Au sein de la Joyeuse Parade, exposition chorale proposée par le Centre de La Gravure du 29 juin au 10 septembre au Château Gilson, laissez-nous vous présenter l’escadron éclatant engendré par Shen Özdemir. Sa troupe, à priori envahissante, pleine de vivacité et de pigments, révèle une intention d’une grande ambition : celle de pacifier notre monde !
Fraîchement diplômée de ARTS2 à Mons, en option sculpture, c’est durant ses années de master que l’artiste a entrepris le travail plastique qui nous occupe ici et qu’elle définit comme un carnaval imaginaire sans frontières qu’elle a baptisé KARNAVALO.
Il est composé de familles de têtes joyeuses et colorées qui racontent l’histoire d’une fête humaine mettant sur le devant de la scène la joie de la vie. C’est donc un enchantement de tous les jours ! annonce-t-elle.
Un langage aux formes illimitées
Ses caractères aux contours moelleux et affables semblent attendre de pouvoir entamer de drôles de pantomimes. Pour donner corps à ses familles très expressives la plasticienne peut indistinctement s’emparer du vent ou de l’espace. Tel un grand Architecte aux gestes spontanés, elle ne s’attarde pas à estomper ou tempérer ses sujets qui surgissent comme des pop-up et nous convient sans attendre, à un monde de fête, où l’on peut sans crainte, sourire, parler, vivre.
Tout comme je n’ai pas de couleur préférée, je n’ai pas non plus de technique préférée. Étant sculptrice de formation, je cherche à travailler le volume dans l’espace. J’exploite donc le textile, les impressions, le papier mâché, le bois, le plâtre, le vitrail… Toutes ces techniques me permettent de varier les informations et d’enrichir davantage le propos en retransmettant les richesses culturelles par la variété des matériaux que j’emploie. Cela me permet aussi d’être en apprentissage permanent »
L’éloge de l’altérité
Le grand navire KARNAVALO est l’inverse d’une arche de Noé ! Ici, on peut aussi embarquer quand on est seul ou dépareillé, et on ne se présente jamais à l’heure en rang d’oignon. Le Capitaine Özdemir ourdit patiemment son fabuleux déluge en caressant une grande poche amniotique où flottent des êtres magiques et amusants qui attendent de pouvoir éclore pour décoiffer notre monde. Elle rêve et imagine un utopique rassemblement de sa grande marmaille areligieuse, polymorphe et non-genrée, qu’elle voit grandir partout où se pose son regard.
Ma journée de rêve… serait de voir réunies toutes les familles du KARNAVALO dans un seul et même espace. Cette idée me trotte dans l’esprit depuis que nous avons dépassé les 300 têtes au sein de ce carnaval imaginaire. Actuellement, nous comptons plus de 540 têtes réparties en une vingtaine de familles!
Son immense tribu est composée de personnages qui tantôt ondulent, tantôt prennent vie si on les hisse sur nos caboches, tantôt s’animent lorsque le soleil les enflamme de ses rayons. Tous sont libres et unis par un profond désir d’aimer l’autre avec ses contrastes, ses failles, ses émotions…
Panégyrique de la couleur
S’il existait un culte des couleurs Shen Özdemir en serait sans aucun doute la grande prêtresse. Sa palette chromatique est comme un exutoire, ou une sorte d’étendard qui lui offre un moyen de reprendre le pouvoir sur sa propre existence.
J’ai mis pas mal de temps à me donner les raisons suivantes de mon affection pour les couleurs. Tout d’abord, personnellement, elles me donnent beaucoup de confiance. En attirant le regard sur moi à travers les couleurs que je porte, je ne peux que prendre de la place et donc affirmer ma présence. Ce point est très important tant dans ma personne que dans mon art car je me suis longtemps sentie effacée et perdue lors de mon enfance. Les couleurs sont certainement mon premier moyen d’expression. Elles me permettent de rendre le monde imaginaire qu’est le Karnavalo, plus vivant et plus marqué dans l’espace. Aussi, je m’en sers pour égayer les regards des spectateurs-trices et véhiculer un réel message de bonheur et de croyance en l’avenir.
Le registre coloré de l’artiste est d’une intensité vive et décomplexée. Elle marie des teintes denses, opaques et protectrices comme une cuirasse face à la morosité et la brutalité ambiantes. En les associant pour tisser une gangue bienveillante, elle irrigue son KARNAVALO de larges sourires et d’yeux écarquillés.
Une démarche nomade et participative.
La plasticienne distille son virus mignon de différentes manières. Parfois seule dans la quiétude de son laboratoire, ou à d’autres moments en formant de petites colonies lors d’ateliers qu’elle anime en préparation d’événements citoyens. Elle contamine peu à peu le monde en faisant fleurir ses créatures au-delà de nos frontières, puisqu’elle était récemment en résidence au Brésil.
Le Brésil a constitué une incroyable aventure ! J’ai rencontré Julie Dumont, curatrice nomade de The Bridge Project, lors d’une de mes expositions, à Generation Brussels durant le Brussels Gallery Weekend en septembre 2022 (curatée par Maud Salembier). Julie Dumont a créé The Bridge Project comme une initiative curatoriale nomade bien que basée au Brésil. Elle offre une visibilité aux artistes à travers l’organisation et la documentation d’expositions et de résidences internationales. Lors notre rencontre elle m’a directement parlé d’une possibilité de créer une résidence pour le carnaval de Rio en février 2023. Les choses se sont ensuite organisées. C’est important pour moi de voir, de rencontrer diverses populations pour mon inspiration au sein du Karnavalo et j’étais vraiment très sensible à sa proposition.
En plus de l’expérience du carnaval de Rio, trois projets se sont concrétisés là-bas. Avec tout d’abord une exposition de 5 drapeaux à la plage d’Arpoador (quartier résidentiel de Rio) à Alalaô Kiosk. Il faut savoir qu’à Rio de Janeiro, les plages jouissent d’une grande importance dans la culture populaire, et ce kiosque est situé en bord de plage, offre une grande considération à l’art en général.
L’artiste a ensuite été invitée à participer à l’exposition collective Dialetos do Firmamento à la Galerie Anita Schwartz, située à Gàvea (Rio) où elle a présenté la Troupe EKSTERE.
Enfin, elle a également créé une nouvelle troupe-drapeaux pour un cortège performatif avec la participation du Bloco Céu na Terra.
Durant 1 heure, une parade s’est organisée dans les rues de la galerie, où nous marquions le début de l’exposition, mais aussi la fin de ma résidence…
La catharsis du carnaval
Pour la sculptrice, le carnaval ne devrait jamais être un événement sacré dont les rites sont accessibles à une seule élite. Originaire de La Louvière, Ville champignon à l’histoire avivée par les multiples mouvements migratoires, Shen Özdemir avoue avoir souvent souffert de cette impression de ne pas être initiée aux traditions et folklore pourtant profondément enraciné dans sa région. Ce sentiment a hanté son enfance, ce qui peut sembler paradoxal, car historiquement, le carnaval est destiné à être un moment de liesse populaire, de partage, de confluence et une soupape temporelle durant laquelle tout est permis et tout le monde est le bienvenu.
Mon intérêt pour le carnaval découle d’un sentiment d’exclusion que j’ai face aux folklores : une auto-censure que j’ai encore du mal à déconstruire. Cette émotion m’a poussée, à créer un carnaval qui n’appartiendrait à personne. KARNAVALO n’appartient qu’à lui-même tout en affirmant les inspirations folkloriques de diverses cultures, mais ceci uniquement de manière visuelle. Ce monde m’aide beaucoup à me sentir légitime et mon but, à travers mon art, est d’accueillir et de respecter toutes les personnes qui ont un intérêt quelconque pour ce projet.
En marge de la parade
Dans le cadre de l’exposition Joyeuse Parade, le stage Envole-moi sera animé par les membres du service éducatif du Centre de la Gravure et de l’image imprimée autour de la proposition de Shen Özdemir.
Une édition originale est également présentée par le musée, sous la forme d’un foulard orné de figures du KARNAVALO. Elle sera mise en vente durant l’exposition.
D’autres projets mis en orbite
En juin 2023, outre la Joyeuse Parade, commenceront deux expositions. La première est un événement collectif de fin de résidence intitulée BEYOND, qui se tiendra du 9.06 au 2.07.23 pour l’artiste accueillie dès octobre 2022 à Fondation du Carrefour des Arts à Bruxelles.
Shen Özdemir participera également au parcours d’artistes dans la Ville de Liège Art Au Centre où elle va investir une vitrine du centre-ville, du 8.06 au 31.08.23, aux côtés de plus de vingt autres artistes.
Du 06.07 au 05.11.2023, elle exposera au musée Art et marges à Bruxelles dans le cadre de N’appelez pas ça Art brut. Toujours en juillet, elle s’envolera pour un mois en résidence à Lisbonne avec la plateforme Duplex AlR. Un voyage qu’elle prépare assidûment en faisant l’apprentissage de la langue portugaise.
Infos
Pour suivre toute son actualité.
Joyeuse Parade est organisée dans le cadre de la Biennale Artour du Centre culturel du Centre (Central).
Vernissage le dimanche 25 juin à 11h
Ouverture au château Gilson le jeudi, vendredi, samedi et dimanche, de 14h à 18h.
Expo du 29.06 au 10.09.2023
Centre de la Gravure et de l’Image imprimée
Rue des Amours, 10
B-7100 La Louvière
+32 (0) 64 27 87 27
Daisy Vansteene, Chargée de communication pour Hainaut Culture