant tout pour elle de pouvoir en quelque sorte, expérimenter d’autres destins.

(c) Pauline Vanden Neste

« J’adore les histoires, et après en avoir lu beaucoup durant mes cinq années d’apprentissage de la littérature, je ressentais une certaine frustration à ne pas pouvoir être moi-même le personnage d’autres récits ».

Elle s’imagine, par le truchement d’un projet personnel et de son appareil photo, pénétrer des milieux différents, pour y mener d’autres existences que la sienne. N’étant plus dans une position contemplative, l’artiste peut interagir avec les protagonistes croisés au gré de ses vagabondages.

Montrer le vivant

Le travail de la photographe se concentre sur l’humain. Gravitant autour d’une galaxie de visages, des paysages apparaissent. Ce sont des fragments poétiques. Ils sont autant d’indices matérialisant la toile de fond des prises de vue. Ils contextualisent la grâce des traces sur lesquelles Pauline Vanden Neste souhaite s’attarder et nous éclairent sur sa perception sensible et introspective des territoires qu’elle arpente.

La colonie de figures immortalisées est faussement silencieuse. Toutes ces paires d’yeux qui se plongent dans les nôtres ou semblent emportés par un courant de pensées réaffirment la vie. Dans sa série Ce qui reste, la photographe ne tombe pas dans l’écueil facile de livrer une énième vision mélodramatique d’une population en déshérence accrochée à un territoire portant les stigmates du déclin industriel.

(c) Pauline Vanden Neste

« La plupart des histoires que j’entendais ou des propositions artistiques que je voyais en lien avec La Louvière, Charleroi ou ce type de territoires me semblait généralement assez passéiste, parce que souvent il s’agissait d’y présenter la fin d’une période florissante, quelque-chose d’éteint, de passé. J’ai donc essayé de prendre le contre-pied en allant justement à la rencontre de ceux qui incarnent selon moi la vitalité : les jeunes ».

Confusionner les regardeurs

Le choix du noir et blanc ne vise pas à évoquer un passé révolu. Il traduit l’intention pertinente d’amener un brouillage temporel. Selon l’artiste, troubler les sensations cadre particulièrement bien avec l’esthétique de la ville dont certains quartiers semblent figés à une autre époque, tandis que d’autres accueillent des constructions plus récentes, futuristes, voire lunaires. Cette grande hétérogénéité de décors, mélangés entre eux, procure un certain désarçonnement pour les visiteurs de l’exposition. Ils peuvent être amenés à s’interroger sur la datation des documents qu’ils décryptent. Sont-ils face à des archives ? Ces photos sont-elles de pures mises en scène ? Le cryptage monochrome vient lui aussi enrichir la portée émotionnelle des images.

(c) Pauline Vanden Neste

 

Regarder demain, les yeux dans les yeux

Le relief de la vie frémit à la surface des clichés affichés. Il reflète le magma qui palpite quotidiennement dans ce centre névralgique qu’est La Louvière. Pauline Vanden Neste aime souligner que la ville concentre de nombreuses écoles qui hébergent une foule d’élèves et d’adolescents venant animer inlassablement ses rues.

« Il me semble que la ville appartient plutôt à toutes ces bandes de jeunes qu’à une histoire passée. Si le territoire reste marqué par des friches et si certains espaces n’ont peut-être pas encore trouvé de nouvelles fonctions, ils se font souvent réapproprier par les jeunes. On y voit parfois fleurir des terrains de skate sans attendre que les pouvoirs publics ne prennent des décisions quant à leur réaffectation ».

Sillonner les voies à contre-sens

Son travail documentaire construit comme un périple à rebours est un témoignage qui n’est pas neutre, puisqu’il prend sa source dans l’histoire personnelle de la photographe. Elle nous propose de marcher à reculons à ses côtés pour rejoindre temporairement la ville de son enfance. À la fois légitime et effacée, elle nous offre un questionnement sur cette réalité extérieure, complexe qu’est celle des jeunes louviérois aujourd’hui.

« Je ne prétends pas dresser un portrait objectif d’ici, j’assume complètement une certaine nostalgie, une mélancolie même, car dans mon rapport à ce territoire, il existe une latence liée à ma propre adolescence ici. J’ai voulu amener de la douceur dans ce travail et plonger le public dans une sorte d’entre-deux émotionnel ».

Pour appuyer la cohérence de sa recherche, l’artiste opère de deux manières. Elle joue tantôt les entremetteuses, en sélectionnant précisément quelques lieux qu’elle connaît intimement et dont elle souhaite capturer la sérénité ou la poésie. À d’autres moments au contraire, elle entre dans une forme d’errance, ouverte simplement aux rencontres.

S’arrimer à des jalons affectifs

Sa vue d’un mur voisin des ascenseurs à bateaux le long canal historique, nous restitue une sorte d’emblème, dans sa toute puissance et sa frontalité. Mais la photographe éveillent aussi nos regards aux belles aspérités de ce rempart, telles que ces traces blanches laissées par l’eau qui s’y cristallise au cours du temps. En photographiant les ateliers de NLMK, elle nous suggère la force romantique des laminoirs qui crachent toujours leur fumée blanche.

(c) Pauline Vanden Neste

« Une fois de plus, mon intention ici n’est pas de construire un reportage sur ces lieux mais plutôt d’essayer d’en souligner toute la potentialité émotionnelle. Il y a dans ce genre de complexe monumental une espèce de mythologie post-industrielle, assez universelle, qu’on peut aussi ressentir dans de nombreuses villes du nord de la France. Je ressens une autre charge quand j’aborde ce grand immeuble moderne et anguleux qui longe le chemin de fer près du Centre Kéramis et qui semble couvert de plastique ou d’aluminium. C’est un bâtiment complètement fou qui côtoie un peu maladroitement d’autres constructions plus éternelles comme de petites maisons en briques rehaussées d’un tag. »

Écrire lentement ses rendez-vous

Autour de la constellation de lieux emblématiques, vibre une humanité que l’artiste magnifie, sans artifices. Elle s’égare dans la ville, pour encourager des rencontres dont découlent échange et partage. Pour laisser plus de place à la connivence, la photographe a décidé de travailler en utilisant le procédé argentique, qui invite à la lenteur.

«  Dans ce travail, il n’y a pas d’images volées, mon appareil photo est très visible, ce qui créé d’emblée un lien particulier avec les passants. La technique suspend le temps, car l’appareil paraît archaïque à l’air des smartphones qui mitraillent sans cesse. Ici mes interlocuteurs ne voient pas immédiatement leur image, ce qui peut les impressionner, mais les encourage à garder un lien avec moi. La temporalité s’étire dans ce type de processus : il s’écoule un moment plus ou moins long entre notre rencontre et l’instant où je leur transmets leur portrait, soit sur papier imprimé dans mon atelier, ou sous forme de scan, par mail ».

Tendre des ponts vers la rue

Comme dans une mise en abîme, les habitants photographiés il y a quelque temps dans les rues de La Louvière et qui ont rejoint la vitrine du Centre de la Gravure, la traversent à nouveau pour se poser dans les maisons qui entourent le musée. La photographe est allée frapper à la porte des voisins de la rue des amours en leur proposant d’accueillir à la fenêtre de leur maison, une reproduction d’un de ses clichés. Nombreux sont ceux et celles qui ont accepté d’héberger temporairement une petite œuvre. Aux côtés de ces reproductions qui sont également visibles à la Gare ou au château Gilson il y a une série de cartes postales reprenant les images de la série  Ce qui reste qui sont déposées dans les commerces.

Anderlecht, Saint Denis, La Louvière… Ici ou ailleurs ?

En filigrane du travail de Pauline Vanden Neste, il y a cet obsédant dilemme face auquel semblent se cogner toutes les personnes photographiées. Au quartier Aurore qui s’étire le long des berges du canal bruxellois, sous la chaleur du soleil de la Réunion ou dans la grisaille de la capitale du Centre, transpire une sorte d’héritage commun ou de réalité immuable. C’est le sort d’une jeunesse qui vit dans des zones économiquement sinistrées, hérissées de friches et soumises à des pressions immobilières.

On est venus ici pour la vue, Tom Lyon & Pauline Vanden Neste

« Dans ce contexte de monde qui bascule au seuil d’un nouveau chapitre, les jeunes s’interrogent… Doivent-ils partir ou rester ? Vivre ici ou là-bas ? Ils interagissent dans un environnement hyperconnecté, à l’intérieur duquel on peut facilement voyager, et qui sait, se refaire une vie meilleure ailleurs. Pourquoi certains sont tentés par un envol ? Tandis que d’autres restent, trop attachés au territoire où ils se sont fixés ».

Elle a quant à elle quitté la cité des loups il y a quelques années déjà. Si elle n’est pas revenue y vivre, elle affirme qu’il était néanmoins important pour elle de mener à bien ce projet photographique particulier. Contrariée par l’image qu’on lui renvoyait de La Louvière ailleurs, elle voulait, à l’aide de son appareil argentique, poser un regard empathique, bienveillant sur ce territoire qu’elle connaît bien et pour lequel elle éprouve une forme de tendresse perceptible dans chacune de ses photos.

Projets au long cour et expérimentations temporaires

En compagnie de Tom Lyon, Pauline Vanden Neste forme un tandem qui explore depuis trois ans le canal bruxellois. Leurs recherches ont déjà fait l’objet d’un très beau livre intitulé On est venus ici pour la vue publié en collaboration avec les Editions La CAB. Le duo prévoit la sortie d’un deuxième chapitre ambitieux qui abordera toute la zone du canal Molenbeek Anderlecht Laeken. Il s’agit d’une recherche à nouveau artistique et engagée.

On est venus ici pour la vue, Tom Lyon & Pauline Vanden Neste

« C’est un endroit tendu aujourd’hui à Bruxelles, très proche du centre et traversé de lieux déserts et de friches, sur lequel une énorme pression immobilière est appliquée. Les habitants qui y vivent souffrent de la situation, car ils se font petit à petit refouler, tout comme de nombreuses associations liées à des sous-cultures alternatives qui sont en train d’être progressivement délocalisées. C’est comme une sorte de guerre de territoires qui se joue sur place et qu’il nous semble très important de documenter ».

Signalons enfin que Pauline Vanden Neste fait partie des 65 artistes et 36 projets sélectionnés pour l’édition 2024 de Belgium’s LIBITUM 2024 résidences artistiques et pluridisciplinaires. Dans ce cadre, elle pourra développer ses projets personnels dans un environnement de travail et d’échanges, formels et informels, où les différentes pratiques se rencontreront et où les regards artistiques pourront se croiser. Cette expérience se déroulera du 9 au 30 juin prochain à Rouvroy (B).

On est venus ici pour la vue, Pauline Vanden Neste & Tom Lyon

Infos

Pour en apprendre d’avantage sur le travail de Pauline Vanden Neste, retournez régulièrement sur son site Internet ou suivez-là sur les réseaux sociaux.

Concernant l’exposition « ce qui reste », elle est visible jusqu’au 19 mai à la vitrine du CGII

Pour toutes les autres expositions présentées au Centre de la Gravure en ce moment, nous vous invitons à visiter le site du musée, mais aussi à vous abonner à leurs chaînes Facebook et Instagram.

 

 

 

Daisy Vansteene, Chargée de Communication pour Hainaut Culture

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